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Ode amoureuse à deux voix

Publié le 04.10.2023

Ecrit et mise en scène par Tiago Rodrigues, Le Chœur des amants est à découvrir du 4 au 15 octobre à La Comédie de Genève. Sur un plateau dépouillé évoquant de loin en loin une forêt, Alma Palacios et David Geselson prennent la parole en harmonie, mais pas tout à fait. Leurs récits, bien que synchronisés, se heurtent à des souvenirs contradictoires et à des émotions nuancées. D’où une danse délicate partagée entre fusion et friction. Des différences subtiles émergent et les sentiments se contredisent, tout comme dans un chœur musical.

La pièce est un arpentage émotionnel inspiré de l'amour, ses hauts et ses bas, harmonies et dissonances. Ces voix tressées et parfois disjointes résonnent chacune à leur manière dans nos cœurs. Non sans ludisme, des thèmes essentiels sont abordés, la mort, la mémoire, la vieillesse. Et surtout le temps qu’il leur reste encore. En ce monde et au-delà. Ensemble ou pas.

Fuyant toute forme de routine, l'essence de la pièce réside dans la question de qui dicte le rythme lorsque les interprètes parlent en harmonie. Après avoir maîtrisé l'art de la parole chorale, Alma Palacios et David Geselson ont dû réapprendre à désynchroniser leurs actions, permettant ainsi au moment présent de se manifester sur scène. Entretien avec le comédien David Geselson.


Comment avez-vous abordé ce texte singulier?

David Geselson: Très simplement. Nous nous en sommes emparés, travaillant plusieurs semaines avec Tiago Rodrigues. L’essentiel de ces répétitions sur Le Chœur des amants a consisté à développer une grande écoute entre nous. Ce processus s’est réalisé de manière intuitive.

Il s’est ainsi construit entre nous une forme de dialogue secret sur la manière de se donner le lead ou la priorité dans la prise de parole. Par le rythme, s’est développé entre Alma Palacios et moi, une sorte de dialogue à l’intérieur même des échanges écrits par la pièce.



Vous avez aussi une chanson de gestes précis...

Cette partition gestuelle s’est aussi installée de manière progressive, impensée et intuitive. Il faut relever ici qu’Alma Palacios a une formation en danse contemporaine ayant passé par P.A.R.T.S., Ecole de danse contemporaine à Bruxelles co-dirigée par la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaker.

Nous avons ainsi souhaité travailler librement ce texte qui demande une intense incarnation d’un point de vue physique. Ceci en plus d’une réflexion sur les états émotionnels des protagonistes. A mon sens, le maître mot de ce travail a été la liberté. Car le cadre formel textuel de la pièce s’est révélé aussi puissant que libératoire.

Sur le rythme de vos échanges.

Tiago Rodrigues nous a fait des propositions rythmiques pour certains passages. Mais une grande partie de la manière de dire et passer la partition s’est faite à l’écoute mutuelle. Consistant à se suivre, l’exercice au plateau rejoue ce que c’est d’être un couple. Entre les interprètes, c’est une respiration commune. Se créent alors accords et désaccords. Il existe aussi des moments de pure magie où un accord se crée sur le silence, voire dans l’accélération des échanges.

Au sein d’un couple, l’on décide d’aller dans une direction avant de manifester parfois un désaccord. Il arrive que l’on suive l’un.e puis l’autre. Sans savoir qui a donné l’impulsion initiale. Or il se trouve finalement que nous allons réellement dans la même direction. Des moments de silence ou de ralentissement ont été proposés au cours du travail très collaboratif notamment par Tiago Rodrigues.





Une formule revient comme une ritournelle: «On va encore avoir du temps».

La pièce ouvre in fine sur une temporalité quasi éternelle lorsque les protagonistes s’intègrent physiquement à la forêt. A mes yeux, cela suggère qu’après la disparition des êtres humains, le vivant dont nous faisons partie ne disparait éventuellement que bien plus tard.

C’est un cycle perpétuel de vie et de disparition qui est alors mis en avant. Nous allons devenir terre nourrissant les arbres. A cet endroit, se lit et se raconte une forme de continuité du vivant. Comme interprète, je vis et ressens le temps sur un mode jubilatoire. C’est vertigineux. Une chose que l’on ne peut pas nous enlever se révèle précisément le temps. Ce texte permet aux amants de toujours de posséder réellement le temps. Cet objet de possession me parait nettement moins destructif que nombre d’autres.

Il est question d’une défaillance respiratoire chez elle.

S’il existe une maladie ou un accident dans la pièce, c’est plutôt en lien avec le temps qui passe. La vie humaine n’étant pas par essence éternelle, elle se trouve impactée par le temps. Cela comprend aussi le risque que quelque chose en soi se manifeste faisant perdre une capacité d’exister.

De fait, il y a un risque inaugural au spectacle, la question de la crise d’asthme. J’ai le sentiment que ce qui emporte le couple est le temps qui passe et non la maladie. La pièce ne raconte-telle pas toute une vie, une épopée en couple en un temps voulu court?

La pièce est divisée en chants comme un poème à deux voix.

Cette dimension a favorisé le fait pour les interprètes de se saisir du texte et de le travailler de manière très tenue et rythmique. A mon sens, ce côté poétique et chanté permet de développer dans le jeu une forme de naturalisme et de réalisme.

Ceci en étant cadré par une partition très formelle. De manière générale, le naturalisme me semble difficile à trouver dans le jeu. Et ce défi me plait beaucoup avec Le Chœur des amants qui donne précisément la possibilité de structurer une forme de naturalisme dans le jeu.





Comment cette pièce vous a-t-elle éventuellement ramené à votre vie de couple?

Elle met parfaitement en lumière le sentiment que l’on peut avoir en couple de penser à deux sur un certain nombre de réalités, situations et états émotionnels. La pièce m’a interrogé sur ce que c’est d’aimer, d’être aimé, d’être à deux. Et dans quelle direction profonde l’on va ou veut aller ensemble. Et pouvoir se le dire en secret.

Mais encore...

L’amour est un thème qui m’est cher. A ce titre, j’ai écrit, mis en scène et joué avec Laure Mathis la pièce Doreen, en tournée dont au Théâtre Forum Meyrin. C’est une plongée dans l’intimité du couple formé par philosophe André Gorz et son épouse Dorine, avant qu’il ne se suicide à 84 ans (lui) et 83 ans (elle) en septembre 2007. Je mets ainsi l’amour en question dans plusieurs de mes spectacles.

A un moment donné, votre tandem devient silhouettes noires.

Ce qui se joue alors est moins l’idée de disparaître que d’imaginer une sorte de devenir forêt pour les êtres humains en couple que nous jouons. La séquence est la fois concrète et symbolique avec ce grand rideau vert en fond de scène.

En se retirant vers cette surface verte, le couple humain en devient des formes. Elles se fondent ainsi dans un ensemble rappelant la forêt. Voici possiblement une manière de se reconnecter profondément au vivant dont nous faisons partie. Comme interprète, se manifeste ici une manière quasi physique de devenir la forêt.

Il s’agit là comme pour tout notre présent entretien de l’interprète que je suis qui s’exprime. Et non le metteur en scène, qui nous permet une grande liberté comme interprètes. Dès lors, ce sont des intuitions et parcours éminemment subjectifs au cœur d’une œuvre qui interpelle et questionne profondément le public d’après les retours que j’en ai.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Le Chœur des Amants
du 4 au 15 octobre à La Comédie de Genève

Tiago Rodrigues, texte et mise en scène
Avec David Geselson, Alma Palacios


Informations, réservations:
https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/choeur-des-amants