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Oser l’espoir en réalité augmentée

Publié le 06.05.2020

 

Un cerveau dessiné en coupe, partagé entre le blanc et des reliefs bleu. Voici le teaser visuel de la nouvelle saison du Grand Théâtre de Genève (GTG), intitulée Réalité augmentée, en possible écho à nos quotidiens diminués et semi-confinés. L’image est signée du plus grand artiste contemporain suisse vivant, John Armelder. A la barre, Aviel Cahn mêle les arts, favorisant des rencontres scéniques incroyablement stimulantes. Ainsi parmi d’autres œuvres inventives, un fantastique Turandot de Puccini, en forme de fable dystopique.

L’icône historique de l’épure abstraite, Robert Wilson, applique son génie atemporel au Messie cosigné par le binôme Haendel-Mozart. Odyssée cosmique, Pelléas et Mélisande de Debussy est mis en orbite par un trio de stars. Soit la performeuse et plasticienne Marina Abramović, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, et Damien Jalet. Figure suisse de premier plan du théâtre néo-documentaire, Milo Rau démasquera une élite coupée des réalités pour le mozartien La Clémence de Titus… Tour d’horizon de plusieurs pièces sous les regards éclairés et croisés d’Aviel Cahn et de la dramaturge de l’institution, Clara Pons.

 


Envisager comme un récit de science-fiction dystopique, Turandot s’inspire d’un conte de fées voyant une Princesse orientale occire ceux qui la convoitent.

Clara Pons: Ce qui se révèle intéressant dans cette lecture d’un personnage «castré» au sens figuratif mais aussi castrateur, Turandot, fille de l’empereur de Chine se révélera moins archétypal qu’à l’accoutumée au fil de l’ultime opéra signé Puccini ayant une structure harmonique singulièrement audacieuse.
Cela grâce notamment au merveilleux et inventif travail visuel immersif signé de teamLab, que dirige la grande intelligence scénique de Daniel Kramer. Emplie de fantaisie, son approche propose de nombreux et féconds niveaux de lecture. D’une belle qualité d’abstraction, teamLab maîtrise parfaitement le fait de raconter une histoire à l’aide la technologie, ce qui est, à mon sens, fort rare.

 

 

Le Messie de Haendel-Mozart fait dire à son metteur en scène Robert Wilson, «ce que j’aime dans cette œuvre, c’est qu’elle abstraite, il n’y a pas d’histoire.»

Aviel Cahn: C’est le retour tant espéré à Genève d’une figure historique du théâtre et de l’opéra et valeur sûre ayant une expérience de plus de quarante ans. Ceci après une longue éclipse. Mettre en avant le travail de Wilson par un oratorio nous amène vers d’autres dimensions que ses mises en scène d’opéras (L’Or du Rhin, Pelléas et Mélissande, Madame Butterfly, Lulu, La Traviata…). A mes yeux, l’abstraction et le minimalisme de son langage artistique se prêtent encore mieux à la musicalité d’un oratorio.
Son inventive recherche formelle et plastique est parfois plus impressionnante que l’approfondissement habituel d’une expressivité humaine chez les interprètes notamment. C’est le choix idéal et essentiel pour la thématique de la «réalité augmentée» marquant la saison à venir.

 

L’Affaire Makropoulos de Leoš Janáček est imaginée tel un thriller alors que Candide de Léonard Bernstein est pour son metteur en scène Barrie Kosky, «une opérette, un opéra, un musical, une satire, un slapstick merveilleux…»

Aviel Cahn: Kornél Mundruczó est l’un des metteurs en scène les plus intéressants du moment. Il nous donne l’impression saisissante au spectateur d’être plongé dans un film pour L’Affaire Makropoulos. L’artiste hongrois envisage cette pièce abordant l’immortalité tel un récit de science-fiction qui fonctionne parfaitement. Avec le chef tchèque Tomáš Netopil, grand connaisseur de Leoš Janáček et la bouleversante soprano suisse Rachel Harnich dans le rôle principal d’Emma Marty, l’opéra rejoint notre présent immédiat de manière encore plus pertinente que je n’aurais pu l’imaginer en la programmant.
Cela fait une quarantaine d’années que l’œuvre n’a pas été représentée sur la scène de la Place de Neuve. Dans la mise en scène, qui est une fête en soi, de l’Australien Barrie Kosky, Candide de Voltaire par Bernstein est effectivement un savant mélange des genres, entre l’opérette et les grandes heures des musicals américains notamment.

 

 

Avec La Clémence de Titus, Milo Rau aborde l’opéra en le refigurant. «Je prends les choses très directes, l’histoire d’une élite qui prend la politique comme esthétique», explique le metteur en scène sur le site du GTG. Votre avis?

Clara Pons: Milo Rau est attaché à un théâtre documentaire riche d’enquêtes socio-historiques. Quand il dit direct, cela signifie littéralement. D’où le sentiment pour sa création à venir de ne pas avoir sur le plateau une œuvre créée il y a trois siècles (1791) et son éloge du despotisme éclairé. Mais une pièce se déroulant dans notre aujourd’hui. L’artiste bernois a un pertinent pouvoir de «manipulation» qu’il convoque dans l’art théâtral avec ici le chœur du GTG et l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR).

