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Vie adolescentes secrètes

Publié le 22.04.2023

Off est un spectacle déambulatoire en plein air, composé de douze stations de dix minutes. Il permet à des adolescent.es de partager leurs rêves, rencontres, aspirations, immersions et paradoxes.

Créé par Antoine Frammery, l’opus est présenté dans le cadre de la programmation du Théâtre Am Stram Gram du 27 avril au 14 mai. L’homme de théâtres (scène traditionnelle, dispersante, multiple, déambulation en rues, immeubles et appartements...) est un artiste bien connu, membre des Compagnies Les Trois Points de Suspension et 3615 Dakota. N’ont‐elles pas l'art d'allumer les mèches d'un rire surréaliste, dadaïste, effervescent et doucement iconoclaste?

Cette création est le fruit d'une collaboration artistique entre l’artiste et des jeunes âgé.es de huit à dix‐huit ans. Non sans ludisme, burlesque, les tableaux abordent des sujets tels que le fantastique, le suicide, les réseaux sociaux et un monde sans adultes. Ces sujets sont présentés avec un cliffhanger et un souvenir à emporter pour susciter l'intérêt des spectateurs.trices. Le chanteur punk de variété apocalyptique légendaire Didier Super y campe le rôle des Méchants.

Super est renommé pour ses textes crus et humoristiques, parodiques et corrosifs. Il est capable de transfigurer les sujets sanctuarisés aujourd'hui par la morale, le wokisme et la bienséance en dérision ravageuse. Voici une expérience permettant aux adolescent.es de partager leur vision du monde. Ceci avec un mélange d'humour, d'émotion et de critique sociale. Échange avec Antoine Frammery.



Comment est né Off?

Antoine Frammery: À l’époque, je faisais des cours de réenchantement de deux tours d’horloge pour des classes du Cycle genevois comme intervenant scolaire afin de faire valoir d’autres points de vue - à l’invitation d’enseignantes et enseignants. C’est ainsi qu'est né le Collectif Merlin rêvant de cours d’humour, de solidarité et de poésie, et regroupant des Profs, qui est à l’initiative de ce spectacle.

A leur demande, j’ai écrit Off pour leurs élèves. Désireux de sortir de certaines formes théâtrales convoquant l’univers ado, j’ai cherché une formule dramaturgique où chaque jeune aurait successivement le rôle principal et puisse partager le même statut. Visité par des groupes de spectatrices et spectateurs qui tournent, chaque jeune donne son spectacle en boucle.



De quelle manière se déroulent vos cours de réenchantement?

C’est l’occasion de travailler sur les rêves en partant de cette interrogation essentielle posée lors de me cours: Quelles sont tes rêves d’accomplissement dans la vie? Ceci sans limites de budget ou de temps dans l’idée de pouvoir réaliser ses rêves et se réapproprier sa vie. En réalité, tout ce que l’on veut faire est du domaine du réalisable. Il suffit de trouver alors la motivation et l’argent, l’envie et le temps. C’est une manière de suggérer aux élèves que mêmes leur souhait de changer le monde est réalisable, à leur échelle toutefois.

Pourquoi n’est‐il pas envisageable, désirable que des élèves de douze à quinze ans puissent rééduquer le monde ayant encore ce merveilleux en elles.eux que nous, adultes, avons parfois perdu à travers nos échecs et problèmes? De fait, ces adolescent.es ont une forme de message à faire passer au monde. Avec leur pulsion poétique et humaine, tout ce que ces jeunes veulent dire et prouver est du domaine du faisable. Cette dimension pourrait‐elle aider les adultes à accomplir leurs propres rêves et sauver le monde? Je le crois sincèrement.

Tout est possible, vraiment?

Je leur ai demandé s’ils.elles voulaient faire une fin scandée un concert sur le toit d’une limousine, c’est possible. Réaliser une salle emplie de jeux vidéo? C’est possible. Souhaiter concevoir une Maison de l’horreur pour y emmener les adultes? Encore possible. Imaginer une salle où des migrants sont logés et nourrissent le spectacle? Toujours possible.

