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Saison d’eux du POCHE /GVE

Publié le 25.05.2016

 


Le POCHE /GVE propose cette année d’entrer de plain-pied dans sa nouvelle saison avec un gamebook, un livre dont vous êtes le héros, une manière de redonner conscience au spectateur qu’il est aussi un acteur de ce théâtre. Ici, pas de dramaturgie fermée où le texte se décrypte d’emblée: la participation intellectuelle des spectateurs est de rigueur, car les pièces n’aboutissent que dans leur regard. Côté ambition artistique, le Poche s’inscrit comme un pourvoyeur de nouveaux talents littéraires et scéniques, une signature qui vient insensiblement s’inscrire sous l’enseigne de l’établissement de la Vieille Ville. Interview de Mathieu Bertholet, directeur du théâtre depuis 2015.

 

Saison d’eux, voilà un titre qui aurait plu à Sartre qui écrivait en 1943 «l’enfer c’est les autres» dans Huis clos.

(Rires) Alors ce n’est pas à cela que nous pensions, mais oui, il ne serait pas resté insensible à notre programmation. A travers ce titre, nous faisons un petit clin d’œil à notre saison passée, composée exclusivement d’auteures, même si le programme cette année n’est pas exclusivement composé d’auteurs. Eux, ce sont surtout tous ces gens que nous jugeons à l’opposé de notre pensée, qui s’avèreront finalement au fil des spectacles au plus près de nous, qu’ils se trouvent au Québec, en Angleterre, en Belgique ou encore en Suède, d’où sont issus les écrivains présentés cette saison. En Allemagne par exemple, si une mère amène trop tôt son enfant à la crèche elle est taxée de mauvaise mère et en France c’est l’inverse. Au mois de décembre, l’auteure québécoise Rébecca Déraspe démontrera à travers sa pièce Nino (mise en scène d’Yvan Rihs) qu’être une bonne mère s’avère être une question qui taraude toutes les femmes du monde.

 

Dans votre édito, vous dites que «certaines critiques étaient attendues, d’autres ont détonné» concernant votre première saison à la tête du Poche.

C’est la première fois que je me retrouvais dans cette posture de directeur, un métier, qui s’apprend par l’expérience, et les critiques sont fondamentales dans cette optique. C’est d’ailleurs grâce à la sincérité des échanges constructifs que nous avons eus avec les spectateurs que nous pouvons nous améliorer cette année: nous avons tout particulièrement soigné la lisibilité de notre programme, tout en gardant notre visuel radical qui nous correspond. En supplément, le public pourra aussi découvrir les textes à travers un gamebook, un livre dont vous êtes le héros, élaboré avec adresse par Pauline Peyrade, notre dramaturge cette saison.

La critique qui a détonné, c’est celle qui disait qu’avec mon arrivée au Poche, celui-ci "s’enfermait dans un cercle d’amis". Concrètement, il me semble n’avoir fait qu’amener des personnalités non encore vues à Genève et bien souvent en exclusivité en ce qui concerne les auteurs. En Suisse, peu d’artistes ont la chance de s’exporter hors de nos frontières. Au-delà de la qualité d’un spectacle, je pense que pour rayonner, celui-ci doit aller plus loin que le simple accueil. Et créer des échanges, que ce soit avec des artistes européens, ou vaudois, qui ont fait leurs preuves à travers des festivals émergeants, fait partie de notre mission d’acteur culturel. Enfin, si nous donnons une première chance aux auteurs, il nous semblait tout aussi important de donner également une première chance aux acteurs et aux metteurs en scène, même si nonante pour cent des noms qui composent cette saison sont des noms reconnus.

 

En quoi se caractérise cette littérature contemporaine européenne?

Cette écriture est protéiforme et très hétéroclite, ce que le comité de lecture du Poche s’est attaché à mettre en évidence à travers ses choix de programmation. Par exemple, dans le Sloop (quatre spectacles avec la même distribution de comédiens) de cette saison, trois auteurs Québécois proposent des comédies (Unité modèle de Guillaume Corbeil, Les Morb(y)des de Sébastien David et Nino de Rébecca Déraspe mais où chacun utilise les particularités de son dialecte à sa manière.

Ce qui caractérise plusieurs pièces de la saison, c’est cet humour à double détente, caustique, mais jamais ironique, dont la pièce Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf nous donnait un bel exemple la saison dernière. Sous son aspect très international, cette saison reste encore trop occidentale à notre envie de partager une littérature contemporaine exhaustive: on connait très peu le théâtre africain, sud-américain ou encore chinois par exemple, car ces pièces sont rarement traduites sans promesse de mise en scène. Avis aux traducteurs!

 

Peut-on dégager une unité à travers tous les textes abordés cette saison?

Tous ces textes trouvent leur unité dans leur contemporanéité: tous reposent sur l’actualité sociale, économique ou politique, et cela leur donne une vraie prise sur des questionnements ancrés dans notre vie de tous les jours et de nos responsabilités envers elles. Chacun de ces auteurs, en décrivant une situation hyper-spécifique à son pays, exprime une idée universelle comme le soulignait déjà Ramuz. Il sera question de xénophobie gangreneuse dans J’appelle mes frères du Suédois Jonas Hassen Khemiri, (quatrième pièce du Sloop) comme dans Alpenstock de Rémi De Vos ou Dans le blanc des dents de Nick Gill, mais aussi des côtes africaines où chaque jour se déversent nos rebuts de l’électronique à l’obsolescence programmée, avec Waste de Guillaume Poix, ou encore, de l’obésité nécrosant les pays riches dans Morb(y)des de Sébastien David.

 

Pouvez-vous en dire plus sur cette formule des billets suspendus apparue cette saison parmi les diverses offres de la billetterie?

C’est un billet que vous pouvez acheter en même temps que le vôtre et qui sera offert à une personne en difficulté, à l’image des cafés suspendus en Sicile. C’est un acte citoyen pour le spectateur comme pour le théâtre, que le Varia de Brussels et le Maxime Gorki de Berlin proposent déjà. Si les autorités genevoises ont déjà mis en place de nombreuses solutions pour permettre à tous d’aller au théâtre, nous souhaitons nous engager au-delà du soutien financier en accompagnant les porteurs de ces billets par une attention particulière allant de la remise de clés de compréhension à un espace d’expression personnelle après la pièce. Dans cette perspective, nous allons aussi intensifier les rencontres entre spectateurs et auteurs durant la saison et chaque pièce sera introduite le premier mardi de ses représentations. Personne ne devrait avoir peur d’aller au théâtre, car le théâtre contemporain parle à tout le monde comme le cinéma ou la télévision, et nous faisons tout pour que chaque spectateur du Poche s’y sente comme à la maison.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Découvrez la saison 2016/2017 du POCHE /GVE sur leprogramme.ch ou sur le site du Théâtre www.poche---gve.ch

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