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Un si gentil garçon au Grütli: les violences sexuelles au cœur du débat

Publié le 29.03.2018

 

Un si gentil garçon c’est d’abord un roman de l’espagnol Javier Gutiérrez. L’ouvrage est unanimement salué par la critique espagnole lors de sa sortie en 2012 mais c’est un peu par hasard qu’il tombe entre les mains du metteur en scène Denis Lavalou, qui le remarque à cause de sa couverture intrigante en flânant dans une librairie. À peine la lecture terminée, il s’empresse d’amener l’ouvrage à son compère Cédric Dorier. Après un travail de plus de trois ans, les deux co-metteurs en scène nous présentent Un si gentil garçon au Théâtre du Grütli du 5 au 15 avril.

On nage en eaux troubles avec ce récit qui nous plonge dans la scène rock du Madrid des années 1990 où les excès de trois amis auront des conséquences indélébiles sur leur vie et celle de nombreuses femmes. L’adaptation de ce roman était une démarche artistique mais aussi sociale pour Denis Lavalou et Cédric Dorier qui ouvriront le débat sur les violences sexuelles. Co-metteur en scène et auteur de l’adaptation, Denis Lavalou évoque cette production.

 

La pièce présente le cheminement de Polo, «un si gentil garçon» qui a mal tourné…

L’histoire à la base de la pièce s’est passée quinze ou vingt ans auparavant, dans la jeunesse des personnages. Polo et deux amis ont monté un groupe de rock alternatif à Madrid autour de 1995 et la sœur de l’un deux, Bianca, en devient la chanteuse. Lors d’un concert, deux jumeaux pervers leur proposent d’enregistrer un album et la soirée se termine chez eux avec force drogue et alcool. C’est là que l’un des jumeaux incite Polo à violer Bianca alors qu’elle est droguée au Rohypnol. Un phénomène addictif se crée et, pendant près d’une année, des filles sont endormies et violées dans ce milieu et les agresseurs n’arrivent pas à arrêter. Le groupe est finalement dissout et certains finissent emprisonnés. Nous retrouvons Polo au début de la pièce alors qu’il croise son ancienne victime Bianca dans la rue.

 

Votre co-metteur en scène, Cédric Dorier, interprète le rôle principal de Polo dans cette pièce centrée sur l’agresseur. La trame vise-t-elle une possibilité de rédemption pour lui?

Cédric et moi étions d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de morale dans le roman qui laisse la porte ouverte à cette question. Nous nous arrêtons au moment de l’aveu du crime mais on ne sait pas ce qu’il se passe ensuite et cela m’intéresse de savoir comment les spectateurs verront cela lors de la table ronde avec des spécialistes organisée le 12 avril à l’issue de la représentation. L’important dans la pièce est le chemin qui va du déni jusqu’à l’aveu en passant par tous les mensonges que Polo raconte pour s’éloigner de sa propre culpabilité.

 

 

Quel est l’axe d’évolution de Bianca et de Gabi, les deux personnages féminins?

Il y a quinze ans, Bianca s’est retrouvée à l’hôpital à la suite des violences qu’elle a subies. Aujourd’hui, le groupe est dissout, les jumeaux ont été envoyés en prison… les choses paraissent claires à Bianca, elle a pu faire son «deuil» car, selon elle, les auteurs ont été punis. C’est sa rencontre avec Polo, tant d’années après, qui va faire remonter beaucoup de choses à la surface. Elle évolue donc dans le sens d’une replongée dans ce qu’il s’est passé alors que Gabi, qui a elle aussi été violée, n’a pas idée de ce qu’il s’est passé, elle ne se souvient de rien. Sa vie a totalement basculé, elle a été détruite sans vraiment en connaitre la cause. On verra une évolution en miroir de ces deux femmes qui ont fait face au traumatisme de manière différente.

 

 

La thématique du viol que vous traitez avec cette pièce est très actuelle et vous revendiquez une démarche de sensibilisation. À qui vous adressez-vous avec cette production?

À tous les publics dès quatorze ans. C’est une pièce tout à fait regardable pour les jeunes, il n’y a aucune trivialité dedans. Ce qui nous semble important est de dire à ces jeunes que les dérapages arrivent très facilement. Nous pensons que l’esthétique scénique d’un concert rock que nous avons choisie peut les toucher. Cette approche par la musique est totalement ancrée dans le roman puisque les cinq parties du livre sont placées sous l’égide d’albums des années 1995. C’est un projet artistique d’abord mais, en nous emparant de ce sujet brûlant d’actualité, nous avons l’ambition, l’envie, que cela serve. Le rôle sociétal du théâtre nous intéresse beaucoup ici.

 

Il y aura une performeuse et trois musiciens live sur scène. Est-ce que la présence de musique en direct était une évidence pour vous?

Absolument, la musique est trop importante et trop présente dans le roman pour que nous n’ayons qu’une trame sonore dans la pièce. Les morceaux des Pixies ou de Nirvana qui sont cités seront présents en live. Mais avoir ces excellents musiciens sur scène est aussi une manière de montrer ce que les personnages auraient pu devenir s’ils n’avaient pas dérapé gravement.

 

Comment avez-vous intégré le travail de l’artiste performeuse Manon de Pauw?

L’idée était d’exprimer toutes les sensations décrites dans le roman, l’ivresse musicale ou alcoolique ainsi que les effets des drogues. Nous n’imaginions pas cela joué par des acteurs. Il fallait donc trouver un médium qui permette d’évoquer ces sensations et c’est par les images que cela s’est fait. Manon de Pauw est une artiste low-tech. Simplement avec une caméra reliée à un écran, une table lumineuse ainsi que divers objets qu’elle filme en direct, elle arrive à créer des ambiances absolument incroyables.

Notre espace scénique est aussi un espace mental; nous sommes dans la tête de Polo. Il y a une zone de musique, une autre avec l’écran que nous utilisons aussi pour les ombres chinoises évoquant les scènes du passé et une zone jardin qui est en fait le bar, là où se situent toutes les rencontres de Polo. Nous l’avons appelé «le bar à images» et c’est là où se trouve Manon. D’ailleurs, les gens ne réalisent pas toujours que c’est elle qui crée les images depuis sa place de serveuse. Lors d’une répétition ouverte, quelqu’un lui a même demandé de lui servir à boire (rires)!

 

Propos recueillis par Jessica Mondego

 

Un si gentil garçon, texte de Denis Lavalou d’après le roman éponyme de Javier Gutiérrez, mise en scène de Denis Lavalou et Cédric Dorier. Avec Jean-François Blanchard, Cédric Dorier, Joëlle Fontannaz, Hubert Proulx, Ines Talbi et les musiciens Daniel Baillargeon, Jérémi Roy et Marc-Olivier Savoy.

Du 5 au 15 avril au Théâtre du Grütli à Genève.
Renseignements et réservations au +41.22.888.44.88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

La représentation du 12 avril sera suivie d’une table ronde intitulée Violences sexuelles, quelle prévention?

Un si gentil garçon est une co-production entre la compagnie Les Célébrants de Lausanne, le Théâtre du Grütli de Genève et le Théâtre Complice de Montréal. Les initiateurs de ce projet souhaitent ainsi participer à l’échange culturel et permettre de jeter des ponts entre les créateurs et les pays.

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