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St-Gervais dans toutes les formes

Publié le 26.06.2019

 

Dès le 1er septembre, plus de vingt spectacles sont au programme de la saison 2019/2020 du Théâtre Saint-Gervais. L’affiche se décline en objets théâtraux classiques, mais compte aussi des propositions plus insaisissables, textes qui n’ont pas été écrit pour être mis sur scène, spectacles musicaux baroques, performances… Les thématiques qui seront abordées au fil des mois sont éternelles – l’amour, le désir, la jeunesse, vieillir – ou éminemment contemporaines – les réseaux sociaux.

Dans cet entretien, la directrice Sandrine Kuster accepte d’évoquer les objets les plus inattendus de la saison, qui témoignent d’un goût pour des formes variées. Et témoigne de ce qui ne se planifie pas: «Pas mal de spectacles abordent la sexualité, la transformation sexuelle, le féminisme, le viol... Je n’y avais pas du tout pensé, cela ne m’a frappé que lorsque nous avons mis le programme bout à bout.»

 

Plusieurs spectacles de votre programme ne s’appuient pas sur des textes écrits pour être mis en scène. Ou font d’un spectacle quelque chose qui à la base ne l’est pas, comme par exemple une conférence, avec Vita Nova (les 3 et 4 octobre), de Romain Daroles.

Pour moi, Vita Nova est une démarche totalement théâtrale. Romain Daroles est passionné de littérature, qu’il a étudiée. Et c’est un excellent comédien. Il joue sur le personnage de rat de bibliothèque, de professeur un peu autiste, qui donne une conférence de spécialiste pour spécialistes. La question est de voir où mène pareille passion. Il en fait quelque chose qui est aussi très drôle.

 

Et dans le cas de Moi-même, je me suis déçu (le 14 septembre), qui reprend des interviews radiophoniques de Paul Léautaud?

Oui, Robert Cantarella et Romain Daroles s’emparent de quelque chose d’autre. En envoyant les textes tels qu’ils sont, ils font entendre la voix de quelqu’un dans le corps d’un autre, ce qui est déjà intéressant. Cela pose aussi la question de l’incarnation de la parole d’un grand penseur. Ces interviews radiophoniques de Léautaud, qui avaient fait grand bruit lors de leur diffusion en 1950, se caractérisent par des propos violents, et une grande liberté de ton. Comme aujourd’hui il devient difficile d’énoncer un point de vue divergent – il n’y a pratiquement plus de critique -, cette matière fait réfléchir. Ensuite, avec un spectacle de 9 heures, il y a une envie que la langue envahisse, sature l’espace. Il y a envie de faire résonner la parole de quelqu’un qui n’avait pas peur de critiquer.

 

 

Autre ligne de votre programmation, les réseaux sociaux sont évoqués ou explorés par plusieurs spectacles. La thématique ne pouvait qu’inspirer les créateurs?

Avec Cris Blanco (Bad Translation, du 1er au 4 septembre), nous avons quelqu’un qui adore le théâtre d’objets. Elle sait faire parler les prises électriques, les extincteurs… Pour ce spectacle, elle propose d’abord quasiment une enquête policière, en reprenant les effets de montage des séries. Mais les plateformes électroniques sont reproduites avec des objets en carton, elle colle au fonctionnement ergonomique des pages qui s’ouvrent sur Internet avec des moyens de théâtre, des moyens plus que low-tech, ce qui crée une tension.

 

Le propos numérique de All Eyes On (du 8 au 10 septembre) est tout autre.

C’est un autre aspect des réseaux sociaux. Des femmes ont une caméra qui les suit partout chez elles, les abonnés se branchent, la voient faire la vaisselle, ce qu’elle veut. Teresa Vittucci fait ainsi un spectacle en direct. Elle se branche, gère ses abonnés – on découvre leurs interventions, mais on ne les voit pas. Elle joue avec ça avec nous, qui sommes aussi, forcément, voyeurs.

 

Un autre axe de la saison 2019/2020 est celui des spectacles d’avant-garde, dont la présentation dans le programme ne fait que rendre plus insaisissable. Polympe(s) (du 12 au 16 novembre), d’Isis Fahmy, Ductus Midi (du 14 au 16 novembre), d’Anne Lise Le Gac et Arthur Chambry...

J’adore ce qui nous déstabilise a niveau de l’esthétique. Anne Lise Le Gac est une des artistes qui arrive le plus à exister en direct. Elle crée un espace poétique dans lequel elle va privilégier l’écoute, l’échange avec le public. J’aime les gens qui veulent faire exister les arts plastiques sur scène – c’est la performance. Autant j’aime le théâtre qui raconte des histoires, autant j’aime ces artistes qui utilisent la scène de manière différente, ça m’intéresse d’avoir les deux.

 

Vous proposez aussi deux spectacles musicaux. Le qualificatif de baroque convient-il à Ivo Dimchev (du 31 janvier au 2 février) et à Bösiness (du 11 au 13 mars) de Philippe Wicht?

À fond! Et cela fait du bien de découvrir cette folie sentimentale, exagérée, trop sucrée, trop tout. Ivo Dimchev a ça dans sa chair. Il se livre, se met à nu, parle de sexe, va chercher les sentiments, des blessures, il pleure. C’est tellement sincère, il est tellement habité que cela en est inquiétant. La forme proposée par Philippe Wicht y ressemble un peu. Mais on est là dans la tricherie totale, dans la posture, pratiquement dans le défilé de mode, la moquerie et le burlesque. Il s’amuse à tout dégrader, c’est assez jouissif d’aller aussi loin.

 

Est-ce que ces différentes tonalités peuvent donner une idée de ce qu’est le théâtre aujourd’hui?

Précédemment, nous avons vu le développement de la vidéo et du théâtre documentaire. Mais aujourd’hui, je dirais qu’il y a un peu de tout. C’est comme la mode ou la musique, difficile de dégager une tendance. Ce qui n’empêche pas l’inattendu. Dans notre programme, je remarque que pas mal de spectacles abordent la sexualité, la transformation sexuelle, le féminisme, le viol... Je n’y avais pas du tout pensé, cela ne m’a frappé que lorsque nous avons mis le programme bout à bout.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

https://saintgervais.ch/

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