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La douceur des chambres froides

Publié le 10.10.2018

 

Co-directeur de la Comédie de Genève, Denis Maillefer invite aux pompes funèbres. Son spectacle Mourir, dormir, rêver peut-être propose une visite documentée et onirique d’un territoire que chacun préfère d’habitude ne visiter que contraint. Créée le printemps dernier à l’Arsenic de Lausanne, la pièce ouvre une porte sur la préparation des corps, sur la découverte des compétences et de l’adresse des employés, mais aussi sur un aperçu de leur existence.

Mourir, dormir, rêver peut-être commence comme la visite d’un territoire banalement interdit, puis, d’explications en monologues, il amène le spectateur à se poser des questions inattendues: à quoi rêvent les employés des pompes funèbres? Le spectacle les montre attentifs et sensibles par nature. Aucun auteur n’a présenté Charon sous des traits aussi doux. A découvrir pour l’éternité, mais jusqu’au à la Comédie jusqu'au 21 octobre.

 

Le sujet appelle-t-il le théâtre documentaire?

Je parlerais plutôt d’un spectacle documenté. J’ai suivi une petite entreprise de pompes funèbres, travaillé l’équivalent d’une grosse semaine avec eux, rencontrés d’autres professionnels. D’abord je voulais mener des interviews, mais finalement, je tirais des textes d’un mot, d’une situation, d’un témoignage. Je dirais que tout est plausible, que la plupart est réel, mais que cela vient de moi. Pour prendre un exemple, j’ai entendu un employé dire bonjour à un mort, j’ai rédigé un monologue à partir de là, et je suis sûr que certains, en pensées, s’adressent au mort pendant leur travail.

 

Il y a une volonté de présenter, de faire vivre sur scène ce travail, cette profession dans le détail.

C’est l’aspect documentaire. Cela pourrait par moments s’apparenter à une présentation du métier à des apprentis, à des personnes intéressées par la profession. J’ai apprécié découvrir tout ce qui est lié à la technique du travail. Ce n’est pas dans la pièce, mais j’ai réalisé qu’en surélevant les coudes avec du carton, l’attitude du corps dans le cercueil est plus naturelle. Il y a le truc pour que les deux mains soient réunies. Il y a des techniques qui s’apparentent à du bricolage.

 

Comme dans le théâtre, où le décor est en carton, et où il faut que cela fasse vrai le temps de la représentation.

Oui, et ce n’est pas forcément un parallèle auquel j’avais pensé tout de suite. Cela m’a frappé lors du soin apporté à une préparation florale dans une église. Un croque-mort m’a dit: «Qu’en penses-tu, toi qui a l’œil?» Mais j’aime vraiment, en général, les spécialistes, les pros, les compétences. Si nous étions maintenant, vous et moi, chargés de préparer et d’habiller un mort, même si j’ai appris un peu, ce serait catastrophique. On finirait sans doute par y arriver, mais ce ne serait pas montrable. Un pro sait s’y prendre, peut le faire devant des tiers, cela semble simple, paisible.

 

On a des employés des pompes funèbres une image de professionnels dignes et assez lisses. Le spectacle s’attache à leur conférer une grande part d’humanité. Je pense aux passages ou l’un ou l’autre employé évoque un mort qu’il n’arrive pas à oublier.

Je ne suis pas d’accord, j’ai toujours été frappé par leur empathie. D’un côté, ce sont des gens qui aiment le service – comme dans l’hôtellerie ou la restauration, le bien-être du client est important. Mais dans leurs échanges avec les familles, je suis frappé par leur grande capacité d’écoute et d’adaptation. Il n’y a rien de familier, mais il y a quelque chose de familial dans les discussions. Lorsque, comme je l’ai vu, un membre de la famille prend dans ses bras l’employé des pompes funèbres à l’issue de la cérémonie, l’émotion était partagée.

 

 

Le spectacle présente des individus très sensibles. C’est votre expérience?

Oui. Il y a une écoute et une douceur. C’est un métier qui exige de la concentration, ce n’est pas possible d’être dispersé quand on parle avec la famille. Cette présence se manifeste aussi dans la préparation des corps. Je n’ai pas entendu des gens qui parlaient du match de la veille ou qui faisaient des plaisanteries dans ces moments-là.

 

C’est aussi un métier difficile à assumer socialement.

On a pas toujours envie de le dire à tout le monde. Mais il n’y a pas que ça. Je suis personnellement sensible à la géographie intime, par les lieux qui restent marqués par un souvenir, souvent amoureux, ce qui rend agréable ou pénible d’y retourner, de passer devant. Par transposition, cela doit être particulier d’avoir un rendez-vous dans un immeuble où on a levé un corps. Dans une petite ville, les télescopages sont multiples.

 

Est-ce que votre spectacle aborde le Sacré?

Sans doute en creux. Dans la scène que nous avons évoquée et dans laquelle l’employée parle au mort en des termes qui laissent à penser qu’il y a quelque chose après. Dans la mise en scène aussi. Je ne voulais pas monter un documentaire. Le cinéma et la télévision l’on fait à de nombreuses reprises. Le théâtre peut fourbir d’autres armes, plus de sensibilité notamment. Cela passe aussi par l’éclairage, les lumières deviennent progressivement plus chaudes, plus oniriques. Nous avons fait en sorte que les comédiens puissent parler doucement. Il y a je crois quelque chose de l’ordre du cérémonial.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

Mourir, dormir, rêver peut-être, une pièce écrite et mise en scène par Denis Maillefer / Cie Théâtre en flammes à découvrir du 9 au 21 octobre à la Comédie de Genève.

Renseignements et réservations au +41.22.320.50.01 ou sur le site du théâtre www.comedie.ch

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