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Immersion émotionnelle

Publié le 16.10.2023

La dernière création du chorégraphe suisse Edouard Hue, intitulée Dive, se distingue par son utilisation de la respiration d’un groupe de sept interprètes pour créer une danse fluide et dynamique. A découvrir à la Salle des Fête du Lignon (Vernier), les 3 et 4 novembre - tout public, dès 8 ans.

Issu du hip-hop et imprégné de techniques contemporaines, l’artiste explore la gestuelle en couches complexes et émotionnelles. Danseurs et danseuses affichent un haut niveau de virtuosité qui les voit évoluer à des hauteurs variées, créant des mouvements allant notamment de l’enroulement sur soi au rebond. L’artiste a imaginé une atmosphère sensorielle et émotionnelle palpable et tangible, perturbant l'espace entre les artistes et le public grâce à un tapis de danse noir réfléchissant la lumière.

Sa pièce offre une expérience collective envoûtante, évoquant par moments une transe dansée ou des prises rythmiques d’énergie par un ballet de doigts appliqués à même le corps. Dive est une métamorphose fluide, reflétant l'extrême souplesse et ductilité des lignes du corps, tout en sachant préserver une énergie constante proche parfois de décharges électriques. Rencontre.



Selon vous Dive est proche de Titan que vous avez créée pour neuf interprètes du Ballet du Theater Basel.

Edouard Hue: Titan reflète le plus fidèlement ma gestuelle d’aujourd’hui. On la retrouve donc dans Dive. Les fondamentaux se caractérisent par des éléments travaillés comme les articulations et le souffle. A mon sens, la respiration est l’élément essentiel connectant l’intérieur à l’extérieur du corps au détour de Titan et Dive notamment.

Dès lors l’instinct, qui m’est cher, est fortement lié au nez et à la respiration. Important, le souffle doit être attentivement suivi par chaque interprète. Concrètement, pour effectuer une poussée vers le haut, il est nécessaire de gonfler d’air les poumons. Cela donne la sensation de ce mouvement directionnel et ascensionnel. A contrario, le fait de bloquer la respiration peut induire des défauts de dynamisme, précision et explosivité dans le mouvement.



D’autres composantes?

A travers l’architecture des corps que met en avant ma danse, l’on peut distinguer la dimension de la sensation qui fait se mouvoir ce même corps. Dans cette approche un soin particulier est apporté aux articulations qui donnent l’impulsion et la forme au mouvement.

On donne ensuite une vitesse variable à l’exécution du mouvement tant je privilégie parfois un ralentissement prononcé. Cela permet de mettre au jour une véritable totalité corporelle. Ainsi la maîtrise des articulations auxquelles sont rattachés les muscles ouvre sur un ressenti de l’anatomie tout entière tant d’un point de vue visuel que sensoriel. Le travail se cristallise autour du pied et des extrémités du corps comme le montrent certains solos et tutti.

Qu’en est-il de la sensation?

Titan interrogeait la sensation de pression tant sociale que physique et psychique au cœur d’une sorte d’aquarium imaginaire. Dive explore l’instinct universel qui travaille mes propositions chorégraphiques. Il s’agit bien d’une sensation archaïque, primaire, omniprésente, énigmatique et naturelle.

Aux interprètes, je livre souvent des images pour préserver leur concentration. Cette dernière se révèle souvent le moteur de l’exécution dansée. Ceci afin de maintenir une tension continue au cœur d’un mouvement lent, par exemple. Parmi les images, il y a celle de traverser une matière contraignante entravant les déplacements. Ou celle de corps brisés à l’occasion de Titan. Les danseurs et danseuses se tiennent alors par la pression de l’espace environnant. Nous travaillons sur l’impression d’un liquide venant exercer une forte pression sur les corps contre lequel les interprètes doivent résister.





On retrouve un côté parfois zombie au détour d’un tableau. Ce n’est pas la danse saccadée de morts-vivants du clip Thriller de Michael Jackson, mais tout de même...

Exactement. Et ce n’est pas une vue de l’esprit. Que cela soit les mouvements hectiques des zombies ou ce que je réalise chorégraphiquement, il s’agit de corps abandonnés et vivants dans le même temps. Par nature, un zombie est de ces êtres ne contrôlant plus son corps.

Il se révèle pourtant animer d’une force qui le fait encore bouger. Les corps sont accompagnés d’une dimension trainante, désarticulée. J’essaye de renouer avec la figure paradoxale du zombie, un corps qui semble se faire manipuler, actionner par une autre force que celle de la personne elle-même. Dans mes chorégraphies, j’apprécie les paradoxes. Ainsi celui d’être simultanément puissant, fin, léger et éminemment précis. Mais aussi d’être plein et vide dans le même temps.

Vous alternez les corps comme traversés de flux électriques avec une lenteur d’algues marines en suspension aquatique.

C’est mon ADN chorégraphique et ce que je nomme ma qualité zéro de mouvement qui peut se retrouver ici dans l’eau, là dans le corps composé de 65% de liquides. Dès lors, il est crucial de bien doser l’importance de puissance musculaire à insuffler dans un mouvement.

Si Dive est une réflexion sur soi, c’est bien que cette pièce marie des techniques très anciennes dans mon répertoire et d’autres parfaitement inattendues. Le mouvement peut se révéler, décomposé à l’extrême et travaillé dans une qualité de lenteur continue.





Parlez-nous du travail au sol des interprètes...

Ce tableau (intitulé au sein de l’équipe artistique, sniff, sniff) qui dévoile une ligne de corps étendus au plateau qui s’abaisse et se relève est parti de tout un travail sur la respiration. Le travail de répétition a débuté sur un exercice de ressentis réciproques en se sentant le nez et les bras.

Dès lors nous avons développé une forme de matière imaginaire qui se tisse et se répand entre les corps. C’est un mouvement respiratoire d’attirance puis de mise à distance qui anime littéralement les corps.

Et pour la dimension visuelle?

Coté scénographie, le choix s’est posé sur une scène nue sans pendrillons. Des tapis miroirs noirs brillants dit Hi-Shine sont placés au sol. Pour la ligne de corps déployés au sol, nous aurons donc le reflet des visages des interprètes sur cette surface.

En lien avec le titre de la création, Dive, le fait de plonger littéralement dans un espace en trois dimensions immerge dans un espace augmenté. Ayant œuvré au Grand Théâtre et à La Comédie (Genève), le créateur lumières Arnaud Viara assure une grande subtilité à cet univers réfléchissant.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Dive
Les 3 et 4 novembre à la Salle du Lignon, Vernier

Un spectacle de la Beaver Dam Company et de Edouard Hue

Dès 8 ans

Informations, réservations:
https://infomaniak.events/shop/qVLMQ9XxXU/events/977103/