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Out of the Box: rencontres de singularités

Publié le 24.05.2017

 

Jouer en fauteuil roulant, danser sans pouvoir entendre, écrire avec un syndrome d’Asperger… Du 6 au 11 juin, la Biennale Out of the Box – Festival d'Arts inclusifs met sur le devant de la scène le handicap, qu'il soit moteur, mental, ou sensoriel. Une invitation à s’échapper des cloisonnements et à penser l’art autrement. Cette manifestation unique en Suisse romande réunit dans divers lieux genevois une riche programmation multidisciplinaire, entre théâtre, danse, cinéma et arts plastiques.

C'est la Comédie qui accueillera l'ouverture du festival avec la pièce Orchidée, une fresque intime et humaniste où s'entrecroisent les différentes personnalités des comédiens qui entourent le metteur en scène Pippo Delbono. Côté danse, trois spectacles emporteront le public dans des univers très variés. Les deux pièces de la compagnie Artumana explorent le partage entre les comédiens et avec la musique. Ailes dessine la confiance et ses fragilités au sein d’une communauté, tandis que Shivers fait se rencontrer les corps et le jazz. Ashed présentera le travail de la compagnie sud-africaine Unmute, dont les figures figées évoquent tant les cendres de Pompéi que la situation politique. Le chorégraphe Michael Turinsky proposera quant à lui une réflexion sur les valeurs du capitalisme. Dans My Body, Your Pleasure, il imprime son langage corporel dicté par son handicap sur quatre danseurs non handicapés.

Vernie le 8 juin à l’Espace Témoin, l'exposition Ricochet révélera le travail de sept artistes genevois avec une déficience intellectuelle, en mettant en relation leurs œuvres avec sept pièces sélectionnées dans le Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève. De nombreuses activités, comme des workshops ou des conférences, compléteront ce programme. Avec ses collègues Teresa Maranzano, Nicole Reimann et Florence Terki, la chorégraphe et metteur en scène Uma Arnese est responsable de la direction artistique d’Out of the Box. Interview.

 

 

La Biennale Out of the Box débute le 6 juin sa troisième édition. Quel a été son contexte de création?

Il existait déjà un festival de danse inclusive. Sur cette base, nous nous sommes retrouvés avec plusieurs partenaires culturels, sur l’initiative de la Ville de Genève, pour une discussion autour de l'art et du handicap. Nous avons ensuite réuni nos forces afin de réaliser une manifestation commune, avec des associations venant de diverses disciplines artistiques.

 

Cette année encore, vous instaurez de nouveaux partenariats, notamment avec la Fondation Bodmer. Quelles sont les principales nouveautés de cette année?

Pour chaque édition, nous avons à cœur de fédérer de nouveaux partenaires. Seule la Comédie de Genève nous suit depuis le début et nous lui en sommes très reconnaissants. Pour la section danse, nous essayons de varier les lieux et serons cette année au Théâtre du Galpon. L'exposition "Ricochet" prendra place quant à elle à l'Espace Témoin. Nous aimons l'idée que différents partenaires nous accueillent et qu'ils puissent vivre une expérience différente. Mais si certains lieux souhaitent une collaboration plus fidèle, nous restons bien évidemment ouverts aux possibilités.

Nous avons cette année la chance d’accueillir Disability on Stage qui est un projet de recherches de la Haute école d'art de Zurich. Je me réjouis aussi de la conférence de Josef Schovanec et Jacques Berchtold, sur le thème du voyage, qui clôturera la Biennale.

 

Quel type de public le festival attire-t-il?

Nous voyons des professionnels, des personnes qui sont touchées d'une manière ou d'une autre par le handicap, mais aussi un public simplement intéressé par l'événement. C'est très mélangé. Notre but est que tout le monde puisse se sentir concerné par la manifestation.

 

 

Le projet My Body, Your Pleasure a été chorégraphié par Michael Turinski, un artiste qui n'a pas l'usage de ses jambes. Est-ce la première fois que vous présentez une pièce où une personne en situation de handicap se trouve en position de créateur ou d'initiateur?

Oui, en effet. Ce spectacle s'inscrit dans le réseau IntegrART, un projet du Pour-cent culturel Migros, qui fédère divers festivals sur toute la Suisse. La temporalité de notre festival, qui a lieu au mois de juin les années impaires, est d'ailleurs calée sur celles des autres événements à Zurich, Bâle, Berne et Lugano. Les directeurs artistiques des divers festivals, dont je fais partie, choisissent les pièces qui seront présentées dans chacune des manifestations. My Body, Your Pleasure est effectivement une perle rare, Michael Turinski est quelqu'un de brillant, à la fois philosophe et chorégraphe. Je l'ai entendu dire, lors d'un colloque organisé par IntegrART, qu'une réelle intégration ne pouvait avoir lieu qu'en supprimant les termes d'intégration et d'inclusion. Je partage absolument son avis et c'est ce vers quoi nous travaillons avec Out of the Box.

 

Par le biais de l'art, quel message souhaitez-vous transmettre?

Dans un idéal sociétal, nous aimerions que tous les mots qui indiquent l'inclusion ou l'intégration disparaissent, afin que la notion soit intégrée. Non seulement pour les personnes en handicap mais pour toute population discriminée, comme les migrants, les femmes ou la cause LGBT par exemple. Le milieu de la culture est plutôt inclusif, nous ne rencontrons pas des réels obstacles pour nous faire accueillir, mais il est vrai que cela reste insolite de voir une personne avec un handicap se produire dans un spectacle. En nous démarquant, nous défendons un statut professionnel et une ambition artistique. Nous cherchons à offrir le meilleur au public et aux artistes en matière d'inclusion.

 

Vous travaillez depuis plus d'une dizaine d'années avec des personnes en situation de handicap, notamment avec la fondation de votre première compagnie en 2005 Teatro Danz'Abile. D'où vous vient ce désir?

Après un parcours d'artiste de la scène en danse et du théâtre, j'ai eu mes enfants et entamé une formation de danse-thérapie au Tessin. Dans le cadre de cette formation, j'ai pu donner des stages et cela m'a beaucoup marquée, j'avais l'impression qu'un nouveau monde s'ouvrait. J'ai commencé à travailler avec des personnes avec des handicaps divers, qui n'étaient pas professionnelles et à qui on ne proposait pas habituellement ce genre d'activités. Dans mon parcours, cela a été une révélation de passer de professionnelle de la scène à un travail avec des personnes disons fragilisées. J'ai aussi un enfant avec un handicap et j'ai donc sûrement été touchée par cette cause, mais cela peut être ou ne pas être une motivation. Je connais de nombreux artistes qui font ce travail sans être concernés directement. Dans les projets que j'ai animés, j'ai pu voir des gens retrouver un épanouissement ou une estime d'eux-mêmes, c'est une satisfaction qui n’a pas de prix. J'ai l'impression que montrer ce genre de productions fait du bien à la société, parce que l'inclusion et l'intégration sont pensées en termes plus larges. Nous abordons aussi les thèmes des limites, de la confiance. Par cette Biennale, nous aimerions proposer un mini modèle de la société que nous souhaiterions. Une société où tout le monde a une place légitime, sur scène et dans le monde.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

Out of the Box, Biennale des Arts inclusifs, du 6 au 11 juin 2017 dans divers lieux à Genève.

Programmation détaillée et réservation sur le site www.biennaleoutofthebox.ch

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