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Le Théâtre Saint-Gervais et l’ailleurs

Publié le 03.07.2016

 


«Personnellement, parmi les hommes à qui m’unissent des liens de sympathie parce que je leur dois une certaine provocation, et donc une certaine incitation, nombreux sont les étrangers ou semi-étrangers; sans leur présence dans notre pays, je me sentirais – dois-je le dire? – moins chez moi… Nous avons besoin de Non-Suisses: et non pas seulement comme manœuvres ou partenaires commerciaux, mais intellectuellement.» Ces propos ne sont pas de Philippe Macasdar, directeur du Théâtre Saint-Gervais à Genève, mais de Max Frisch (on remonte en 1965), cité en exergue à l’ensemble des propositions artistiques qui jalonneront la saison 2016/2017 d’un théâtre ouvert sur le monde et ses enjeux contemporains. Morceaux choisis.

 

 

Ce n’est sans doute pas un hasard si Caroline Bergvall, auteure et performeuse franco-norvégienne ouvre votre nouvelle saison, dans le cadre de la Bâtie, autour de l’exil. Inspiré du thème du Seafarer, Drift médite sur le voyage en mer et les migrations contemporaines.

Avec la Bâtie, nous établissons la programmation ensemble. Cela fait très longtemps que je voulais accueillir Caroline Bergvall à Saint-Gervais. C’est un peu comme pour Angelica Liddell l’an passé. Sa venue tombe effectivement à pic par rapport aux propos de Max Frisch.

 

Dans le même esprit, «Ici c’est ailleurs» propose entre autres quatre jours d’expos, spectacles, lectures et concerts, qui jettent des ponts entre des artistes d’ici et de là-bas…

C’est le mot d’ordre que j’avais donné lors de ma première saison en 1995-1996. C’est aussi l’affirmation de ce que j’ai envie de développer à Saint-Gervais. Une manière d’interroger l’art sous l’angle des influences que les déplacements, voulus ou non, peuvent produire chez un artiste et dans son œuvre. On le voit avec Frisch, qui a vécu très longtemps en Italie.

 

De quoi ce projet pluridisciplinaire est-il fait?

Pour la troisième fois, nous invitons un artiste égyptien qui poursuit un travail à Genève, et partout dans le monde, avec des amateurs et des participants ayant peu l’habitude de s’intéresser au théâtre et à la culture. On présentera aussi la situation du théâtre hongrois, témoin du passage entre le communisme et un néolibéralisme à tout crin. Avec Karelle Ménine, Ruedi Baur et Bertrand Lévy, nous avons par ailleurs étudié la manière dont la littérature étrangère s’est inscrite dans l’histoire de la ville, un patrimoine exceptionnel, unique en Europe. Genève peut se targuer d’avoir vu passer, là aussi pour des raisons d’amour, d’exil, de tourisme, de guerre, les plus grandes plumes de la littérature internationale, dont finalement on fait peu cas. Christiane Perregaux, elle, s’est intéressée à la cause sahraoui. Le Bureau de l’intégration des étrangers du Canton de Genève et l’Agenda 21 de la ville sont à l’origine de cette fenêtre ouverte sur le monde, qui s’appuie autant sur les forces locales qu’extérieures.

 

 

Dans une autre veine, on retrouve Claude-Inga Barbey avec un nouveau texte, Femme sauvée par un tableau.

Cette pièce souligne l’importance de la comédie et sa capacité à décrypter, et dégripper, les fonctionnements usuels, la banalisation du langage, en somme une série de comportements qui ont tendance à plomber notre relation à nous-mêmes et aux autres. La comédie est un vecteur déterminant de critique sociale. Elle est vraiment politique, au sens d’observer le monde. C’est aussi un point de vue qui peut nourrir de l’espérance. Claude-Inga Barbey jouera en duo avec une complice, Doris Ittig. Le spectacle sera créé au Musée d’art et d’histoire pendant la Fête du théâtre et tournera notamment dans certains musées. Il raconte comment une œuvre d’art, ici des tableaux de Vallotton, peut changer la vie de quelqu’un et, en l’occurrence, des deux protagonistes.

 

Marielle Pinsard adopte-t-elle aussi le ton de l’humour, ne serait-ce qu’avec le titre de sa nouvelle pièce, On va tout dallasser Pamela? A quoi nous convie-t-elle au juste?

Marielle Pinsard et Claude-Inga Barbey sont très proches finalement. Toutes deux ont un point commun par leur lucidité et leur regard inquiet sur le monde: elle vivent le théâtre comme un objet d’expérience. Cela fait cinq ans que Marielle Pinsard travaille en Afrique avec des Africains, des artistes, des musiciens, des amateurs, des universitaires… Elle plonge dans le pays, elle ne fait pas du tourisme culturel. Mais elle nous ramène des histoires en se frottant à une autre réalité. Ses observations l’ont amenée à s’intéresser à «la drague à l’africaine», au langage, à la violence ou l’étonnement que cela produisait.

 

 

Parmi vos artistes en résidence, Karim Bel Kacem proposera une nouvelle création cette année, 23 rue Couperin

Cela fait trois ans qu’il est en résidence. Nous l’avons d’abord accompagné et soutenu dans la diffusion de ses précédents spectacles, l’un de nos axes de travail avec les résidents. Karim Bel Kacem a opéré un retour à Amiens, sa ville natale. Dans la cité où il vivait, toutes les rues, y compris la sienne, la rue Couperin, portaient des noms de compositeurs et de musiciens français. Il part de là mais il ne s’agit pas d’une pièce autobiographique. Elle est sous-titrée «Leçon de ténèbres». Ça ne peut pas ne pas faire écho à ce qui se passe en France et en Belgique, notamment, et à la réalité de l’islamisme. C’est un beau projet que nous coproduisons avec les Scènes nationales d’Amiens et d’Annecy.

 

Oscar Gomez Mata est un artiste que vous suivez depuis ses débuts en Suisse. Il nous propose de partir à La Conquête de l’inutile.

L’Alakran est né en 1997 à Saint-Gervais. Pour cette avant-dernière saison, il me semblait important d’inviter celui avec qui j’ai commencé mon travail ici. Sa Conquête de l’inutile ressemble assez bien à ce que nous faisons, dont l’utilité est toujours à prouver. Comme disait Brecht, la culture c’est un luxe!

 

Parmi les temps forts de la saison, vous accueillerez notamment Gwenaël Morin et ses Molière de Vitez.

Gwenaël Morin vient pour la première fois en Suisse. C’est l’une des figures marquantes de la scène française. En 1978, Antoine Vitez a réuni une bande de jeunes acteurs et monté quatre pièces de Molière l’une après l’autre. Morin s’en est inspiré. Chaque soir, les comédiens se redistribuent les rôles. Le texte de Molière est tel quel. Ça a l’insolence et le culot de traverser les époques.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison du Théâtre Saint-Gervais sur leprogramme.ch ou sur le site du théâtre www.saintgervais.ch

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