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Michael Jarrell, le regard du compositeur

Publié le 27.10.2015

 


Créé en 1939, le Concours de Genève est un prestigieux rendez-vous pour les interprètes du monder entier. Depuis 2011, il œuvre aussi en faveur de la création musicale dans la tradition du Prix Reine Marie José fondé il y a cinquante-sept ans. Quatre finalistes sont en lice cette année pour le Prix de composition. Leurs pièces pour quatuor à cordes seront interprétées lors de la finale publique dimanche 8 novembre au Studio Ansermet par d’anciens lauréats du Concours. Michael Jarrell, dont Cassandre ouvrait magistralement la nouvelle saison de la Comédie de Genève en septembre, présidait le jury international ayant sélectionné les œuvres phares de cette 70ème édition. Parmi celles-ci, la pièce primée sera celle imposée aux quatuors à cordes concourant l’an prochain pour le Prix d’interprétation. Le compositeur genevois nous livre quelques clés.

 

Le Prix de composition est inscrit depuis 2011 dans le panorama musical du Concours de Genève. Vient-il selon vous pallier un manque ou est-ce au contraire le signe que les jeunes compositeurs sont plus nombreux qu’auparavant?

Je pense que les jeunes compositeurs sont très nombreux aujourd’hui. A mon avis, il y en a plus qu’il y a trente ans. Ce Prix répond donc d’abord à un besoin. Il émane de l’ancien Prix de composition musicale Reine Marie José. Il existe beaucoup d’autres concours de composition dans le monde. Paradoxalement, la musique classique en général est dans une position plus délicate. La composition «de musique classique», dite contemporaine, d’autant plus. Le développement des médias a profondément marqué et changé le monde musical.

 

Qu’est-ce qui le fragilise?

Le genre «classique» est un peu en danger parce que la musique est une chose compliquée. Elle est d’expression très diverse. Il y a de la musique pour danser, pour méditer, d’ordre religieux, etc. Presque tout le monde a une idée très précise de ce qu’est la bonne musique. Omniprésente, elle s’est inscrite dans la vie quotidienne. Il est très compliqué de l’évoquer aujourd’hui. C’est même plus difficile que de parler d’art contemporain.

 

Qu’est-ce qu’un concours international apporte selon vous aux artistes?

Le concours de composition donne non seulement une place publique à de jeunes compositeurs, mais il crée aussi une infrastructure. L’idée du Concours de Genève est que la pièce primée devienne le morceau imposé dans le cadre du concours d’interprétation organisé l’année suivante. Cela créé des liens entre jeunes musiciens et jeunes compositeurs. On revient à une chose très juste: un compositeur a besoin de musiciens pour être joué et pour l’interprète, il faut des compositeurs. S’il n’y avait pas de partitions de Beethoven ou de Bach, cela ferait beaucoup de chômeurs!

 

Vous-même avez participé à des concours à vos débuts?

J’ai été primé dans le cadre de plusieurs concours lorsque j’étais jeune. Mais ce n’est peut-être pas ce qui m’a fait le plus connaître. En revanche, ça m’a permis de vivre pendant une demi-année. Cela m’a aussi donné la possibilité d’être joué. Mais surtout, j’y ai gagné de grands moments d’échange en sympathisant par exemple avec les membres des jurys comme Xenakis ou Takemitsu. Cela peut aider à préciser des idées, trouver une sorte d’épine dorsale. Et ça rassure. Tant qu’on est tout seul dans sa pièce, c’est facile d’être un génie. La perception des autres, non de ce que vous êtes mais de ce que vous faites, est importante.

 

Le jury, dont vous êtes le Président, a sélectionné quatre œuvres parmi les 109 reçues cette édition. Sur quels critères la sélection s’est-elle faite?

La composition du jury revêt de l’importance. Ses membres viennent de cultures différentes: allemande, japonaise, française, italienne et suisse cette année. Chaque membre est ouvert à la découverte et possède sa propre opinion, sa propre esthétique. Nous recherchons tous dans les partitions présentées une cohérence au niveau du langage musical. On espère aussi se faire surprendre. Nous sommes à la recherche d’une personnalité qui exprime quelque chose d’une manière n’ayant pas encore été dite. Concrètement, nous lisons les partitions. Il arrive qu’elles soient dépourvues de relief, qu’elles manquent de maturité dans l’expression ou qu’elles attestent d’un manque d’artisanat très grave et qu’elles soient tout simplement impossibles à jouer. Là, tout le monde a eu envie de choisir entre autres une pièce surprenante, un peu folle, qui ne deviendra probablement pas lauréate, mais à qui nous avons jugé bon de donner un coup de pouce d’autant que les partitions finalistes seront jouées par deux quatuors professionnels, eux-mêmes anciens lauréats. Les œuvres que nous choisissons sont aussi tout simplement celles que nous avons envie d’écouter.

 

 

Deux très jeunes Coréens du Sud figurent parmi les quatre finalistes sélectionnés. Est-ce le fruit du hasard ou y a-t-il un terreau particulièrement propice en Corée du Sud, d’autant que le précédent lauréat était aussi de nationalité sud-coréenne?

Ce qui est sûr, c’est qu’en pourcentage, les Coréens du Sud étaient très nombreux à concourir. Le Concours de Genève est un prix très prestigieux en Asie. Si on le gagne, on est dispensé du service militaire. L’autre point est que tous les pays asiatiques dispensent une très bonne formation musicale. L’idée du «drill» y est très présente. Quelqu’un qui étudie le violon en Asie travaillera comme un fou pour essayer de sortir du lot.

 

Le quatuor à cordes est à l’honneur cette année. En avez-vous vous-même composés?

Le quatuor est l’une des grandes formes musicales avec la littérature pour piano. C’est aussi l’une des plus difficiles. J’en ai pour ma part composé deux. Il y a un son à trouver; le «son du quatuor» ne possède, par exemple, pas toute la palette de couleurs que pourrait donner un orchestre symphonique.

 

Finalement, composer, est-ce à vos yeux comme écrire de la poésie? Car le compositeur peine un peu à se faire entendre, à l’instar du poète…

Oui, mais n’importe qui peut lire de la poésie alors que ce n’est pas le cas pour une partition de musique. C’est souvent le poète qui lit ses propres textes. Nous, nous avons besoin des musiciens. Une création musicale serait plutôt comme une pièce de théâtre. Sans oublier qu’une œuvre d’art, c’est un message, une communication, même si elle est très abstraite. Un vrai écrivain, c’est quelqu’un qui veut communiquer, disait Umberto Eco.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Concours de Genève, du 8 au 15 novembre 2015
Finale publique le dimanche 8 novembre au Studio Ansermet (RTS) à Genève, par les Quatuors Voce et Armida
Festival des Lauréats du 8 au 15 novembre 2015

Détail des concerts sur leprogramme.ch ou sur le site du concours www.concoursgeneve.ch

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