La démarche de Milo Rau peut aller dans le sens d’une critique voire la satire touchant une élite gouvernant le monde. Si parfois celle-ci tente d’améliorer les choses, la concrétisation de ses réformes apparaît délicate. Aussi journaliste, l’homme de théâtre a tôt développé une sensibilité aux médias, mediums et ce que l’on montre sur scène par le biais du témoignage vidéo et du réel amené au plateau.

 

Parsifal dans la mise en scène de Michel Thalheimer, qui dit avoir découvert Wagner avec Apocalypse Now. Karine Hankel pour La Traviata de Verdi. Deux figures étendards de la scène allemande.

Aviel Cahn: A mi-chemin entre expressionnisme émotionnel et minimalisme, Michael Thalheimer est l’un des metteurs en scène les plus en vue du moment sur les scène théâtrales de son pays. Cet artiste trouve les images fortes pour les grands mythes allemands dont il a une belle connaissance, sachant séduire son public avec un langage fort, expressif, qui marque les esprits. A la tête de l’OSR, Jonathan Nott a déjà prouvé être un fantastique chef d’orchestre pour Wagner. Pourquoi alors ne pas songer à un autre monde possible ainsi que l’invite Parsifal?

Grande habituée du Schauspielhaus de Zurich cette dernière décennie, Karin Hankel insuffle, en fine psychologue un esprit intime et sensible à La Traviata permettant à l’opéra d’avoir une grande pertinence dans notre temps.

 

 

Didon et Enée est aussi la première rencontre du collectif artistique belge Peeping Tom avec l’opéra. Pour Pelléas et Mélisande, Marina Abramović évoque «une histoire éternelle entre amour, haine et jalousie».

Clara Pons: Reine de Carthage, Didon apparaît comme un personnage énigmatique aux motivations incertaines. Pourquoi agit-elle en menant son sacrifice jusqu’à la mort volontaire? Il est idéal d’avoir une pièce baroque permettant un dialogue fluide et fécond mené dans une grande liberté notamment d’improvisation face au genre entre Frank Chartier de Peeping Tom et la cheffe d’orchestre, Emmanuelle Haïm, grande spécialiste de la musique baroque.

Avec Pelléas et Mélisande, le drame sous-jacent n’éclate pas de manière verdienne ou wagnérienne. La profondeur alliée au symbolisme de Marina Abramović pour la scénographie permet au regard du spectateur de coulisser doucement au cœur d’une atmosphère cosmique. Pour cet opéra de Debussy à l’étrange beauté dirigé de la fosse par Jonathan Nott (OSR), Marina Abramović est accompagnée de Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui. Impressionnante visuellement et esthétiquement, la mise en scène et la chorégraphie se révèlent caressantes dans le geste comme semblant venu de l’inconscient, privilégiant le mystère.

 

Création mondiale dès 8 ans et pour toute la famille, Le Soldat de plomb s’inspire du célèbre conte d’Andersen.

Clara Pons: Mis en scène par Jan Sobrie et en musique par Jérémie Rhorer, comptant cinq chanteurs, une ballerine et les musiciens. Il s’agit à la fois d’une adaptation et d’une réécriture contemporaine proche de l’esprit de l’œuvre originelle voulue ouverte au plus large public possible autour de l’univers bouleversé d’un enfant confronté à la séparation de ses parents. Le compositeur explore le contraste entre deux mondes, l’un tissé d’une réalité plutôt rêche et guère heureuse, l’autre ouvrant sur le rêve et l’évasion dans un espace, pour partie, merveilleux. Cet univers imaginaire génère le double d’un quotidien désenchanté en le déformant.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

 

 

Le menu rêvé des ballets

Après les Six Concertos Brandebourgeois sur le foisonnement musical de Bach lors de la saison dernière, la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker revient pour son mythique Drumming. Selon elle, le compositeur américain Steve Reich «maximalise un minimum de matériel musical.» Ainsi grâce à une pulsation continue formant la plus belle invite à une danse associant géométrie et vertige. Le programme intitulé Le Sacre2 ressuscite le stravinskien Sacre d’Andonis Foniadakis (2013). Oscillant en Eros et Thanatos, veiné d’une animalité en transe, le Ballet du Grand Théâtre, sous la direction de Philippe Cohen, fait ici merveille ensauvagée. La pièce dialogue à distance avec Massâcre signé Jeroen Verbruggen - dont on se souvient du gothique Casse-Noisette -, sur un arrangement de la partition de Stravinski par Benjamin Magnin. En début de programmation, le juvénile chorégraphe sud-africain Fanal Tshabala arpente des identités changeantes au détour de son Better Sun, en création mondiale sur une composition inédite de Benjamin Magnin faisant son miel du Boléro de Ravel. Sidi Larbi Cherkaoui traduit en danse Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski orchestrée ensuite par Ravel, une pièce chorégraphique créée pour le Ballet des Flandres en 2016.
B.T.


 

Grand Théâtre de Genève – Réalité augmentée

Premier spectacle de la saison:
Turandot, de Puccini, du 15 au 26 septembre

Les abonnements sont en vente dès les 23 avril et 1er juin, les billets individuels dès le 6 juillet

Renseignements, réservations:
www.gtg.ch


 

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