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"On veut sentir une alchimie commune qui crée la "cinquième personne""

Publié le 20.10.2023

Propulsé sur la scène internationale après sa victoire au Concours de l’ARD à Munich en 2004, le Quatuor Ébène se produit partout dans le monde et fait partie des quatuors à cordes les plus acclamés. Depuis 2021, ils forment la relève et sont à la tête d’une classe de quatuor à cordes à la Hochschule für Musik de Munich, ville qui a connu leur plus grand succès. La présence de ce quatuor pour le Concours de Genève était alors une évidence.

Gabriel Le Magadure, deuxième violon du Quatuor Ébène, représentera sa formation et endossera le rôle de juré pour cette 77e édition du Concours de Genève. Tout juste revenu d’une tournée européenne, il revient sur ses expériences et ses attentes.



Vous aviez certains de vos étudiants dans les quatuors lors du premier tour. En reste-t-il dans les demi-finalistes?

Gabriel Le Magadure: Certains n’ont pas été retenus, mais il en reste. Je n’ai pas une grande carrière de juré, mais cela ne m'était arrivé qu’une fois avec les Barbican à Bordeaux. Et encore, je ne les connaissais pas tant; je ne leur avais pas donné 50 cours. Mais là, j'ai vu que j'avais cinq ou six groupes qui étudiaient avec moi, sur les quinze quatuors du premier tour. Je les connaissais de près ou de loin: certains étaient dans ma classe à Munich et d'autres avaient pris quelques cours privés.

Quand je m’en suis aperçu, j'ai tout de suite alerté le secrétaire général, Didier Schnorhk en disant « Voilà, j'ai une situation étrange. Qu'est-ce que, qu'est-ce que voulez que je fasse ?» Je leur ai même demandé si ma légitimité dans le jury était encore valable, parce que je ne voulais pas du tout être confronté à de la suspicion. Je connais mon impartialité et mon sens de la justice, mais les autres ne le connaissent pas forcément.

Je voulais que tout soit transparent dès le début, donc j'ai détaillé les quatuors qui ont bénéficié d’un ou deux ans de cours avec nous à Munich - c'est-à-dire cinq fois par an et de manière intense - et ceux que j’avais vus une ou deux fois. Didier m'a soumis une sélection de quatuors pour lesquels je n’avais pas le droit de vote lors du premier tour. Quand tu as seulement un élève qui passe le Concours, tu n’y fais pas tellement attention, mais quand ils sont cinq ou six, c’est important d’être transparent.



C’était prévisible. Quand on choisit un membre de jury qui a une classe de quatuor à cordes, c’est presque inévitable qu’il ait des étudiants dans le Concours.

Absolument! On a huit ensembles dans notre classe à Munich. Ils ont des niveaux très hétérogènes; certains sont débutants et d’autres confirmés, alors forcément, on retrouve des étudiants dans les petits ou les grands concours, c'est inévitable. Mais je suis très content, je trouve que le système a été très bon, et j'étais quelque part soulagé aussi, de ne pas avoir le droit de voter. C’est tout à fait normal, et de cette manière, je ne pouvais pas être taxé de partialité.

Vous disiez ne pas avoir l’habitude de faire partie d’un jury de Concours?

Avant Genève, le concours le plus prestigieux pour lequel j’avais siégé dans le jury était celui de Bordeaux en 2022, près de 20 ans après notre victoire. C’était très touchant, cela m’a rappelé beaucoup de souvenirs! Je me suis retrouvé de l'autre côté du miroir d’un concours international pour la première fois. C’était l’année de mes 40 ans, un peu comme un événement middle life.

C’est un honneur d’avoir cette reconnaissance et de se dire qu’un concours a envie d’avoir ton regard. Tu te sens investi d’une mission, avec des responsabilités vis-à-vis des candidats mais aussi des autres membres du jury. J'adore faire partie d’un jury, je trouve cela hyper intéressant. Pour la métaphore sportive, j’ai comme l'impression de participer à une Coupe du monde, un événement un peu sportif. Ce n’est pas tout à fait comme si tu regardais un match devant ton écran, mais j’y trouve une similitude.





Quelles qualités recherchez-vous dans un quatuor, qui diffèrent d’un concours instrumental individuel?

