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De la Beauté avant toute chose

Publié le 17.04.2024

Du 19 avril au 5 mai 2024, le Théâtre du Loup donne rendez-vous avec des œuvres d'art, qui comptent parmi les préférées d'Eric Jeanmonod. Forcément, de la part du concepteur et metteur en scène, il ne faut pas s'attendre de découvrir une vraie fausse conférence. Le concepteur de Nos Histoires de l'Art veut avant tout amuser le public, et, peut-être, de lui donner ou redonner envie d'aller au musée.

Une douzaine de séquences autour de toiles choisies sont attendues, elles seront accompagnées par des personnages qui se rencontrent par hasard dans un parc public. L'auteur est un poète, il imagine des inconnus s'entretenir de Brueghel et de Niki de Saint-Phalle sur des bancs publics.

Les comédiennes et comédiens, famille élargie d'Eric Jeanmonod et de ses créations au Théâtre du Loup, échangerons ainsi sur leurs chouchous, soutenus par la musique, même peut-être des chansons. Et des projections de la plupart des œuvres évoquées. "Clairement, un tel spectacle dans lequel nous ne montrerions pas les toiles serait une torture!
 Donc un dispositif particulier". Nous serons donc bien au théâtre. La confirmation avec Eric Jeanmonod.



Faut-il chercher un rapport entre le sujet de ce spectacle et le fait qu’il s’agisse peut-être de votre dernière création à la tête du Théâtre du Loup?

Non, cela ne s’est pas mis en place comme cela. Je dirais que c’est surtout un spectacle qui revient de loin: la première mouture était bien davantage conceptuelle et littéraire. Un peu comme Valère Novarina avait abordé Dieu avec La Chair de l’Homme, je voulais parler d’art à partir de citations d’artistes et de penseurs. Chez Norarina, cela donnait un texte composé de 360 définitions de Dieu. De mon côté, j’étais arrivé à une centaine...

En parallèle, je m’étais donné pour consigne d’introduire toutes mes définitions de l’art par des verbes différents - «untel pense, untel prétend, untel susurre etc.». Je me suis amusé comme ça un bon moment avec ces deux listes.



Puis...

.... J’ai réalisé qu’il faudrait mettre un peu de chair dans tout ça. Je suis donc reparti presque de zéro avec le projet.

J’ai décidé que se serait des personnages, des gens normaux, qui parleraient d’art (de quoi exactement, tableau? Sculpture?), chacun de leur chouchou, parfois en monologue, parfois en dialogue, parfois en contradiction. Parfois en évoquant d’autres artistes au passage...

Toute une histoire de l’art?

Non, j’ai choisi des œuvres d’une douzaine d’artistes parmi mes préférés. Clairement, j’ai dû me contraindre. Je voulais tout de même couvrir la plus grande période possible, ne pas prendre trop de Suisses...

Je croyais avoir réussi mon coup quand j’ai réalisé - tard - que c’était toutes et tous des artistes figuratifs. Cela me désole un peu: je voulais un panorama aussi large possible et il n’y pas un seul tableau purement abstrait... Même si chez Monet cela commence déjà bien à déconstruire.

Des gens qui parlent d’art, qui s’enflamment pour une oeuvre, puis qui en évoquent une autre. Y-a-t-il un fil rouge 

Oui et non. Les personnages ne sont pas tous là au début, ils font leur apparition au fur et à mesure, et il peut se passer quelque chose entre eux. Mais je n’ai pas beaucoup creusé leur profil psychologique - dans le spectacle ce sont avant tout des passeurs. Il était important pour moi qu’on ne se dirige pas vers une fausse vraie conférence.

Les personnages se rencontrent dans un parc public. Il y a un jardinier, une joggeuse... Je voulais qu’ils s’expriment normalement - je le répète souvent aux comédiens en répétition: «parlez comme vous le faites au bistrot!»






Il arrive que des inconnus se parlent au bistrot, mais dans un parc public?

Je n’ai moi-même jamais rien vu de tel. Mais nous sommes au théâtre, nous pouvons en profiter pour créer ce décalage!
Tout en parlant, les personnages peuvent se transformer en conteur, ou devenir une autre personne qui raconte une histoire.

Chacun peut être amené à jouer les personnages historiques invoqués, mais il n’y a rien de systématique. Disons que les toiles vont être présentées de différentes façons. Il y aura même quelques chansons!


Le décor?

Un parc public, peint. C’est important que le décor soit peint. Et au milieu, derrière les bancs et le plan herbeux, un grand écran sur lequel les toiles vont être convoquées. Pas toutes, mais la plupart. Clairement, un tel spectacle dans lequel nous ne montrerions pas les toiles serait une torture!
 Donc un dispositif théâtral particulier.

