Au risque des mots échangés
La pièce Le Risque de la parole imaginée en collaboration avec le collectif de jeunes interprètes, la Bande J, mise en scène par le tandem Matthieu Wenger - Evelyne Castellino, explore les nuances de la communication humaine dans un monde saturé par le numérique
À découvrir à La Parfumerie (Genève) du 19 au 28 avril.
Cette création aborde la parole comme un double tranchant: un outil puissant capable d'émouvoir et de convaincre, mais aussi de blesser et de diviser.
Fort.es de leurs expériences personnelles et des tensions de leur génération, les interprètes de la Bande J s'attaquent à des thèmes cruciaux tels que la diversité, la lutte contre toutes les formes de harcèlement, et les réseaux sociaux, qui sont devenus le terrain de jeu et de lutte de leur quotidien*.
Du monitoring aux insultes et menaces de mort, le cyberharcèlement atteste ainsi que les personnes harceleuses peuvent aussi parfois revêtir l’habit de victimes. Le procès des réseaux sociaux sert de catalyseur à une critique approfondie de l'impact des plateformes numériques minées par les discours haineux et misogynes sur la communication et les relations humaines.
Le cadre judiciaire est convoqué pour débattre et démystifier la manière dont ces réseaux façonnent et déforment notre façon de percevoir le monde et d'interagir avec autrui.
Le public est ainsi convié à un voyage qui questionne non seulement la manière dont nous tentons de nous comprendre entre générations. Mais aussi sur la façon dont nous utilisons nos mots et leur impact sur notre environnement social et personnel. Entretien avec Matthieu Wenger.
Comment explorez-vous le lien entre parole, prise de parole et vulnérabilité?
Matthieu Wenger: À travers le titre de cette création il y a l’idée que lorsque l’on prend la parole, un risque est aussi engagé. Manipulée voire instrumentalisée pour stigmatiser, blesser et harceler notamment, la parole peut ainsi être vue comme une arme.
La génération Z, celle de la Bande J, a évolué avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. La rapidité avec laquelle les messages et les informations se propagent est inédite et sidérante dans l’histoire de l’humanité
Au cœur des ateliers que nous animons Evelyne Castellino et moi-même, les personnes ne sont pas toujours conscientes de cette réalité. Lorsque les participant.es adultes et adolescent.es aux ateliers théâtre sont interrogés sur les raisons de leur présence, les personnes répondent que c’est pour se sentir bien et plus à l’aise en public.
Les risques liés à la parole diffusée sont alors à la fois déplacés et démultipliés. S’exprimer sur les réseaux sociaux revient souvent à avancer ses propos de manière masquée. Ceci en se cachant derrière des pseudonymes.
Étant potentiellement anonyme, celui ou celle qui ne s’exprimerait pas aussi ouvertement face à une assemblée d’une vingtaine de personnes, se permet alors une grande liberté d’expression et de ton. Souvent sans filtre ni respect pour autrui. Dans ce cas de figure, La parole peut donc se révéler bien plus violente et menaçante son auteur.trice pouvant rester caché.e.
Dérapage ou non, il est possible d’envoyer une bombe planétaire. Que l’on songe, par exemple, aux tweets envoyés par l’ex-président étasunien Donald Trump. Mais pour tout le monde, un tweet ou un message peut être repris, relayé massivement et faire le tour du monde.
Si la diffusion est notamment régie par des algorithmes, elle se fait par l’effleurement du pouce. Dès l’envoi, la réaction et dans une moindre mesure l’interprétation sont instantanées. Sans réflexion ni recul.
Ce sont des mots dénués d’incarnation et de voix souvent accompagné d’emoji et émoticons qui banalisent cette parole. La réception de ces micro-messages peut se révéler problématiques, la personne destinataire se sentant parfois humilié.e.
Assurément. Fidèle à l’histoire de la Compagnie Acrylique d’Evelyne Castellino, la chorégraphie est essentielle au spectacle. Elle est créée en étroite collaboration avec ses interprètes.
