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Sous le voile de l’exclusion

Publié le 16.03.2017

 

Danse, théâtre et musique composent les spectacles de Myriam Boucris. Au cœur de son travail, la pratique d’une médiation culturelle nourrit l’acte de création en impliquant différents participants. La recréation de Caillou, suivie de la pièce Les visages cachés de ma ville 1, conçue avec des classes des cycles de l’Aubépine, de Montbrillant, des Voirets, ainsi que des élèves du Centre de la transition professionnelle et l’Ecole La Passerelle, sont à voir à la Comédie de Genève jusqu’au 2 avril. Interview.

 

 

Dans vos créations, vous conjuguez le verbe au geste et à la musique, un langage poétique qui s’adresse au plus grand nombre.

C’est l’espoir que j’ai (sourires). Depuis toujours, j’ai la conviction que le mot ne dit pas tout, qu’un son, une rythmique ou un geste complètent notre profond besoin de raconter ce que nous sommes. La musique m’a toujours accompagnée, très tôt elle m’a permis d’exprimer ce que je n’arrivais pas à mettre en mots. À travers mes explorations musicales, j’ai eu la chance de rencontrer des cultures très différentes, proches ou éloignées de mes origines d’ailleurs, et pour qui le mélange des moyens d’expression fait partie intégrante de la vie quotidienne. J’ai eu la chance de passer du temps dans un village de griots au Burkina Faso et j’ai été fascinée par la manière dont les enfants passaient du jeu, à la danse, de la parole au chant. Dans nos pays occidentaux, nous sommes plus policés et nous avons pris l’habitude, tout jeunes, de contenir nos émotions. C’est avec cet élan premier que nous travaillons.

 

Est-ce la première fois que la Comédie met en place un programme de médiation directement associé au processus de création d’un spectacle?

Hervé Loichemol avait vu notre spectacle Combat de sable et Thibault Genton avait vu la création de Caillou en 2009 à la Traverse. Ils m’ont proposé de venir à leur rencontre et je leur avais alors expliqué le travail de médiation qui entourait nos spectacles depuis quelques années. Nous proposions des ateliers de musique, danse, mouvement, écriture et théâtre afin d’impliquer les élèves dans le processus de création et ainsi faire dialoguer leurs inquiétudes, leurs rêves, leurs doutes et leurs colères avec notre propre recherche artistique, avec nos questionnements.

Le projet s’est précisé et développé à travers la collaboration avec la Comédie en proposant un parcours échelonné sur trois saisons, destiné à ceux et celles qui constituent Les visages cachés de notre ville, en impliquant divers groupes scolaires et des personnes issues de milieux sociaux différents. Chaque année nous élaborons un parcours de création autour d’une thématique définie. Cette saison nous avons travaillé sur le thème de l’exclusion, la prochaine ce sera la migration et la troisième, le handicap. Ce parcours se déroule en deux temps: nous créons une première pièce, de l’écriture à la mise en scène puis grâce aux ateliers donnés dans les écoles et dans les différentes associations du canton, nous créons un deuxième objet scénique, sur la base des propositions des participants. Lors d’une même soirée, le public découvre ces deux composantes d’un même spectacle.

 

C’est un symbole fort quant à la prise de conscience de la réelle mobilité du monde aujourd’hui.

Je l’espère sincèrement! Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous satisfaire d’un public initié et connaisseur. Il est essentiel d’aller à la rencontre d’un autre public, de lui faire découvrir le processus de création pour qu’il constate à quel point il peut aussi le concerner, parler de lui. Nous sommes vivants, notre matière de travail est vivante, en constante évolution. Nous, humains ou artistes, bougeons sans cesse, le monde évolue perpétuellement, le public aussi. Et nous devons dialoguer avec lui, garder une écoute attentive envers ceux à qui l’on s’adresse.

 

 

Après avoir mené plusieurs médiations artistiques dans des pays difficiles, qu’est-ce qui vous a interpellée socialement lorsque vous vous êtes établie à Genève?

