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Western théâtral au Théâtre du Loup

Publié le 07.12.2018

 

Immersion dans l’ouest sauvage américain avec la Fribourgeoise Jacqueline Corpataux, qui dirige seule le Théâtre de l’ECROU depuis 1999. Cette compagnie suit la démarche singulière qu’elle a entreprise à ses débuts en 1987, s’ouvrant toujours à de nouvelles formes d’approches théâtrales, au gré des désirs et des coups de cœur l’emmenant en Suisse, en France, en Tchécoslovaquie et jusqu’en Russie.

Avec Wild West Women (2015) de Caroline Le Forestier, elle a choisi d’allier le monde du théâtre et celui du bruitage, pour créer un univers propice à l’imagination. Trois femmes assoiffées de liberté vous emmèneront dans les grandes plaines du Far-West par l’Oregon Trail, la piste de l’Oregon, la seule voie terrestre franchissant les montagnes Rocheuses au 19ème siècle, sur laquelle elles rencontreront plus de soixante personnages, mais aussi des bêtes sauvages, des intempéries et des épidémies de toutes sortes. Un périple écrit sous la forme d’un feuilleton en neuf épisodes de 25 minutes, donné dans son intégralité chaque soir, au Théâtre du Loup à Genève du 14 au 16 décembre 2018.

 

À l’heure où les images inondent nos quotidiens, vous avez choisi le son comme fil conducteur de cette création singulière.

Le bruitage en général ne se voit pas, même si pourtant, les images qu’il fait naître sont parfois bien plus fortes que celles qu’on nous impose sur un écran de cinéma, parce qu’elles provoquent l’imaginaire.

Par ailleurs, on croit que les bruitages sont faits aujourd’hui exclusivement avec des machines électroniques, mais ce n’est pas le cas: on utilise toujours des bruiteurs car les bruits faits en direct ont une autre qualité, créent une autre ambiance. Les sons donnent une force évidente au spectacle, singulière et inédite.

 

Vous avez travaillé sur la dissociation des sens chez le spectateur: ce qui est donné à voir n’est pas ce qui est donné à entendre.

C’est précisément cette dichotomie qui amène le jeu et convoque l’aspect ludique tout autant que l’imagination. Le son propose un univers de narration réaliste alors que ce qui est donné à voir dévoile complètement la machinerie et les artifices théâtraux: quelques accessoires pour incarner une soixantaine de personnages en route sur ces 3200 km de l’Oregon Trail qui amenait les pionniers vers l’Ouest.

 

Au centre de la scène, entre la comédienne Catherine Bussière et vous, la bruiteuse Caroline Le Forestier, qui se trouve également être l’auteure du texte, une double casquette peu communeà l’image du spectacle.

Pour le moins! Rien n’est commun ou banal dans cette aventure. Wild West Women était à l’origine destinée à passer sur les ondes quand cette pièce a croisé notre chemin et celui de la scène.

Avec Catherine Bussière, une complice de longue date avec qui je souhaitais à nouveau collaborer, nous avions cette envie commune de travailler autour du bruitage que nous apprécions particulièrement. Nous avons alors contacté Caroline Le Forestier dont nous avions pu apprécier le travail en 2010 lors de sa première collaboration avec le monde du théâtre auprès de Plonk et Replonk pour la pièce Dernier thé à Baden Baden mise en scène par Andrea Novicov. Hasard heureux, elle venait d’écrire le premier volet d’un feuilleton qu’elle comptait soumettre à France Culture pour qui elle a souvent écrit.

Nous nous sommes toutes trois rencontrées à Paris, et nous avons tout de suite senti le potentiel de cette histoire, sans avoir réellement pris toute la mesure de l’aventure que nous allions débuter à cette époque-là. Caroline a écrit un deuxième épisode, puis un troisième, un quatrième et enfin un neuvième épisode, ce qui aurait pu nous faire peur, mais elle a su nous convaincre: «on ne peut pas raconter l’histoire de l’Oregon Trail, 3200 km, en deux épisodes, c’est impossible.»

Wild West Women est la première pièce sur laquelle Caroline travaille à la fois en tant qu’auteure et bruiteuse, et quelle réussite!

 

 

«L’Amérique est fondée sur des femmes qui ont des couilles en béton!!!» disait Sergio Leone, le père du western spaghetti, une image que vous prêtez volontiers aux trois héroïnes de ce spectacle.

Cette phrase mérite une vraie réflexion: faut-il "en avoir" pour exister et pour s’imposer? Aujourd’hui encore, les femmes fortes sont toujours comparées à des hommes, un des clichés desquels, qu’on le veuille ou non, il faut bien s’accommoder (rires). Quand on parle de résistance par exemple, il semble que ce terme renvoie invariablement à un attribut masculin. Pourquoi la femme ne pourrait-elle pas dans sa féminité et dans sa force de femme, exister avec des racines, ses désirs, sa détermination, sans qu’elle soit assimilée à un couillu?

Dans la plupart des westerns d’hier et d’aujourd’hui, on cantonne la femme dans le rôle d’une nunuche aux grands yeux épatés qui accompagne les héros de cette Amérique triomphante. Caroline a choisi de placer la femme au cœur d’un genre qui ne lui donne pas forcément une place de choix. Ainsi, elle s’inspire de faits et de personnages réels qu’elle a puisés dans les écrits d’Howard Zinn, un historien américain mort en 2010, qui avait raconté l’histoire du point de vue des "petites gens" dans son ouvrage Une histoire populaire des États-Unis, des origines au 20ème siècle, ou comme il le dit lui-même: «du côté du lapin et non du chasseur.»

Les femmes à cette époque ont donné parfois de leur vie pour acquérir une liberté à laquelle elles n’avaient pas accès, une valeur universelle qui trouve encore écho aujourd’hui. Issues de milieux différents, ces trois femmes subissent toutes une forme d’esclavage dont elles vont chercher à s’affranchir en prenant la fuite vers l’Ouest, vers une dignité à laquelle elles aspirent à tout prix.

Caroline a su mêler finement la fiction à cette réalité en truffant le spectacle des personnages spécifiques au western: truands, gardiens de prison, Indiens, shérifs plus ou moins avinés, pasteurs totalement allumés, toutes ces figures qu’on aime retrouver dans ce genre et qui nous font bien rire.

 

Dans ce cas, on peut s’attendre à des règlements de compte à la carabine Winchester.

Bien sûr (rires), et pas qu'à la Winchester! Le lobby des armes en Amérique ne vient pas de nulle part, il s’est construit sur elles. Sans elles, l’Amérique ne serait pas ce qu’elle est.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Wild West Women de Caroline Le Forestier dans une mise en scène d'Augustin Bécard est à voir et à entendre au Théâtre du Loup à Genève du 14 au 16 décembre 2018.

Renseignements et réservations au +41.22.301.31.00 ou sur le site du théâtre www.theatreduloup.ch

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