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Tombé du nid: la famille ne tient qu'à un fil

Publié le 07.12.2016

 

Un oisillon vit bien au chaud dans le nid de ses parents, entouré de ses frères et sœurs. Et puis un jour… Badaboum. Le voici à terre, perdu sans sa famille. Comment remonter quand on n'a pas encore appris à voler? Commence alors pour le jeune oiseau un parcours initiatique pour découvrir l'usage de ses ailes. De nombreuses rencontres jalonneront cette reconstruction, à commencer par une famille de taupes qui l'adopte et le tient au chaud.

Dans sa nouvelle création, à découvrir avec les enfants dès 4 ans au Théâtre de Marionnettes de Genève du 3 au 21 décembre, Isabelle Matter aborde le thème délicat de l’adoption par le biais d’une fable animalière pleine de poésie et d’émotion. L'histoire de l'oisillon illustre une vraie quête d'identité construite par les rencontres qu'il fait et les univers qu'il traverse. De l’automne au printemps, de l'air à la terre, les scènes de Tombé du nid impriment chacune une atmosphère propre. Chaque étape est représentée par une boîte éclairée de l'intérieur par une batterie téléguidée de la régie. Sans câbles, le décor se fait mobile et promet de belles surprises. La metteure en scène et les deux comédiens – Olivier Carrel et Maud Faucherre – s’amusent aussi également avec les types de marionnettes, à fils ou sur table, pour illustrer les différents degrés de filiation. La famille et l'adoption sont en effet au cœur de Tombé du nid. Un thème grave qu'Isabelle Matter n'a pas voulu minimiser, mais sur lequel elle espère mettre "un baume de tendresse et de consolation". Interview.

 

 

Que vouliez-vous raconter au travers du thème de l'adoption?

C'est un spectacle que j'ai envie de faire depuis très longtemps. Mon frère est un enfant adopté, je l'ai vécu d'une certaine façon enfant puis différemment avec le recul de l'adulte. L'adoption est une problématique très particulière, ce sont des histoires de vie qui sont à chaque fois des cas singuliers et difficiles à comprendre quand on ne l'a pas vécu. En parlant de ce thème, je voulais raconter le fait d'amener un passé, une hérédité dans une famille qui n'est pas à la nôtre, le fait de devoir entrer dans une famille d'une autre espèce. C'est pour cette raison que j'ai choisi la fable animalière parce que c'était une manière vivante de montrer les difficultés que cela doit représenter pour l'enfant. Quitter son foyer, quitter un monde pour un autre différent et inconnu. Quand on est une famille adoptante, on a l'impression de donner de la chaleur, de l'amour, et parfois on n'imagine pas les étapes que l'enfant doit traverser pour s'adapter, surtout dans le cas d'adoptions internationales où la langue et la culture sont différentes. Mais l'adoption touche aussi des notions que tout le monde peut ressentir car cela questionne le rapport à la famille.

 

Justement, la famille est une notion en constante évolution…

Pour un individu, la notion se construit et déconstruit sans cesse par les rencontres qu'il fait ou les modes de vie qui n'arrêtent pas de changer. Les mœurs de la société ont aussi extrêmement évolués, on est dans une sorte de famille beaucoup plus décomposée, recomposée, éclatée. Je trouve que, pour un enfant, ce sont toujours des questionnements très importants. En même temps, ils ont un besoin d'appartenance très fort mais aussi un besoin de découverte et de nouvelles rencontres. Je me suis aussi beaucoup inspirée de Serge Hefez, psychanalyste spécialiste des thérapies familiales. Il dit que la famille est toujours un moment de tension très fort entre la famille héritée et la famille présente, les autres relations. On est enfant de, mais aussi frère de, amis de, amour de… On est toujours tiraillée entre nos relations vécues au présent, qu’Hefez représente sur un plan horizontal, et les liens familiaux qui nous retiennent verticalement. Pour les marionnettistes, c'est du pain béni car ce sont des images très claires avec lesquelles on peut jouer.

 

 

Quel est le parcours de cet oiseau "tombé du nid"?

Il se découvre une nouvelle famille chez les taupes mais doit, pour entrer dans la galerie, couper les fils qui lui permettent de voler. Il y a toujours un moment où l'enfant doit accepter de renoncer à une partie de lui-même, même momentanément, pour s'intégrer. Petit à petit l'oiseau va sentir qu'il n'est pas fait pour rester avec les taupes, qu'il a quelque chose de différent. En même temps il grandit, et quand on grandit on a besoin de se désaffilier de sa famille. Il décide de partir à la recherche de sa famille d'origine. Je pense qu'un enfant adopté a toujours ce point d'interrogation sur la question des origines, même si l'adoption se passe bien. Parfois on choisit sciemment de ne pas y répondre mais cela peut aussi être un moteur. L'oiseau va alors rencontrer un troisième univers, celui des poissons, dans lequel il va apprendre de nouvelles choses mais sans encore trouver son milieu. Ce cheminement est une sorte de métaphore d'un parcours de vie, j'avais envie de montrer que même si on commence par une "chute" ou par un événement tragique, on peut se reconstruire grâce aux rencontres: pouvoir accueillir la bienveillance des autres et apprendre de chacun. On aura notre chemin personnel qui ne sera pas traditionnel. À la fin, quand l'oiseau retrouve sa famille, on voit qu'il ne vole pas aussi bien que les autres mais avec des fils raccommodés, ceux qu'il aura bricolés à sa propre manière. Pour ça, les marionnettes sont vraiment un univers fantastique car elles permettent de vraiment exploiter les métaphores du langage, des images qu'on utilise dans la vie de tous les jours.

 

Tombé du nid s'adresse aux tout-petits dès quatre ans, en quoi ce spectacle résonne-t-il particulièrement à cet âge?

C'est un âge où la famille représente tout, est un monde en entier. C'est en même temps l'âge où les enfants commencent à aller à l'école, à se sociabiliser et à découvrir un autre type de relation. Pour tout dire, c'est aussi l'âge auquel mon frère est arrivé chez nous. À l'époque, on n'en a absolument pas parlé, il n'y avait pas dans l'adoption la notion de prendre en compte le bagage qu'amenait l'enfant. Je me suis demandé comment on aurait pu lui en parler quand il est arrivé.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

Tombé du nid, une pièce d'Isabelle Matter à découvrir en famille dès 4 ans au Théâtre des Marionnettes de Genève jusqu'au 21 décembre 2016.

Renseignements et réservations au +41.22.807.31.07 ou sur le site www.marionnettes.ch

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