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Vampire, vous avez dit vampire?

Publié le 18.11.2016

 

Frissons garantis du 19 au 29 novembre à l’Opéra des Nations à Genève. Le metteur en scène Antú Romero Nunes, Matthias Koch, le scénographe et le dramaturge Ulrich Lenz signent une adaptation de l’œuvre originale Der Vampyr de Heinrich Marschner (1828), d’une modernité rare. S’inspirant des films de David Lynch, une musique additionnelle de Johannes Hofmann viendra notamment aiguiser cette tension de l’angoisse et la recherche du frisson chers à Marschner. Daniel Dollé, conseiller artistique et dramaturge du Grand Théâtre de Genève, revient pour nous sur les particularités de cette œuvre trop peu jouée du romantisme allemand.

 

 

Sur la scène de l’Opéra des Nations, nous retrouverons l’islandais Tómas Tómasson (Ndlr: le voyageur dans Der Ring Des Nibelungen de Wagner en 2014) dans le rôle-titre de Lord Ruthven, un baryton exceptionnel pour un rôle exigeant. À ses côtés, la soprano américaine Laura Claycomb (Malwina) et le ténor américain Chad Shelton (Sir Edgar Aubry) seront accompagnés par l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par le chef américain Ira Levin. Cinq solistes réunis autour d’un vampire chantant, tantôt gentleman, tantôt démoniaque.

 

Créature surnaturelle séductrice ou mort-vivant terrifiant, quel genre de vampire le public découvrira-t-il à l’Opéra des Nations?

Nous allons voir un vampire archétypique qui devrait donner la chair de poule, tout en faisant sourire tant il est excessif. Paria dans le monde des vivants comme dans celui des morts, il n’a plus que quelques heures pour trouver trois victimes dont la mort lui permettra de "survivre" une année encore; ce pourquoi il est évidement prêt à tout. Ce vampire n’est pas que le gentleman du récit de John Polidori, il porte également en lui l’essence du vampire balkanique et même celle de Frankenstein.

 

Quelle place tient cet opéra dans la période du romantisme allemand?

Cet opéra de Marschner s’est retrouvé éclipsé par le Freischütz (1821) de son mentor Carl Maria von Weber et Der fliegende Holländer (Le vaisseau fantôme ou Le Hollandais volant) (1843) de Richard Wagner. Ce dernier, qui a dirigé Der Vampyr, s’en est clairement inspiré pour créer Le vaisseau fantôme où on retrouve des situations analogues. Par exemple, "l’homme pâle" qualifiant le Hollandais se réfère indubitablement à une des caractéristiques du visage du vampire. On retrouve également transposée la scène du père de Malvina lui présentant son futur époux sans savoir que c’est un vampire, dans celle où Daland, le père de Senta, présente le Hollandais à sa fille, sans savoir qui il est vraiment. Si nous retrouvons une articulation similaire dans la trame des histoires du romantisme allemand, le vrai trait d’union se trouve dans sa forme musicale en lien avec le surnaturel. Marschner a poussé le romantisme élégiaque, qui touche à des fondements de la vie comme la vie et la mort, vers un romantisme de frisson.

Dans le Freischütz de Weber, c’est un humain qui signe un pacte avec des forces maléfiques pour conquérir la femme qu’il désire et l’issue ne déroge pas au deus ex machina qui remet tout dans l’ordre des choses. Marschner a souhaité développer cette idée en emmenant son héros dans l’au-delà, quittant le romantisme de la souffrance pour aller vers le surnaturel, interroger l’après-vie. Wagner est quant à lui revenu un peu en arrière avec son personnage du Hollandais, moins intransigeant que le vampire, il est lui également rejeté par la société, n’ayant droit d’accoster avec son bateau qu’une fois tous les sept ans. Il pourrait pourtant rompre cette malédiction d’errance sur les mers, en trouvant une femme qui lui resterait fidèle jusque dans la mort.

 

 

C’est une version très moderne de cette œuvre que proposent le metteur en scène Antú Romero Nunes et son équipe.

Au terme de modernité, je préfèrerais, le terme de vision, de lecture contemporaine d’une œuvre du passé qui ne vit que grâce aux regards qui lui sont portés. L’équipe de création fait partie de la nouvelle génération de concepteurs à laquelle l’opéra fait appel aujourd’hui, allant toujours plus loin dans l’innovation. Ici, les éléments constitutionnels du livret original ont été repris, mais une bonne partie des dialogues, typiques du Singspiel, ont été supprimés au profit de la musique additionnelle de Johannes Hofmann, inspirée des musiques et bruitages du cinéma contemporain. D’ailleurs, tel un déroulé filmographique, la représentation ne dure plus qu’une heure et quart, sans entracte, au lieu de deux heures et quart.

 

Une manière de toucher un plus large public également?

Le public fait toujours partie de l’équation lorsqu’on aborde une œuvre. Que veut-on montrer à travers elle? En l’occurrence, cette pièce s'inscrit dans l'année du bicentenaire de Frankenstein fêtée dans plusieurs lieux culturels de Genève. A travers elle, nous avons souhaité rappeler que la figure du vampire était née dans notre région, et plus exactement à Cologny, chez Lord Byron, une soirée de tempête de mai 1816. En compagnie de ses amis écrivains Mary Shelley et John Polidori, le Lord proposa que chacun imagine une histoire à faire frémir, pour l’une ce fut Frankenstein et pour l’autre The Vampyr. Comme eux, notre défi a été d’écrire une histoire qui prend sa source dans l’avènement de la figure angoissante surnaturelle qui a essaimé vers tous les arts et continue de le faire sporadiquement, et de lui donner un côté résolument contemporain en allant à l’essentiel, laissant les épigones de côté au profit d’un vrai théâtre musical né de la réunion d’un dramaturge, d’un metteur en scène et d’un musicien d’aujourd’hui.

 

 

Peut-on dire qu’il n’y a pas de fantastique sans sentiment d’angoisse?

L’angoisse accompagne naturellement tout ce qui relève du paranormal. Omniprésent dans notre culture, ce sentiment de frisson peut apparaître lors de la visite d’un manoir hanté, mais il se manifeste également au moment où un dresseur de fauves entre dans la cage ou lorsque le voltigeur s’élance dans les airs. C’est un besoin de sortir de l’ordinaire et d’aller vers l’extraordinaire. Le frisson, le para-normal et le surnaturel appartiennent à un monde intemporel. Ils n’ont pas toujours la même expression, mais il me semble qu’ils correspondent à un besoin.

Dans un monde qui chaque jour nous surprend et devrait nous interroger, nous sommes entourés d’Êtres dont nous ne comprenons pas toujours le langage. Les vampires sont toujours d’actualité, mais ils ont changé d’allure. A l’Opéra des Nations, vous rencontrerez des zombies, une armée d’Êtres inquiétants qui déferlent sur le monde et que rien ne saurait arrêter. En septante minutes vous vivrez une histoire qui touche à nos angoisses primordiales et qui joue avec la peur sans oublier la dérision.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Der Vampyr de Heinrich Marschner, mise en scène Antú Romero Nunes, à voir à l’Opéra des Nations à Genève du 19 au 29 novembre 2016.

Renseignements et réservations au +41.22.322.50.50 ou sur le site www.geneveopera.ch

 

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