Off est une création à chaque reprise qui voit les jeunes la réécrire en ma compagnie, convoquant leurs envies réelles et aspirations générationnelles. Et non vues depuis l’âge adulte. Nous travaillons ainsi une année sur leurs rêves puis messages et. Enfin nous explorons l’univers dans lequel ces jeunes aimeraient vivre et évoluer s’il n’y avait plus ni adultes ni contraintes.





Votre approche est‐elle dystopique comme dans la série tv The Society, qui voit des adolescent.es tenter de survivre avant de sombrer dans la violence au cœur d’une bourgade coupée du monde alors que les adultes en ont mystérieusement disparu?

Ce n’est pas une écriture théâtrale franchement de thriller dystopique ou fantastique. Même si le film La Guerre des boutons d’Yves Robert concerne l’enfance insouciante sous l’Occupation en France, on serait plus proche de cet esprit dont il émane un appétit de vivre et de s’amuser. J’ai eu le souci de ne pas idéaliser les jeunes comme porteurs de messages. D’où le souhait d’interroger aussi leur médiocrité, les failles, travers et problèmes parfois futiles.

Au sein d’une société dénuée d’adultes, les mêmes rapports de forces seront‐ils reproduits? Le capitalisme et les inégalités sociales perdureront‐ils? Ou parviendra‐t‐on à penser les choses autrement?

Il existe une dimension générationnelle...

Assurément. On a pu constater sociologiquement depuis une dizaine d’années l’apparition d’une génération dite fluide. Elle voit toujours plus de jeunes déconstruire les normes de genre et les valeurs associées aux catégories femme et homme. Elle se révèle fort ouverte, moins romantique et affectivement dépendante. Non‐violente et à l’écoute, nous avons là une nouvelle jeunesse, très engagée, militante et morale.





Comment est alors vue la vie?

Elle est à l’image d’un buffet gratuit d’émotions et moments. Comme dans nombre de ses cocktails dinatoires, les serveurs sont absents. Et les jeunes sont conscients qu’il faut aller chercher ce que l’on désire. Cette génération se montre éminemment critique envers les autres générations antérieures, les boomers et leurs enfants accusés d’avoir détruit la Terre et mis le devenir de l‘humanité dans une impasse polluée avec force guerres et colonisation anthropocène des Mers et Terres. D’où l’aspiration à un dialogue d’égal à égal et respect mutuel avec le non‐humain, la nature, mais aussi d’autres êtres humains.

Vous pouvez compter sur la participation de l’auteur‐compositeur‐interprète, comédien adepte du théâtre de rue et humoriste français Didier Super.

L’artiste est aussi très engagé socialement sur les réalités des migrants et les inégalités. À mes yeux, il représente par excellence cette antique tradition de la bouffonnerie française. Elle peut participer d’une veine de spectacles engagés et militants mais point trop moralistes. Il me semble parfaitement évitable de produire des spectacles autour de valeurs alternatives ou non, style l’égalité entre les genres, le respect de toutes les minorités, la bienveillance généralisée comme nouvelle religion... sur lesquelles un consensus se forme spontanément. Ceci surtout dans les créations dites jeune public.

Quant à lui Didier Super peut incarner et passer différentes figures liées au Mal - ou faire croire qu’il est le facho, le raciste ou l’adulte s’opposant aux jeunes - et à des sujets trop souvent tabous (le suicide, l’automutilation…). Ceci pour mieux les subvertir, les transgresser et les critiquer à travers des textes un peu trash. Contre le politiquement correct, je souhaite ainsi que le spectacle permette de retrouver cette spontanéité, cette impulsivité voire cette audace qui ont notablement déserté le monde adulte.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Off
Du 27 au 30 avril au Théâtre Am Stram Gram, Genève

Antoine Frammery, écriture et mise en scène
Adrian Filip, Fadi Hamdan, Loucine Dessingy et les élèves des classes de 9ème, 10ème et 11ème des cycles de Budé et de l’Aubépine (Genève), aide à l'écriture et jeu
Et avec Didier Super, Mylène Barthassat, Malou Volkoff, Jonas Brülhart

Informations et réservations:
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/off

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