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Mourad Merzouki en terres classiques

Publié le 06.12.2023

Mêlant hip-hop, contemporain, néoclassique, cirque et arts martiaux, le chorégraphe français Mourad Merzouki est invité par l’Orchestre de Chambre de Genève (OCG) à ciseler une rencontre entre une danse hip-hop et contemporaine voulue métissée et des œuvres musicales issues des répertoires classiques et contemporains. Ce concert augmenté et rehaussé de danse se tient au Victoria Hall le 10 décembre à 11h avant Bonlieu Scène Nationale (Annecy), le 27 janvier à 20h.

À ce jour, le chorégraphe a réalisé plus d’une trentaine de créations en tournée dans 70 pays et enthousiasmé plus de deux millions de personnes. Depuis ses débuts, il axe son travail artistique sur la rencontre avec l’Autre et l’étonnement continument renouvelé.

La création avec les 37 interprètes de l’OCG et son directeur musical Raphaël Merlin constitue un geste unique et très grand public autour d’extraits d’œuvres. Elles sont signées notamment Beethoven au détour de sa Symphonie n°7, Scherzo et son rythme ensorcelant de danse, Stravinski en compagnie de son Concerto en Ré pour cordes, Arioso, et son chant mélancolique des premiers violons et violoncelles, Mozart par sa Symphonie n°33, Finale célèbre pour son rythme de tarentelle enfiévrée. Mais aussi Duke Ellington avec son mythique et exotique Caravan.

De Mourad Merzouki et sa Compagnie Käfig, le public romand a pu apprécier Zéphry sur une élégance aérienne proche des vents et de la respiration. Et Vertikal qui repousse les limites de la gravité, renouvelant une danse fluide, virevoltante et d’une intense physicalité.

Pour mémoire et ne citer quelques pièces parmi d’autres témoignant d’une haute musicalité du mouvement.
Ainsi pour Folia, le chorégraphe explore la folie à travers une réinterprétation contemporaine de la musique baroque de Marin Marais, en harmonisant les pas fluides avec les variations tumultueuses de la musique.


Quant à Phénix, l’opus se distingue par une élégance saisissante alternant avec des séquences de pure énergie, favorisant une expérience immersive, poétique, où la musique classique devient le souffle même de la chorégraphie. Rencontre avec Mourad Merzouki.



Vous êtes aujourd’hui le chorégraphe hip-hop le plus demandé pour des productions de musique classique.

Mourad Merzouki: J’ai le sentiment qu’il existe comme une évidence entre mes chorégraphies et ces partitions classiques, baroques permettant de vivre et traverser de belles émotions contrastées. Il est vrai qu’au fil du temps de vraies connexions se sont développées. C’est possiblement lié à une sensibilité que je me découvre avec le temps.

Enfant, je n’ai pas écouté de musique classique et baroque ayant appris à la connaître au fur et à mesure des réalisations impliquant musiciens, musiciennes et ensembles. Cela à l’image de Boxe Boxe, Folia, The Fairy Queen et Phénix. Ce partage entre danse et musique bouscule doucement les codes et les genres.

Une rencontre passionnante avec la musique classique remonte à la création de Boxe Boxe (2010) avec un Ensemble à cordes, le Quatuor Debussy interprétant des œuvres voyageant de Franz Shubert à Philip Glass. La pièce accueille nombre d’expressions dansées, break dance, cirque et contemporain.



Que retirez-vous de ces expériences?

C’est formidable tant le classique m’inspire, m’extrayant de ma zone de confort. La manière dont j’aborde ces partitions permet possiblement à certains orchestres de sortir du connu et de l’appris, en leur apportant un imaginaire dansé singulier.

La danse se révèle ici attentive au tempo et à la rythmique, à la composition et son sens des ruptures et de la fluidité de la partition musicale. Ceci jusqu’au mouvement même de l’archet sur l’instrument, par exemple. Être ainsi sollicité atteste que ma contribution apporte une autre façon de lire, ressentir et vivre émotionnellement et artistiquement la musique.

À la sortie d’une représentation de Phénix, une jeune spectatrice confiait écouter et redécouvrir l’instrument et recevoir la partition de manière inédite. Et radicalement différente que lors d’un concert traditionnel.

Effectivement. Ce qui me plaît dans Phénix? Le spectacle permet au public d’avoir une autre relation tant à la musicienne qu’aux danseurs et danseuses et à l’instrument. Pour ma part, j’essaye de rendre les frontières les plus poreuses qui soient entre ces mondes dansés et musicaux. Pour cette pièce, la viole de gambe et sa musicienne sont placées sur une sorte de plateau mobile à roulettes.

Un quatuor dansant dialogue ainsi avec la viole de gambe très en vogue au 17e siècle alors que la musicienne est située au cœur de la chorégraphie. Ce dispositif permet de développer une lecture et un rythme autres de la partition musicale dans son corps et son esprit.

Existe-t-il d’autres dimensions?

J’essaye aussi de rendre compte du jeu de la musicienne, la manière dont elle fait littéralement corps avec son instrument. Celui-ci s’en trouve alors chorégraphié. De fait, le public a une approche inédite, si ce n’est une lecture nouvelle de la musique.

