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Révolution des genres

Publié le 03.05.2016

 


La Lausannoise Emilie Charriot s’est frottée à l’écriture de la sulfureuse auteure et réalisatrice française Virginie Despentes, dont le film Baise-moi avait fait beaucoup de bruit en 2000. Avec King Kong Théorie, pièce éponyme présentée du 10 au 21 mai au Théâtre Saint-Gervais de Genève, la jeune metteure en scène signe une adaptation loin des clichés habituels. Créée en 2014 au théâtre de l’Arsenic à Lausanne, cette pièce s’inspire de l’essai autobiographique et manifeste pour un nouveau féminisme rédigée en 2007 par Virginie Despentes. Sur une scène épurée, deux monologues se font écho, laissant au public le temps de dépasser les mots bruts utilisés par l’auteure. Rencontre avec Emilie Charriot.

 

 

Lorsque vous découvrez l’essai de Virginie Despentes en 2010, que vous révèle le témoignage de cette femme d’une génération votre aînée?

Lorsque j’ai lu Despentes, je n’ai pas du tout ressenti cette différence de génération: son discours s’adressait directement à moi et au monde qui m’entoure. Dans son dernier ouvrage, Vernon Subutex (2015), on sent plus franchement qu’elle est d’une autre génération, mais encore une fois, elle s’adresse également à ma génération car le monde d’aujourd’hui compte encore son lot de déséquilibre dans les rapports sociaux et sentimentaux.

 

Qu’est-ce au juste que cette théorie de King Kong?

Virginie Despentes propose une relecture du fameux film éponyme dans un de ses chapitres où King Kong est une femelle. Dans son livre on lit à plusieurs reprises cette phrase: «J’écris pour les hommes, pour les femmes et pour les autres». Pour l’auteure, la solution au rapport de force et de domination entre hommes et femmes se trouve dans la révolution des genres, une idée qu’elle partage avec l’auteure Beatriz Preciado, théoricienne et adepte de la déconstruction du sexe.

 

Quel est votre parti pris de mise en scène quant aux propos crûment abordés par l’auteure?

J’ai choisi de mettre à nu sa parole dans une mise en scène dépouillée, simple, mais pas simpliste. La question du féminisme ne date pas d’hier est reste incontestablement complexe. Je me suis même interrogée sur ma légitimité à traiter de ce sujet. Avant de lire Despentes, je n’arrivais pas à mettre des mots sur ce que je ressentais vis-à-vis de la prostitution, du viol et du porno et de ce qui s’y jouait dans les rapports hommes-femmes. En dépassant les clichés qu’on peut avoir de l’auteure ou du féminisme globalement, j’ai choisi de mettre en exergue les paradoxes émergeant de ces inégalités dans ma dramaturgie où deux monologues se répondent de manière indirecte: d’un côté il y a cette parole quotidienne, écrite en plateau avec la danseuse et chorégraphe Géraldine Chollet, et de l’autre, le texte brut de Despentes, rapporté par la comédienne Julia Parazzini. Ces paroles se font écho, laissant au public le temps de dépasser les mots bruts utilisés par l’auteure.

 

 

Le féminisme est aujourd’hui composé de plusieurs mouvances, parfois à l’antithèse les unes des autres (pro-sexe, radical, anarcha-féminisme, etc). Comment renommeriez-vous le féminisme afin de lui enlever toute étiquette péjorative?

C’est justement ce que je ressens chez Despentes: une envie de dire stop aux étiquettes, elle qui a pourtant ses détracteurs également. Quand on me demande si je suis féministe je réponds par l’affirmative, comme quelque chose qui va de soi. Pourtant, c’est comme si on me demandait de parler de philosophie. Le sujet est tellement vaste qu’un mot ne suffirait pas pour défendre toutes les minorités, culturelles, raciales, et sociales. Toutes ces questions entrent pour moi dans le mouvement humaniste, même si ce terme est également très connoté par rapport à notre histoire politique, car il s’agit des droits de l’homme avant tout.

 

A quelles conclusions aboutissez-vous aujourd’hui après 6 ans de recherches autour de la question de l’égalité des sexes?

J’ai l’impression que la partie est loin d’être terminée: il y a trois ans la France votait en faveur du mariage pour tous et maintenant elle sanctionne les clients de la prostitution. Les changements de mentalité se font par un long processus d’avancées et de reculs successifs. Pour arriver à rétablir une égalité des chances, on a vu naître la discrimination positive dans les théâtres français par exemple. Même si, paradoxalement, les inégalités salariales subsistent entre hommes et femmes.

 

Votre spectacle fait partie des quatre pièces retenues pour la 1ère Sélection suisse en Avignon. Quels ont été les commentaires du jury?

Laurence Perez, mandatée par la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia et par la CORODIS pour diriger cette sélection, et Fida Mohissen, qui dirige le Théâtre Gilgamesh dans lequel nous jouerons cet été à Avignon, ont vraiment été touchés par le côté intime et personnel de notre spectacle. Laurence Perez m’a dit avoir eu un vrai coup de cœur pour mon travail. Les spectacles choisis ne sont pas des créations, notre tournée a débuté en 2014 et nous avons des dates en Suisse et en France jusqu’en 2017. Cette sélection nous offre un temps d’exposition au cœur du plus grand festival de théâtre d’Europe, augmentant nos possibilités de faire vivre ce spectacle encore longtemps.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

King Kong Théorie, Saint-Gervais Genève Le Théâtre du 10 au 21 mai 2016.

Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site du théâtre www.saintgervais.ch

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