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La vie ne tient qu’à un fil

Publié le 09.10.2015

 

Stephen Mottram est un grand maître de la marionnette à fils dont l’univers fascine par le pouvoir de l’image. Au Théâtre des Marionnettes de Genève, il présente son solo The Seed Carriers («Les Porteurs de graines») avec lequel il sillonne l’Europe depuis plus de vingt ans, surtout l’Espagne et l’Italie. La pièce y est devenu un classique de l’art marionnettique.

Quand il n’est pas en tournée, le marionnettiste façonne lui-même comme un sculpteur ses petites créatures en bois dans son atelier d’Oxford. «C’est moi qui suis sur scène, mais ce n’est pas moi qui fais tout», nuance l’artiste pourtant polyvalent. Une grande partie du spectacle revient au compositeur Glyn Perrin. «Sa musique devient une partie physique du spectacle. Elle m’accompagne.» Melanie Thompson en signe la mise en scène et Jessica Shaw la scénographie, tient-il à préciser. Le créateur de lumières Kenneth Parry joue également un rôle important. «En fin de compte, c’est moi qui tourne avec le spectacle, mais nous sommes cinq à avoir travaillé dessus». D’où cette petite phrase qu’il nous dira d’une voix fragile, douce et timide, toujours en français: «Je suis un showman, un montreur. C’est mon déguisement pour assurer ma survie.»

 

La question de la survie est au cœur de sa pièce, qu’il a peut-être déjà jouée plus de trois cents fois. Pourquoi captive-t-elle autant? «Je ne sais pas, je me pose encore la question (rires). Il y a quelque chose qui plaît au public. Pourtant le spectacle n’est pas ‘plaisant’. Il traite de thèmes assez durs, comme la peur de la mort, le génocide, la vulnérabilité humaine. En même temps, les images sont fascinantes et belles. C’est aussi un spectacle très personnel que j’ai réalisé juste après le décès soudain de mon père. Peut-être y a-t-il une intégrité qui se transmet au public. Mon père était un des pionniers de l’informatique, dans les années 1950. Il travaillait tout le temps, puis un jour il est mort. Je me suis demandé ce qu’il avait fait de sa vie. J’ai essayé de ne pas reproduire la même chose, même si la mienne est aussi dominée par mon travail. Mais mes enfants pensent que je ne fais rien, que les marionnettes ne sont qu’un jeu (rires).» C’est sans doute aussi pour cela que Stephen Mottram choisit définitivement la voie artistique qu’il démarre tout à fait par hasard alors qu’il étudie les relations internationales et la paix il y plus de trente ans. Il a suffi d’un courrier arrivé à la mauvaise adresse pour que sa bourse d’étudiant en Suède lui permette de s’inscrire aux Beaux-Arts plutôt qu’à la faculté des sciences politiques. Là, il se consacre à la peinture et à la sculpture. D’où peut-être aussi le fait qu’il conçoive sa pièce davantage comme une installation, proposant à son public de découvrir ses marionnettes sous forme d’expo à la fin de chacune des représentations.

 

Tels les êtres hybrides de Jérôme Bosch

Les marionnettes de Stephen Mottram paraissent être des humains, mais ressemblent à des insectes ou à des végétaux. «Elles sont d’ailleurs conçues pour n’opérer qu’un mouvement.» L’araignée grimpe au mur mais ne peut pas marcher. Les graines précieuses qu’elles renferment deviennent des petits personnages, de fait menacés. «L’idée qu’on est toujours vulnérable à l’attaque des autres parce qu’on contient quelque chose de précieux fait très peur». Les toiles de Jérôme Bosch ont beaucoup influencé le marionnettiste: ses grandes figures habillées et celles, petites, qui possèdent toutes le même visage mais qui sont nues. Ses créatures hybrides, moitié homme, moitié oiseau, également. «On a procédé un peu de la même manière dans le spectacle.» L’artiste a une belle formule pour évoquer la similitude avec l’œuvre du peintre flamand: «paysages de désespoir». «Ses toiles sont des rêves et des cauchemars. Où les personnages représentent l’homme vulnérable. Ils nous représentent, peu importe qui ils sont. La thématique est très dure et choquante. J’espère que The Seed Carriers possède aussi cette qualité, et la beauté», confie l’artiste avec modestie.

 

 

Le mouvement comme outil

La question du mouvement et de l’image fascine aussi Stephen Mottram. «On voit un mouvement, mais c’est une image qui reste imprimée dans la mémoire (‘movement image’). A l’inverse de la danse, où le mouvement change perpétuellement avec le même interprète. Ici, il est conçu dans la marionnette même.» Sans doute grâce à son travail avec les automates, une partie de la magie et de la poésie opère-t-elle dans sa pièce. «Tout en haut, le moteur tire sur le fil, et à l’autre bout se trouvent par exemple des petits sacs qui contiennent des marionnettes se balançant dans l’air. Ces automates possèdent un comportement moins mécanique et plus organique», poursuit l’artiste ayant étudié le mime et le mouvement au Théâtre national de marionnettes de Budapest au début de sa carrière. «Le mouvement même est l’outil utilisé dans le théâtre de marionnette pour s’écarter de l’idée que la marionnette est tout.» Les automates ne sont d’ailleurs là que pour faciliter le travail extrêmement rigoureux du marionnettiste. «Quand je suis sur scène, il y a cent-quarante petits fils autour de moi. Et je suis dans le noir complet. Je dois faire très attention à ne pas les toucher.»

 

L’influence de Kantor

La littérature a-t-elle aussi inspiré Stephen Mottram? «Pas vraiment. Les idées sont venues entre Glyn Perrin et moi. On s’est par exemple référé à l’agriculture du Moyen-Age. Il est intéressant de voir que les paysans donnaient un nom à leurs vaches, Daisy par exemple. C’est en même temps étrange.» Il est une autre influence, décisive celle-là, qu’évoque le marionnettiste: «J’ai vu le travail de Kantor à Londres deux ou trois fois. A l’époque, ça a été très formateur. Il jouait beaucoup avec l’idée que quelque chose n’est ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant. Il était toujours sur le fil du rasoir. Evidemment, on sait que la marionnette n’est pas vivante. Mais on peut s’amuser avec la perception du public. D’un côté, on est dans le monde des vivants, de l’autre pas.» Avec The Seed Carriers, le vivant l’emporte-t-il sur les morts? L’artiste hésite. «Une chose est sûre, c’est que je suis vivant», sourit Stephan Mottram.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

The Seed Carriers, Théâtre des Marionnettes de Genève du 09 au 18 octobre 2015. Renseignements et réservations au +41.22.807.31.07 ou sur le site du Théâtre www.marionnettes.ch

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