Tout cela est complété par la générosité et le côté virtuose du hip-hop. Ce qui m’importe est de donner une place à la musicienne, trouver l’équilibre et l’harmonie permettant d’abolir la frontière entre le monde de l’interprétation classique et celui de la danse.





Et pour le programme de L'OCG, comment pensez-vous l’aborder?

Il s’agit d’une forme de défilé chorégraphique. L’idée est de m’emparer de chacune des propositions jouées par l’Orchestre de Chambre de Genève en les faisant interpréter par différents danseurs en les faisant réagir au plan du rythme et de la musicalité du geste auxquels je suis très sensible et à l’écoute.

Ce qui m’intéresse lors de cet événement est de faire résonner chez un danseur de hip-hop ayant plutôt l’habitude de travailler sur des musiques et rythmes binaires, un autre univers musical et une rythmique différente. Comme j’ai pu le travailler dans d’autres créations, la relation entre le live musical et le mouvement apporte une dimension singulière, profonde et inventive sur la relation que l’on a au danseur.

Je pense que la playlist interprétée par L’OCG surprendra les danseurs dans la manière de se mouvoir. Et naturellement par ricochet étonnera le spectateur.

Vos créations chorégraphiques sont empreintes d’une haute musicalité. Elles parviennent notamment à décélérer ou refigurer l’univers musical sur un mode singulier.

J’ai l’impression que les musiques baroques sont vraiment pensées pour le corps, le mouvement, si ce n’est pour raconter des histoires. Le travail avec toute cette palette sonore, ces ruptures, mélodies et variations m’offrent de multiples possibilités avec le corps et la chorégraphie.

Ceci sans doute davantage que sur des rythmes binaires associés traditionnellement au hip-hop, où finalement la seule porte de sortie est la mélodie. En fin de compte, la musique classique et baroque m’offre une palette sonore si élargie qu’elle ouvre des perspectives insoupçonnées.





Votre danse enfiévrée et multidirectionnelle, fluide et tenace fait parfois songer de loin en loin à une grande figure de la danse française au siècle dernier, Dominique Bagouet qui a participé à la redécouverte du répertoire baroque.

Oui. Ainsi par les lignes et contrepoints que Dominique Bagouet créait dans l’espace. Mais je suis aussi sensible aux rapports de ce grand chorégraphe avec les danseurs. Comme lui, je suis un chorégraphe ayant un grand attachement à la musique pour imaginer et inventer la danse.

Vous vous êtes attaché au répertoire baroque dans The Fairy Queen, opéra avec une forte dimension dansée et mis en scène par Paul Agnew pour les Arts Florissants, un Ensemble de musique baroque dirigé par William Christie, son fondateur, et Paul Agnew.

Pour cette création en août dernier, ce fut l’occasion de me régaler de la composition signée Henry Purcell, The Fairy Queen (1692), étroitement associée au Songe d’une Nuit d’été de Shakespeare. Voici une œuvre à la fois joyeuse et jubilatoire ramenant à la fête tout en sachant préserver une certaine folie.

J’y ai travaillé la place des chanteurs avec les danseurs permettant d’enrichir ma gestuelle. Malgré le décalage d’époque entre le baroque et le hip-hop, il se développe une grande harmonie et synchronie entre la danse et la musique de Purcell.

L’équipe de France féminine de natation synchronisée a fait appel à vous pour son ballet aquatique présenté aux JO de Paris en août 2024.

C’est une première historique. Ce ballet a été imaginé sur chanson de Grand Corps Malade, Mesdames. L’idée est de bousculer le formatage des corps qu’impose la natation artistique. Dans un nouveau rapport à la pesanteur, il s’agit d’apporter un souffle de folie, d’autres rythmes.

D’aller aussi chercher une gestuelle plus viscérale, animale. Cet exercice inédit dans mon parcours artistique m’amène à repenser mon rapport au geste et au mouvement.

La danse hip hop fut beaucoup basée, notamment à ses débuts, sur des effets trompe-l'œil. Parmi ces effets spectaculaires se dessine l’envie de surprendre avec des mouvements étonnants. Ralenti, impression d’un corps chewing-gum et ondulations.

En l’occurrence, j’ai été sidéré de la manière dont le corps pouvait flotter, se reformater et reconfigurer au cœur d’un espace suspendu, lorsqu’il est littéralement transporté grâce au volume d'eau.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Cie Käfig et L'Orchestre de Chambre de Genève (L'OCG)
Le 10 décembre au Victoria Hall, Genève

Mourad Merzouki, chorégraphies - Raphaël Merlin, direction


Programme:
Beethoven, Symphonie no 7
Mendelssohn, Symphonie Italienne
Stravinsky, Concert en ré
Mozart, Symphonie no 33
Duke Ellington, Caravan


Dans le cadre des Concerts du Dimanche de la Ville de Genève

Informations, réservations:
https://billetterie-culture.geneve.ch/selection/event/date?productId=10229082876588&lang=en