L’important? Que les jeunes puissent puiser dans leur imaginaire dansé et soient fiers de ce qu’ils.elles réalisent au plateau. S’il y a beaucoup d’éléments qui viennent des interprètes dans cette création, c’est aussi le cas pour la chorégraphie. Elle naît ici d’une suite de mouvements proposés qu’on leur demande d’adapter ou d’improvisations.
Souhaité par les jeunes interprètes, le procès fictif de la parole et des réseaux sociaux qui tourne autour du harcèlement est essentiel à cette création. Au fil de cette séquence, tout le monde se révèle avoir commis des actes de harcèlement tout en étant également victime.
Il est important de rappeler ici que ce sont les interprètes qui ont écrit ce procès imaginaire avec procureur, juge, avocat, juré et témoin.
Le déploient ainsi la parole neutre qui pose les règles et mène les débats, la parole accusatrice qui condamne et investigue cherchant une vérité; la parole en défense au gré d’une joute oratoire; la parole argumentée du témoin, de la défense ou de l’accusation qui peut être manipulable; la parole du juré passée en groupe qui écoute et débat.
C’est en somme la parole confrontée assemblant et opposant les points de vue afin de faire prévaloir le sien et obtenir l’adhésion. A cet égard, la parole en défense du harcèlement fut difficile à faire émerger tant elle va contre le sens commun lié aux droits humains notamment. Elle fait face au jury, aux victimes et aux témoins.
Loin de se cantonner aux seuls mots, les interprètes développent alors tout un versant chorégraphique. L’une des sources d’inspiration fut ici les figures de la mythologie romaine des Parques, ces trois déesses qui tirent les fils de la vie pouvant les couper abruptement.
Cette référence se retrouve dans la gestuelle parfois discrète liée au harcèlement mettant en avant une dimension vicieuse, manipulatrice. Mais en insistant sur le fait que son ou sa responsable ne se rend pas forcément compte de l’impact que ses agissements peuvent avoir.
En scène, le harcèlement est transposé par 3 interprètes, dans l’objectif de flouter la responsabilité et montrer que nous avons toutes et tous une responsabilité collective envers le harcèlement.
Ce n’est pas toujours la faute de l’autre. Cherchant des pistes entre l’individualité et le groupe, ce spectacle n’a pas la prétention de trouver une solution au harcèlement, mais il s’attache à faire sortir du silence les actes et les mots.
Oui. Aucune situation n’a été inventée. Nous avons recueilli des informations et situations bien réelles à travers des témoignages, des podcasts et des émissions et ce que l’on connaît des expériences intimes de chaque interprète. Ainsi au quotidien une même classe peut se retourner contre une personne. Le spectacle s’interroge aussi sur une possible relation entre le harcèlement scolaire et les violences qui traversent l’actualité vues par les médias.
Nous avons, par exemple, le cas de Marion Séclin. Cette actrice, vidéaste web (Youtubeuse), chroniqueuse, et militante féministe française. Elle anime sa chaîne Youtube y proposant du contenu féministe. En 2017, elle a été harcelée extrêmement violemment et a subi des dizaines de milliers de menaces létales, de viols et d’appels au suicide. Elle dénonce l’impunité des harceleurs sur la toile.
Il y a notamment le chanteur électro-rap français Vald et sa parole pulsée, rythmée et poétique. Dans ses chansons parfois dépressives, il évoque la surconsommation, la violence et une forme de révolte contre la société issues de l’ennui au sein des banlieues. La bande son est riche de diverses musiques qui accompagnent ou accentuent les situations jouées.
Propos recueillis par Bertrand TappoletLe Risque de la parole
Du 19 au 28 avril à La Parfumerie, Genève
Collectif la Bande J -Matthieu Wenger et Evelyne Castellino, mise en scène
Informations, réservations:
https://www.laparfumerie.ch/evenement/le-risque-de-la-parole/