Pour le spectacle, je compte beaucoup sur l’impact des images des toiles. Les voir à la télévision, sur son écran d’ordinateur ou dans un livre, ce n’est pas la même chose que de lorsqu’elles sont projetées sur un grand écran - cela va être beau!

Nous avons fait un gros travail sur l’éclairage, sur des double-images, pour favoriser une découverte - souvent une re-découverte - des œuvres.


Un parc public amène souvent un semblant de campagne dans la ville. Cela vous a-t-il inspiré?

Intéressant, je n’ai pas réfléchi à cela. Mais nous commençons par raccorder l’art à la nature, cela démarre en tout cas ainsi, avec l’évocation de l’œuvre la plus ancienne du spectacle, le papyrus dit de Greenfield, datant du XIème siècle avant J.C. et qui aurait été adressé à la princesse Nesytanebetisherou





Le texte vous a-t-il demandé de longues recherches

 Avez-vous collecté des informations historiques et des anecdotes? J’ai écrit le texte, mais j’ai accepté de nombreuses améliorations venant de l’équipe. Dans la première version, certaines tournures de phrases étaient encore un peu trop écrites. Nous avons essayé de les gommer au fur et à mesure au profit d’une expression plus populaire.

Quant au contenu, il est comme moi, très éclectique. Je m’autorise à conserver de pures anecdotes tout simplement parce qu’elles sont marrantes. Il y a aussi quelques mises en situation historiques, et des éléments plus personnels, liés au vécu des personnages - et donc souvent au mien!


Mais bien sûr pour le spectacle, j’ai énormément lu de biographies et de monographies, mais faire un condensé de ces lectures m’aurait amené à l’opposé de là où je veux aller.

Je préfère provoquer des mises en abîme pour amener le public à rentrer davantage dans les tableaux. Pour l’encourager à regarder mieux. Dans un sens, je fais de l’anti Tik-Tok qui délivre des petits événements qui défilent en continu. Là, on regarde, on laisse infuser, on commente, on discute. On partage.


Vous avez fait des recherches originales autour de La Moisson de Brueghel.

Dans le cadre de mes recherches je suis tombé sur un blog de Savoyards qui vendent des cartes postales, et qui faisaient référence à une toile de Brueghel qui représenterait une paysage savoyard. Ils mentionnaient comme source un article dans une Gazette des Beaux Arts de 1932. J’ai retrouvé le fonds de cette revue sur internet. Retrouver l’article m’a pris du temps car en définitive il n’était pas de 1932!

Mais oui, il développe l’hypothèse que le peintre alors qu’il voyageait vers Rome, serait passé par là et aurait un fait un croquis qu’il l’aurait ensuite utilisé pour La Moisson.

L’article reproduisait aussi des témoignages de paysans de l’époque - les années 30 - qui reconnaissaient formellement une vue sur Genève depuis Archamps. Comment résister à évoquer cette histoire dans le spectacle?


Pourquoi à la base ce tableau de Brueghel et pas un autre?

Il y a une truculence et un hédonisme qui me touchent beaucoup dans ce tableau. Mais il est vrai que j’ai réalisé après coup (bis) que cette scène de moisson, je l’ai vécue dans mon enfance. Au milieu des années 50, chez mes grands-parents à Etoy, c’étaient les dernières moissons avant l’arrivée des moissonneuses batteuses.

C’était une grande fête à laquelle toute la famille participait, se rendait aux champs. Les hommes coupaient à la faux. Les femmes dressaient les moyettes. Et puis la grand-mère arrivait en vélo pour nous amener les 4 heures: du thé à la cannelle encore tiède, des morceaux de gruyère…

Voulez-vous instruire le public avec ce spectacle? Instruire??!!

(Rires, il n’en revient pas, n.d.l.r.). Non je veux l’amuser. Et lui donner envie d’aller au musée. De mon point de vue, il est clair qu’on y va pas assez.

Propos recueillis par Vincent Borcard 


Nos Histoires de l'Art
Du 19 avril au 5 mai au Théâtre du Loup

Eric Jeanmonod, conception et mise en scène
Anne-Shlomit Deonna, assistante - Mael Godinat, univers sonore - Michel Guibentif , lumière

Avec Mael Godinat, Thierry Jorand, Juliette, Lola et Rossella Riccaboni, Adrien Zumthor, Emil et Léon Zurn


Informations et réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/nos-histoires-de-lart/