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Solos féminins à Saint-Gervais

Publié le 13.03.2018

 

Le mois de mars à Saint-Gervais Genève Le Théâtre verra deux artistes Suisses romandes se succéder sur scène pour présenter chacune un solo aux couleurs différentes. Holes & Hills de Julia Perazzini raconte des fragments de vies et permet ainsi d’aborder l’identité et le corps féminin. Quant à Tiphanie Bovay-Klameth, elle nous entraîne dans l’ébullition de l’organisation de la soirée de gym d’un village vaudois avec D’autres. Les spectacles sont à voir en parallèle du 20 au 24 mars sur une proposition de Sandrine Kuster.

Deux comédiennes romandes pour mettre en valeur la qualité de notre scène artistique, c’est l’idée de la future directrice de l’institution qui utilise la carte blanche offerte par Philippe Macasdar. Sandrine Kuster nous raconte cette programmation.

 

Cette carte blanche est-elle un avant-goût de la saison prochaine?

On pourrait le dire car Julia Perazzini et Tiphanie Bovay-Klameth incarnent le genre d’artiste que j’aime repérer et suivre, elles viennent toutes les deux de la Manufacture. Il y a beaucoup de talent en Suisse romande et je m’efforce de le mettre en avant. Les spectacles sont deux solos car j’aimais l’idée de présenter deux personnalités féminines fortes seules sur scène. Je suis très attentive à la création féminine car c’est, encore aujourd’hui, difficile pour les femmes de s’imposer et de trouver des partenaires dans le monde de la scène. Philippe Macasdar m’a invitée à faire cette incursion dans la programmation 2017–2018 avant même que je ne postule à la direction de Saint-Gervais. Nous avions déjà beaucoup collaboré ensemble et, comme la saison rassemble des gens avec qui Philippe a travaillé, il m’a proposé cette carte blanche.

Ce sont deux pièces intelligentes, sensibles et drôles. J’aime comme ces comédiennes créent des tensions dans les parties plus tragiques de leur solo mais aussi leur utilisation de l’humour. J’apprécie le genre du solo car c’est quelque chose que tous les interprètes abordent à un moment de leur carrière. Ils se demandent s’ils en sont capables car c’est un exercice compliqué mais dans lequel ils s’impliquent énormément. C’est une aventure obligatoirement difficile, périlleuse, intime et le fruit d’un long travail. J’ai voulu ici mettre la barre très haut pour ne pas décevoir Philippe et le public de Saint-Gervais.

 

Holes & Hills de Julia Perazzini et D’autres de Tiphanie Bovay-Klameth seront présentées en parallèle les mêmes soirs. Comment ces deux pièces entrent-elles en dialogue l’une avec l’autre?

Certains liens sont évidents: ce sont deux solos, deux femmes de la même génération et issues de la même école. Leur approche est toutefois radicalement différente. Julia Perazzini est dans quelque chose de plus métaphysique à propos du corps de la femme et sa représentation dans l’histoire de l’art mais aussi au niveau mythologique. Elle passe par beaucoup de transformations physiques tout au long du spectacle, notamment de voix mais aussi de costume. Tiphanie est, quant à elle, au cœur de la société actuelle. Elle aborde les questions de rapports sociaux et familiaux. On est presque à un niveau freudien avec elle alors que Julia serait plutôt du côté jungien. D’autres est une pièce vraiment incarnée; on plonge dans l’organisation d’une fête de village et c’est vraiment toute l’expression du canton de Vaud qui ressort. Tiphanie propose une caricature sympathique et drôle du vaudois rural. On passe à travers une galerie de personnages dans lesquels on peut se reconnaître ou reconnaître quelqu’un de proche. Tout cela à partir d’un plateau nu et sans accessoires. Après le point commun du solo, Julia et Tiphanie font vivre la théâtralité de façon radicalement différente.

 

N’y a-t-il pas un travail comparable sur le fait de convoquer une quantité de personnages à partir de la seule comédienne?

En effet, elles ont toutes les deux énormément de talent pour l’imitation, la transformation de la voix et l’incarnation de personnages. Ce sont deux actrices qui ont rapidement été repérées à la Manufacture et ensuite dans leur carrière d’interprète pour leur capacité à se transformer.

 

 

Julia Perazzini utilise comme matière première des extraits d’interviews, en quoi cela nourrit-il son propos?

Elle fait parler ses personnages au travers des réponses qu’ils donnent à d’autres. Ainsi, on passe par les filtres de lecture d’un journaliste, d’un historien de l’art ou du cinéma qui interroge une figure féminine et c’est Julia qui compose les réponses qu’elle leur donnerait. C’est vraiment une façon un peu labyrinthique de faire exister ces personnalités, elle ne les incarne pas en direct mais de façon transposée. Je dirais que cela exacerbe la dimension du souvenir, du fantasme. Les choses sont en écho, elles sont sublimées grâce à une caisse de résonnance. C’est subtil! Je suis très sensible à tous ces détails à l’intérieur d’un spectacle, à la manière dont on entre dans la pièce car chaque artiste va définir sa propre porte d’entrée.

 

La porte d’entrée du solo de Tiphanie Bovay-Klameth est-elle plus directe?

Chez Tiphanie, c’est l’humour, l’effet miroir, il n’y a pas d’ambiguïté. On est directement en adhésion avec ces personnages car on les reconnaît. Elle utilise cette façon caricaturale et crue, pas cynique mais clairvoyante, de représenter la vie de village pour explorer ce qui tisse nos relations aux autres. On aborde tout ce qu’il y a de sympathique et par moment d’un peu pervers dans cette proximité villageoise. C’est aussi un regard sur notre société romande qui est plutôt prospère dans une Suisse qui est un pays de cocagne. On est dans quelque chose de plus direct, de plus facile d’entrée oui. C’est tragicomique car il y a l’irruption du deuil et on commence alors par l’organisation de funérailles. Le propos concerne tout ce qui réunit une famille ou une communauté et tout ce que cela implique de beau et de bouleversant. Toute la réussite de ce projet vient du fait qu’il fait écho à nos propres histoires familiales, à ce que l’on a aussi pu vivre. Cela nous interpelle et on pense à la manière dont nous gérons la séparation, le deuil, à comment nous nous comportons avec nos parents, frères et sœurs, nos voisins. Dès le moment où Tiphanie rend cette expérience universelle, ce regard nous permet de rire de nous-mêmes et cela fait du bien.

 

Propos recueillis par Jessica Mondego

 

Holes & Hills et D’Autres sont à voir du 20 au 24 mars au Théâtre Saint-Gervais à Genève.

Renseignements et réservations au +41(0)22.908.20.00 ou sur le site du théâtre www.saintgervais.ch

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