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White Dog ou comment désapprendre la haine

Publié le 04.10.2017

 

Chien Blanc (1970) est un roman d’autofiction sur la vie de son auteur, Romain Gary, à la fin des années 60 à Los Angeles. Ce dernier y narre l’adoption d’un chien qui parait tout à fait docile mais dont le caractère se révèle tout autre. Sur fond de rééducation canine, Chien Blanc est un récit sur le conditionnement à la haine, un plaidoyer humaniste sur les possibilités de l’esprit humain. À voir du 5 au 15 octobre en ouverture de la saison du Théâtre des Marionnettes de Genève.

La compagnie de marionnettes Les Anges au Plafond se plonge pour la deuxième fois dans l’univers de Romain Gary. En 2015 déjà, ils montaient R.A.G.E pour Romain Ajar Gary Émile, une création originale inspirée de la vie et de l’œuvre de l’auteur célèbre pour la mystification autour de son identité qui lui a permis de remporter le prix Goncourt à deux reprises. Cette fois, c’est un roman de Gary qui sera présenté au TMG. Alliant travail de marionnettes et de comédien, sculpture, pop-up, jeux de lumière, projection et musique live, le spectacle présage une immersion totale. Camille Trouvé, comédienne, marionnettiste et ici metteure en scène à l’origine de l’adaptation du roman avec Brice Berthoud est ravie de présenter le fruit de ce travail à Genève. Rencontre.

 

Camille Trouvé, vous êtes la co-fondatrice de la compagnie française Les Anges au Plafond. Vous vous apprêtez à présenter White Dog, l’adaptation de Chien Blanc, un spectacle centré sur la pensée humaniste de l’auteur.

Exactement. Après avoir raconté la vie de Romain Gary dans R.A.G.E, nous avons eu envie de nous concentrer sur Chien Blanc, une œuvre très particulière dans son parcours littéraire car il s’agit d’une autofiction. Gary manie la frontière entre le réel et l’imaginaire; tout est vrai et tout est faux. Il se met en scène avec son épouse, Jean Seberg, dans leur appartement de Los Angeles au moment des émeutes raciales à la fin des années 60, marquées par l’assassinat de Martin Luther King. À partir de ce contexte réel, Gary crée une fable autour de l’histoire d’un chien venu gratter à la porte du couple un soir d’orage, qui devient une métaphore de la situation aux États-Unis. Ce chien a l’air bienveillant, tendre et affectueux mais il se révèle violent. Cette violence que Romain Gary et Jean Seberg vont essayer de désamorcer est aussi celle des communautés qui s’affrontent au même moment.

Cette histoire nous a semblé faire écho à ce que nous vivons actuellement. Y sont présentes les questions du vivre ensemble et du partage, mais aussi de l’escalade de la violence et de la vengeance. Quelle est notre part d’animalité, de bestialité? Ces interrogations sont abordées par Gary qui démontre que l’âme humaine est capable du meilleur comme du pire. L’auteur est tiraillé entre son incorrigible optimisme et son désenchantement quant à la nature humaine.

 

Peut-on désapprendre la haine?

C’est la question que pose le spectacle mais Romain Gary n’y répond pas complètement. Il dit que nous avons, à certains moments de notre vie, l’occasion de le faire, de prouver que nous sommes capables de dépasser la haine et que nous devons saisir ces occasions. C’est un humaniste déçu. À chaque fois que l’Homme chute et retombe, cela blesse quelque chose en lui.

 

Quelle est la force de la marionnette pour aborder un sujet de société tel que celui du conditionnement à la haine, central dans White Dog?

La marionnette permet de prendre une distance par rapport à un sujet grave avec un certain humour en amenant des moments de décalage et de dérision. Au niveau de la dramaturgie dans le théâtre de marionnette, on se demande toujours ce que signifie le geste de manipulation de l’objet par rapport à l’histoire que l’on raconte. La manipulation des esprits, des animaux et des humains est au cœur de White Dog. Ce chien a été dressé dans un sens et il va l’être dans un autre. La marionnette, permet, sans les mots, de montrer des situations en tant que métaphores et allégories. Sur scène, un marionnettiste Blanc et un marionnettiste Noir vont s’échanger ce chien, et se feront à la fois charmer et attaquer par l’animal.

 

 

Marionnettes, pop-up, musique, projection d’images d’archives: les spectateurs peuvent s’attendre à une multiplicité de techniques dans ce spectacle…

Oui, c’est vraiment de la marionnette contemporaine, à la croisée des arts plastiques et de la musique. Toutes ces techniques créent un faisceau de sens au service de la dramaturgie. C’est l’histoire qui tient toutes ces formes ensemble et les rend cohérentes.

 

Le rapport à l’écriture, présent dans le roman, sera-t-il concrètement mis en scène?

Ce spectacle, au-delà de sa portée politique, contient une vraie interrogation sur le geste de l’écriture. Romain Gary se met en scène en tant qu’auteur en train d’écrire. Il s’agit d’un écrivain qui cherche à se dégager d’une expérience forte et difficile en la couchant sur le papier dans une autofiction. Les spectateurs assisteront à cela, au rapport entre réalité et écriture qui sera celui entre le marionnettiste et sa marionnette. Une distanciation que cherche l’auteur. Dans la première scène, on le découvre en pleine insomnie. Il a du mal à se libérer de ce qu’il a traversé, et, par l’écriture, il va réussir et comprendre que cette histoire porte une force symbolique.

 

Qu’est-ce qui fait du papier le matériau de prédilection de la compagnie?

Il recèle énormément de possibilités. On s’amuse avec, on le tord dans tous les sens, on le plie, on le déchire, on en fait des marionnettes, des pop-up aux plis très techniques pour les décors. Le papier, en plus d’être un terrain de jeu, est devenu notre langage. Parfois, on l’utilise de manière brute comme dans White Dog où on se sert de rouleaux de papier comme de pages blanches, mais nous en tirons aussi parti de manière sophistiquée en travaillant les marionnettes avec des copeaux de papier en couches successives qui donnent l’impression d’un fini inachevé.

 

Propos recueillis par Jessica Mondego

 

White Dog, d’après le roman Chien blanc de Romain Gary dans une mise en scène de Camille Trouvé est à découvrir au Théâtre des Marionnettes de Genève du 5 au 15 octobre 2017.

Renseignements et réservations au +41 (0)22.807.31.07 ou sur le site www.marionnettes.ch

Bon à savoir: le spectacle R.A.G.E sera présenté au Théâtre Forum Meyrin les 28 et 29 novembre 2017.

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