Lorsque je suis venue travailler avec Marion Speck à Genève, j’ai cru que la pauvreté n’existait pas ici, car à la différence de Paris d’où je venais, celle-ci ne s’affiche pas dans les rues et se fait très discrète. Dernièrement encore, je rencontrais les responsables de l’association ATD Quart monde, d’Aspasie et de Camarada, qui me confiaient à quel point cela prend du temps d’établir un lien de confiance avec ces personnes qui se cachent.

 

Quelle a été votre démarche?

Nous avons rencontré douze classes à raison de trois matinées chacune. Lors du premier atelier nous avons présenté nos outils de travail, nos instruments de musique (udu, hang, sanza, tambour d’eau, loop) et exploré les outils de jeu des comédiens. Ensuite, nous avons demandé aux élèves d’imaginer des saynètes autour de la thématique de l’exclusion, soit en partant d’une scène de Caillou, soit d’après leurs propositions personnelles. Nous avons ensuite choisi ensemble les scènes que nous allions approfondir. Lors de la dernière rencontre, nous avons soumis des versions remaniées des propositions des élèves afin qu’ils puissent encore nous faire part de leur avis et ainsi nous permettre d’être au plus près de leur fable secrète. Cet échange avec eux nous a beaucoup touchés et nous aurions aimé le poursuivre jusqu’au terme de la création, mais cette phase n’a pas été possible en raison de la disponibilité des élèves, limitée à une matinée par rendez-vous.

 

 

Qui sont ces visages cachés de ma ville?

Le thème de l’exclusion a été proposé tant à des élèves des cycles qu’à des classes techniques. Il était prévu que les élèves rencontrent des personnes vivant en situation d’exclusion afin qu’ils puissent dialoguer et travailler ensemble lors d’ateliers, mais cela n’a pas eu lieu. D’une part, parce qu’aucune association travaillant avec des personnes en situation d’exclusion n’a pu s’engager dans ce processus car, trop lourd à mettre en place, d’autre part, à cause de la rencontre elle-même, car il n’était pas envisageable pour la direction du cycle dans laquelle nous étions en résidence de permettre aux élèves d’aller à la rencontre de ces personnes.

Si une impulsion est donnée par le Service cantonal de la culture qui privilégie la mise en place d’une médiation culturelle participative impliquant les élèves dans le processus même de la création, il existe une réelle appréhension à mettre en place ce genre de projet dans le cadre scolaire. Probablement à cause des appréhensions que peuvent générer certaines démarches. Il y a encore un travail conséquent à faire afin d’ouvrir l’école sur la cité et qu’elle puisse dialoguer avec elle.

En parallèle, nous avons travaillé avec Aspasie, l’association suisse de défense des personnes prostituées, parmi lesquelles de jeunes hommes migrants, dont certains ont l’âge des élèves du cycle. Nos récits des rencontres faites à travers cette association ont provoqué beaucoup d’émotion dans les classes. Certains auraient voulu les rencontrer et nous bombardaient de questions alors que d’autres cachaient sous d’apparentes moqueries une gêne, une crainte confuse.

 

Qu’est-ce que ces expériences ont apporté à la version 2017 de Caillou qui sera présenté en première partie de soirée?

Il y a huit ans nous racontions l’histoire de ce garçon et de cette jeune fille aux portes de l’adolescence, souffrant de leur vie en foyer et de leur rencontre avec un marginal qui vivait dans la rue, se consacrant uniquement à la construction d’un insecte sonore géant. Aujourd’hui, après avoir rencontré des personnes en butte aux violences d’une société qui supporte mal la différence et travaillé avec des jeunes parfois également en situation difficile, c’est comme si tout cela c’était insinué en nous, s’infiltrant au cœur de nos attitudes, de nos gestes et de nos silences pour gagner en profondeur.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Caillou / Les visages cachés de ma ville 1, deux pièces de Myriam Boucris à découvrir à la Comédie de Genève du 14 mars au 2 avril 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.320.50.01 ou sur le site www.comedie.ch

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