Social Tw. Fb.
Article

"La plus grosse difficulté, c’est (...) la charge émotionnelle et l’engagement physique!"

Publié le 28.04.2023

Du 30 avril au 9 mai, Aušrinė Stundytė interprète le rôle principal de Lady Macbeth de Mtsensk, opéra de Chostakovitch au Grand Théâtre de Genève. Artiste lituanienne, elle a étudié dans son pays natal avant d’intégrer la Hochschule für Musik de Leipzig. C’est dans cette ville allemande qu’elle débute sa carrière à l’Opéra de Leipzig avant de faire des apparitions à Cologne, Essen ou Lübeck. Ses engagements la mènent à voyager et à se produire avec des chefs comme Fabio Luisi, Dmitri Jurowski ou Zubin Mehta. Rencontre avec la soprano.


Vous avez participé à la création de cette production mise en scène par Calixto Bieito en 2014 à Anvers. Aviel Cahn était alors directeur de l’Opéra. Votre participation à la reprise à Genève est-elle une coïncidence ou une volonté de sa part?

C’est complètement fait exprès. C’est lui qui m’a donné ce rôle en 2014, et son idée était de reconstituer au maximum la distribution originale. Dans cette reprise, nous sommes trois – avec Ladislav Elgr (Sergueï) et Kai Rüütel (Sonyetka) - à avoir pris part à la création. Cette production est une des meilleures dans lesquelles j’ai pu me produire, tout opéra confondu. C’était quelque chose d’unique et la distribution était parfaite. L’alchimie entre nous était palpable, et Aviel voulu retrouver tout cela.



Qu’est-ce qui rend cette production si spéciale?

Tout est une histoire d’énergie. Si vous allez au concert et vous écoutez une musique parfaitement exécutée, mais sans ressentir l’implication émotionnelle des musiciens, vous ne serez pas aussi touchés que par des musiciens qui donnent chaque particule d’eux-mêmes. L’alchimie est née de cette implication de chacun dans cette production et c’est ce qui en a fait le succès.

Bien sûr, Calixto a aussi créé une mise en scène très forte qui nous a permis de nous immerger dans l’œuvre. Son travail nous a aidé à nous plonger dans la musique, les personnages, les émotions... Il a été très exigeant, même sur les plus petits détails. Il pousse chacun d’entre nous, même les choristes, à nous dépasser pour donner le meilleur. C’est très intense mais néanmoins chargé en énergie et en émotions.





N'avez-vous pas peur d’être déçue après cette merveilleuse expérience de 2014?

J’ai beaucoup appréhendé! Évidemment, puisque la distribution est partiellement différente, on ne peut pas s’attendre aux mêmes interactions. J’ai eu peur d’être déçue par la reprise, mais je ne regrette rien! On a réussi à créer quelque chose de très fort. Les personnages principaux sont de retour, et les «petits nouveaux» sont extraordinaires. Maintenant, je suis convaincue que cette production ne sera pas moins bien que celle de 2014. Peut-être même encore meilleure, ce que je n’aurais jamais imaginé possible!

Est-ce plus facile de reprendre une production que vous avez déjà faite?

Je dirais que oui, c’est plus facile, parce que la phase d’exploration du personnage et de recherche de l’organisation de l’espace sur la scène est déjà élaborée. Cela dit, d’autres défis s’imposent à nous. Personnellement, j’ai essayé de me remémorer qui j’étais à l’époque, il y a dix ans, pour recréer le personnage et le réincarner comme je le faisais à Anvers. Le problème, c’est que j’ai beaucoup changé depuis, donc je ne peux plus reproduire exactement la même chose. J’ai dû trouver une approche différente du personnage, ce qui est tout de même très intéressant!

Ma préoccupation initiale était la forme physique. Je savais que cette production demandait beaucoup d’énergie et j’avais peur d’être trop faible physiquement. À ma grande surprise, ça s’est bien passé et le plus gros challenge était finalement cette approche nouvelle de Katerina.

Qu’est-ce qui a changé en 10 ans?

Calixto n’essaie pas de créer un personnage, il n’a pas en tête des idées prédéfinies sur la manière dont il souhaite que je joue; il veut simplement que je sois la plus naturelle possible. Ce n’est pas tant une histoire de mouvements et de chorégraphie que de ressentis personnels.

Je me demande toujours «Comment je réagirais moi-même face à des situations ou des événements auxquels Katerina fait face? Finalement, en ce sens, c’est toujours la même chose, même après dix ans, je me laisse guider par les émotions. La différence, c’est que je ressens différemment. Je n’exprime pas mes émotions de la même manière et mes réactions sont évidemment différentes de celles que je pouvais avoir à l’époque.





Avez-vous eu l’occasion de vous produire dans cette mise en scène de Calixto Bieito depuis 2014?

J’ai pu participé à cet opéra à différents endroits (Paris, Munich, Lyon...), mais toujours dans des productions différentes. Celle mise en scène par Calixto est restée «endormie» pendant près de dix ans, ce qui est très étrange, au vu du succès qu’elle a connu! Cela dit, elle est tellement singulière et intense que je pense qu’elle nécessite une implication énorme.

Votre rôle représente-t-il un défi?

C’est vocalement très exigeant et je chante tout le temps. C’est très bien écrit, mais il y a des passages complexes. La plus grosse difficulté, c’est l’endurance, la longueur des lignes. Mais aussi la charge émotionnelle et l’engagement physique!

Quid de l’interprétation d’un personnage très différent de qui l’on est réellement?

Je ne ressens pas tant de différence entre moi et mon personnage. Alors certes, elle a tué plusieurs personnes, mais on connait tous des moments où on est tellement énervés qu’on pourrait avoir envie de tuer quelqu’un. Mais vous ne l’avez pas fait. C’est la seule différence (rires). Je ne me concentre pas trop sur ce «détail». Finalement, c’est quelque chose qui ne prend que quelques minutes dans l’opéra. Les meurtres dans les opéras sont courants, il ne faut pas se formaliser.

Quelle place accordez-vous au jeu d’acteur dans l’opéra?

De mon point de vue, jouer est même plus intéressant que chanter. Je sacrifie volontiers quelques belles notes ou de jolis phrasés pour le jeu. Si je fais face à un ultimatum qui m’oblige à choisir entre l’interprétation scénique ou la technique vocale, je choisis l’interprétation. C’est aussi pour cela que je chante très rarement en récital. Quand je chante, c’est très dur pour moi d’être debout sans bouger. J’ai besoin du côté théâtral.

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Lady Macbeth de Mtsensk
Les 30 avril, 2, 4 et 9 mai

Alejo Pérez, direction musicale - Calixto Bieito, mise en scène - Rebecca Ringst, scénographie - Alan Woodbridge, direction des choeurs

avec Aušrinė Stundytė, Dmitry Ulyanov, John Daszak, Ladislav Elgr...

Chœur du Grand Théâtre de Genève
 - Orchestre de la Suisse Romande

Informations, réservations:
https://www.gtg.ch/saison-22-23/lady-macbeth-de-mtsensk/