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Marionnettes vs Dictature des genres!

Publié le 06.03.2019

 

Le Théâtre des Marionnettes de Genève lance des flèches sur la dictature des genres, avec trois spectacles à l'affiche ce mois-ci. Jusqu’au 10 mars pour les 10 ans et plus, c’est d’abord Le complexe de Chita, de la Cie Tro-Héol, qui aborde la souffrance d’un garçon de qui on exige un comportement typé. Puis, dès 5 ans, du 13 au 24 mars, Filles et Soie de Séverine Coulon, sur la difficulté d’accepter son corps dans un univers trop formaté. Et enfin, pour les grands, du 27 au 31 mars, Chambre Noire de la Cie Plexus Polaire, qui part sur les traces de la féministe borderline Valérie Solanas – la femme qui tira sur Andy Wahrol – et les dérives de l’extrémisme.

La directrice du TMG Isabelle Matter et deux metteurs en scène répondent ici à des questions politiques et sociales… Les spectateurs sont invités à découvrir par eux-mêmes les immenses qualités poétiques des trois spectacles présentés!

 

Isabelle Matter, pourquoi un focus et trois spectacles sur les genres?

Isabelle Matter: Depuis que nous racontons des histoires aux enfants, et que nous stimulons leur imaginaire, la thématique ne pouvait que nous interpeller. Il est au minimum intéressant de questionner ce que véhiculent les stéréotypes qui sont présentés aux enfants. Et de présenter des alternatives! Le spectacle Filles et Soie, qui interroge les canons esthétiques imposés aux petites filles – et aux petits garçons – a été le détonateur de ce mars des genres.

 

Un spectacle pour les petits, un pour les enfants dès 10 ans, un dès 16 ans. Est-ce voulu?

Non, mais c’est très certainement un plus. Et comme chacun aborde d’autres stéréotypes, nous espérons que les grands auront la curiosité de voir plusieurs spectacles, et ceci d’autant plus que Filles et Soie et Le complexe de Chita s’adressent tout autant aux «grands»!

 

Daniel Calvo Funes, comment Le complexe de Chita (jusqu’au 10 mars) intègre-t-il la thématique des genres?

Daniel Calvo Funes: En racontant l’histoire de Damien, un garçon plutôt candide, proche des animaux, qui a envie de faire plaisir à son père, mais qui découvre petit à petit que ce que celui-ci lui demande est injuste. Par exemple, à un moment le père offre le cadeau d’anniversaire de Damien, un ballon de foot, à un autre enfant parce qu’il a appris que son fils jouait à la corde à sauter. Et il ajoute: «Ca, c’est pour les hommes.» On met un poids sur les enfants en leur demandant de se comporter comme des garçons ou comme des filles. Cela peut-être une souffrance.

 

Vous reliez ça à une problématique spéciste de violence imposée aux animaux.

Pour moi, les stéréotypes autour des genres et la condition animale sont des thématiques très imbriquées. L’humain est très fort pout tout mettre dans des cases – hommes, femmes, animaux. Dans l’histoire, un garçon ne doit pas aimer sauter à la corde, et d’une bourrique on attend qu’elle puisse porter deux fois son poids. Ce n’est pas qu’on mange les animaux qui me dérange, mais plutôt qu’on les attache, qu’on les enferme, qu’on les maltraite. Dans le spectacle le lien se fait très naturellement: Damien commence à réfléchir lorsque son père exige de lui de la violence et de la cruauté à l’encontre des animaux.

 

 

Le père est le méchant du spectacle.

Je crois plutôt à une histoire d’incompréhension et de victime. Le père se trimbale une souffrance – on le mentionne brièvement, mais elle est bien là. Nous représentons les adultes par des objets. Le personnage de Damien devenu adulte évoque le moment où il a réalisé que son père était aussi ferme et inflexible que son bâton. Le bâton devient le père.

 

En quoi ce spectacle est-il militant?

