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"Lisbeths", ou quand les passions s’emmêlent au Grütli

Publié le 01.05.2018

 

Du 1er au 20 mai, le Théâtre du Grütli à Genève propose, avec Lisbeths, de Fabrice Melquiot, une plongée dans les arcanes d’une curieuse passion amoureuse. Pietr (Valentin Rossier) et Lisbeth (Marie Druc) se sont rencontrés sur une terrasse, le coup de foudre a été aussi immédiat que réciproque. Représentant, il était de passage en ville, elle venait de quitter son compagnon. Ils se sont parlés, se sont découverts. Ensemble, ils ont semblé apprivoiser la passion. Mais dès le début, on sait que l’étrangeté s’en est mêlé: un jour, sur un quai de gare pour des retrouvailles d’amants, il ne l’a pas reconnue – «Ce goût-là de sa peau, que je reconnus, que je ne reconnus pas.» Les souvenirs s’emmêlent et l’amour rend flou…

Sur scène, les deux personnages revisitent cette histoire d’amour, «presque dans une transe», explique Valentin Rossier, metteur en scène et interprète de Pietr. Et derrière des micros.

 

Le recours aux micros ramène à d’autres arts de la scène, et aux regards de connivence que peuvent échanger sur scènes des interprètes.

Nous ne sommes pas dans une logique de stand-up. Le recours aux micros souligne davantage que tout passe à travers la voix. Notre corps est une enveloppe. Sur scène, nous sommes des passeurs de mots. Nous avons opté pour le micro justement pour amplifier cela, dans tous les sens du terme. Nous pouvons susurrer quelque chose, murmurer. Et aussi par moments avoir une force par rapport à l’émotion, une radicalité émotive.

La langue de Fabrice Melquiot dans ce texte, se base sur des émotions amoureuses, passionnelles. Pietr et Lisbeth, les deux personnages de la pièce, sont deux êtres d’une sensualité immédiate. Le micro est un objet merveilleux. Il peut être utilisé de manière sublime – comme il peut saturer. C’est un objet capital, qui nous permet de travailler sur la sensorialité du verbe.

 

Renforce-t-il la sincérité de la confession, de la mise à nu?

Il nous permet d’être en relation directe avec la voix, qui est un instrument, et de mettre la parole au centre. Après, ce n’est pas non plus une confession. C’est un aveu de sensibilité. La forme me semble plus intéressante. Nous sommes comme des chanteurs derrière deux micros, mais nous ne singeons pas le rock ou la chanson, nous restons des interprètes de théâtre.

 

Il renforce le caractère direct, l’urgence?

Oui, mais encore une fois, il sert surtout à mettre la parole au premier plan. Nous sommes derrière les micros en permanence, face public, dans le verbe, uniquement dans le verbe. Nous ne prenons pas beaucoup de temps. Il y a des silences, des moments de suspens, en apesanteur, mais en définitive assez peu. Nous allons de l’avant, résolument. C’est presque une transe, on s’éloigne du jeu dit «conventionnel».

 

 

Le texte vous amène à passer très vite et très souvent du dialogue au commentaire.

C’est ce qui fait l’une des qualités de l’écriture. Et cela va effectivement très vite. Il faut aussi passer de la première à la troisième personne, tout en évitant tout ce qui pourrait être un peu trop gaguesque – parler de soi à la troisième personne fait toujours un drôle d’effet! Les deux personnages racontent leur histoire d’amour. On peut se demander ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce qui a réellement existé dans cette histoire. Cela nous rappelle que les souvenirs sont aussi des constructions mentales. Quand le texte s’achève, on est laissé face à de nombreuses questions, face à de l’indécidable. Nous n’avons pas cherché à privilégier telle ou telle piste, nous n’avons pas cherché à donner de réponse. Du point de vue dramaturgique, il est plus intéressant de travailler sur la sensation, la trace, l’empreinte laissée par le spectacle. De cultiver le flou plutôt que de chercher à dessiner des contours trop précis.

 

Comment évoqueriez-vous le jeu sur les multiples temporalités?

On ne sait jamais si cela va de l’avant ou, au contraire, à rebours. On commence par la fin, mais très vite, à l’intérieur du récit, on revit au présent le moment passé. Et au fur et à mesure que ce récit avance, ce qui est passé s’efface. Lisbeth a un enfant, puis n’en a plus. Elle porte la cicatrice d’une césarienne, puis même cette cicatrice disparaît. Lisbeths, c’est un peu Kafka au pays du surréalisme.

 

 

Comment voulez-vous mettre en valeur cette étrangeté?

Le troisième personnage, c’est l’ambiance, notamment musicale, qui met en exergue cette étrangeté. David Scrufari nous a accompagné dès le premier jour de la création du spectacle. Il a créé jour après jour un nuage de nappes électroniques, une sorte d’accompagnement omniprésent, comme dans un road-movie.

 

Le fantastique s’invite aussi avec une série de mutilés. Des personnages aperçus par le couple. Est-ce que, quand on vit la passion, le monde extérieur est handicapé?

La passion exclut, c’est certain. Elle opère une violente contorsion de la réalité: de la réalité extérieure comme de la réalité de l’histoire d’amour. La série de mutilés qui émaille le texte de Melquiot n’est pas tant de l’ordre du fantastique que du symbolique. Elle nous raconte, peut-être, que quand on aime, perdre l’autre c’est se faire arracher une partie de soi. Et également que nous ne sommes pas fait d’un seul tenant, que nous sommes multiples. Si le coup de foudre n’est pas de l’amour, c’est une sorte de pathologie.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

Lisbeths de Fabrice Melquiot dans une mise en scène de Valentin Rossier est à voir du 1er au 20 mai 2018.

Renseignements et réservations au +41.22.888.44.88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

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