On veut sentir une alchimie commune qui crée «la cinquième personne». Les individualités doivent se mettre au service du groupe pour créer cette cinquième personne et réveiller un peu nos oreilles. Et puis personnellement, je cherche aussi quand même des identités et des choses qui vont me remuer.

Ce n’est pas qu'une histoire d'instinct, parce que ce serait trop facile de regarder cinq secondes d’un candidat et de se dire: «C'est bon, j'ai compris, c'est génial ou ce n'est pas génial.» J’ai vraiment regardé les vidéos très scrupuleusement. Par exemple, j’ai eu des coups de cœur sur des œuvres avec des quatuors, avant d’être déçu par l’œuvre suivante, et inversement.

C’est très important pour un futur gagnant d’arriver à jongler avec tous les langages. Le style classique, la base de tout, c’est essentiel, mais quand tu te retrouves avec du Bartók ou des pièces plus modernes, si tu n’as appris que le style classique, cela ne va pas t’aider à avancer. Je cherche des musiciens qui arrivent à montrer une polyvalence sans perdre leur identité et leur homogénéité. Les individualités peuvent être très intéressantes, mais s’il n’y a pas de liant, de travail d’équipe, cela ne marche pas. J’ai besoin de voir du beau jeu.

Le choix des demi-finalistes a-t-il été évident?

Le système de points proposé était vraiment bien et a mené a des résultats sans équivoque ; nous n’avons pas eu besoin d’argumenter longtemps. Quand on voit les notes - qui sont anonymes - on se rend tout de même compte que des quatuors ont séduit certains jurés et complètement déplu à d’autres. Les concours sont terribles; c’est très subjectif. C’est dur aussi pour des étudiants qui attendent beaucoup d’un résultat et sortent après le premier tour, par exemple.

Honnêtement, j’aurais rêvé qu’il y ait huit quatuors en demi-finale ; je suis un peu triste de voir qu’autant de personne se sont démenées pour faire des vidéos dans des conditions plus ou moins bonnes et de voir qu’ils n’iront pas sur place pour le reste. Je sais ce que c’est, de faire une vidéo, attendre un résultat... J’aurais aimé pouvoir permettre à plus de personnes de découvrir la vraie situation de concours. Mais les règles sont là pour limiter le nombre de candidats, c’est ainsi.

Vous ne faites pas partie des pro-vidéos?

Je ne suis vraiment pas favorable. Je comprends qu’il y ait des contraintes budgétaires, mais c’est terrible. Non seulement pour les candidats, mais aussi pour nous qui devons essayer de juger de la même manière des acoustiques très différentes. Il n’y a pas le jury, pas les applaudissements du public. Encore une fois, je me dis que c’est peu, que seulement six quatuors connaissent le côté galvaniseur du Concours en direct.

Les différences d’acoustiques posent beaucoup de problèmes?

C’est difficile. Quand nous avons un groupe qui joue extrêmement bien avec une mauvaise acoustique, et un groupe qui joue beaucoup moins bien, mais dans une acoustique sublime, cela peut fausser un peu le jugement; il faut faire attention. C’est "dangereux" , un quatuor à première vue exceptionnel peut décevoir en direct. Il y aura peut-être des surprises, mais c’est le jeu!

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Concours de Genève 2022
Quatuor à cordes et Flûte

Programme:
24 et 25 octobre, demi-finales Quatuor à cordes, récital 1, Conservatoire de Genève
26 et 27 octobre, demi-finales Quatuor à cordes, récital 2, Conservatoire de Genève
29 octobre, finale Quatuor à cordes, Victoria Hall
30 octobre, Concert des Lauréats, Temple de Jussy

30-31 octobre, demi-finales Flûte, récital, Conservatoire de Genève
1er et 2 novembre, demi-finales Flûte, avec orchestre de chambre, Conservatoire de Genève
4 novembre, finale Flûte, avec l'OSR, Victoria Hall
5 novembre, Concert des Lauréatas, Conservatoire de Genève

Informations, réservations:
https://www.concoursgeneve.ch


Jury du Concours de Quatuor à cordes:
Corina Belcea, présidente - William Coleman - Gabriel Le Magadure - Christian Poltéra - Lesley Robertson - Vineta Sareika - Lydia Shelley


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