Je pense à ce spectacle depuis longtemps. Il est porté par des souvenirs de ma vie en Andalousie dans les années 80. Mais aussi de beaucoup de témoignages et de récits que j’ai récoltés. Mais je n’ai pas envie d’exprimer un message directement avec des mots, rien n’est écrit. Ce sont les situations qui, visuellement, doivent parler. Tout prend sens sur scène.

 

Votre spectacle met en scène beaucoup de marionnettes, beaucoup d’animaux. Cette générosité est-elle votre marque de fabrique.

Pas forcément. En revanche, nous aimons toujours guider le regard du spectateur. Des marionnettes de différentes tailles du même personnage permettent par exemple de réaliser des sortes de gros plans, ou au contraire de placer le personnage au second plan, et d’enrichir la mise en scène.

 

Séverine Coulon, comment votre spectacle Filles et Soie (du 13 au 24 mars) aborde-t-il la thématique des genres?

Séverine Coulon: Je tourne autour. Je suis surtout focalisée sur le temps passé, perdu, en tant que femme, à accepter mon corps. Les retours que j’obtiens, notamment des mères des enfants après une représentation, me confirment que c’est très important. Je crois que le patriarcat va jusque là. Des enchaînements de problématiques esthétiques et extérieures s’ajoutent au reste, et empêchent la femme d’aller plus loin dans son métier, dans sa réflexion, dans son émancipation.

 

Votre spectacle est adapté et inspiré de Trois contes, un livre pour les petits de Louise Duneton, qui reprend des histoires célèbres. Dont celle de Blanche Neige, dans laquelle c’est plutôt la belle-mère qui est obsédée par son apparence.

Dans notre interprétation, la belle-mère – la reine – vieillit. Elle devient obsédée par son miroir, et finit par tomber dedans. Et Blanche Neige, princesse toujours jeune, va ici vieillir. Dans les bords de scène, les enfants le comprennent très bien. Certains réagissent en disant «C’est normal de vieillir. Si tu ne vieillis pas, c’est que tu es mort!»

 

 

Votre thématique est plus immédiatement compatible avec l’histoire de la petite sirène, prête à beaucoup changer pour plaire.

Oui, dans le spectacle elle s’épile les écailles avec un épilateur! Nous avons recours au théâtre d’objets dans cette scène, ce qui permet de retrouver la panoplie des soins.

 

Les petites filles doivent être ravies!

Sans doute. Mais le prince part à la fin avec une fille qui a des écailles et une queue de poisson! Là encore, les enfants – filles et garçons – réagissent en affirmant qu’elle aurait eu meilleur temps de rester elle-même.

 

Le spectacle a donc un impact. Mais le considérez-vous comme un théâtre, comme un spectacle engagé?

Je pourrais dire pendant 40 minutes que les princesses doivent être minces, jolies, et fermer leur bouche. Mais j’ai vraiment envie d’aller contre ça, et contre une société de consommation qui essaie de nous «genrer» au maximum. Le côté merveilleux du théâtre fait qu’on peut avoir une influence, surtout sur un jeune public. C’est une très grande responsabilité. Mais pour que cela fonctionne, il faut que le spectacle plaise aussi aux adultes qui accompagnent les enfants, et permette sur le moment une connivence, et ensuite une discussion. Je partage avec Louise Duneton la volonté de développer ce double langage, elle dans ses livres, qui sont parfois très explicites pour les adultes, et moi dans mes spectacles.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

Le complexe de Chita (dès 10 ans) par la Cie Tro-Héol. Du mardi 5 au dimanche 10 mars.

Filles et Soie (dès 5 ans) par Séverine Coulon. Du mercredi 13 au dimanche 24 mars.

Chambre noire (dès 16 ans) par la Cie Plexus Polaire. Du mercredi 27 au dimanche 31 mars.

 

Informations et réservations au +41.22.807.31.07 ou sur le site www.marionnettes.ch

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