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Le rock de Gallotta à Vernier

Publié le 09.02.2016

 


D’Elvis Presley à Patti Smith, de Leonard Cohen aux Rolling Stones, de Bob Dylan au Velvet Underground, Jean Gallotta livre une pièce chorégraphique intimiste, mêlant son histoire à celle du rock et de la danse contemporaine, les 26 et 27 février à la salle du Lignon de Vernier. En 2004, Jean Gallotta fêtait les 50 ans de la naissance du rock avec un work in progress dans les murs de la Maison de la culture de Grenoble où il l’a recréé fin septembre 2015. Entre moments de rapprochement et contre-points, cette pièce pour dix danseurs se compose de treize titres rock sur lesquels se déchaîne la chorégraphie de l’un des plus importants représentants de la Nouvelle danse française.

 

En 1953, le rock apparaît à Memphis, avec notamment le fameux My Happiness d’Elvis Presley, et la danse contemporaine avec la création de la Merce Cunningham Dance Company à New-York. Jean Gallotta a alors trois ans. Si en un demi-siècle ces deux arts n’ont jamais trouvé à se croiser, le chorégraphe né de cette union, en crooner chapeau pied de poule, rend hommage à deux cultures qui l’ont nourri, par des poèmes scéniques pleins de rage, parcourus d’évocations brûlantes et passionnées.

Etudiant aux Beaux-Arts de Grenoble, Jean-Claude Gallotta se penche sur le mouvement. D’abord dans le sport, puis dans la danse, où il trouve l’expression qui lui fera quitter les arts plastiques à 22 ans. Il étudiera notamment la danse avec Merce Cunningham à New York de 1976 à 1978. En 1979 avec Mathilde Altaraz, son assistante et compagne, il crée le groupe Émile Dubois qui s’insère en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble, comme cellule de création chorégraphique. C’est là que va naître Ulysse, ballet ludique qui joue avec les vocabulaires classique et moderne, appartenant aux œuvres qui ont déclenchés ce qu’on a appelé la Nouvelle danse française. Jean-Claude Gallotta revisitera cette pièce quatre fois durant sa carrière. Elle entrera en 1995 au répertoire du corps de Ballet de l'Opéra de Paris. Ce dernier lui commandera par ailleurs en 2001 un ballet intitulé Nosferatu, donné à l’Opéra Bastille. Parmi ses plus importantes chorégraphies, citons encore Mammame, Docteur Labus, ou plus récemment Trois générations et L'Homme à tête de chou. En 1986, Jean-Claude Gallotta est sollicité pour diriger la Maison de la Culture de Grenoble, devenant ainsi le premier chorégraphe nommé à la tête de ce type d’institution. Rencontre.

 

 

Ce spectacle démontre que le rock n’est pas incompatible avec la danse contemporaine. Pourquoi, selon vous, cette association n’avait-elle jamais été tentée?

Peut-être a-t-il eu cours mais pas de manière évidente. La danse contemporaine n’était pas de nature à flirter avec de la musique de divertissement ou même classique. On pourrait presque parler de sectarisme. De son côté, Merce Cunningham a développé l’idée que la danse n’avait pas besoin de musique. Il a ouvert cette voie avec son ami John Cage qui occupa la fonction de directeur musical puis de conseiller musical de la compagnie jusqu'à sa mort en 1992. Ses compositions contemporaines faites de sons et d’expérimentations musicales radicales, qui accompagnaient les chorégraphies de la Merce Cunningham Dance Company, sont une musique de recherche avant tout. De mon côté, j’ai utilisé très tôt des flashs de musique populaire au milieu de mes pièces, rejoignant le mouvement post-moderne qui réhabilite dans ses travaux de recherche des éléments populaires, notamment dans les arts plastiques, mais je les emploie comme marqueurs symboliques de la société, non pour la musique à proprement parler.

 

Y a-t-il un ordre chronologique dans l’agencement des morceaux que vous avez choisis?

Il se trouve que les trois artistes dont j’ai choisi les chansons pour débuter sont ceux qu’un sondage sur l’histoire du rock place en tête: Elvis, le père, les Beatles, qui créent la pop culture, et pour le troisième, ça se joue entre Bob Dylan et les Rolling Stones. Après tout le monde se fait sa cosmogonie. Beaucoup de gens me demandent après le spectacle pourquoi je n’ai pas pris ce tube-ci ou celui-là également. Comme Pink Floyd que j’adore par exemple. Surtout qu’à l’époque ce groupe apparaissait trop sirupeux pour le pur esprit rock, alors qu’aujourd’hui on lui reconnait un aspect rock expérimental indubitable. Mais il faut faire des choix, et la liaison des mouvements de la chorégraphie dans l’élaboration de la dramaturgie m’a permis de trancher.

 

 

My rock, que vous ébauchiez il y a 11 ans dans un work in progress, est aujourd’hui une des pièces majeures de votre carrière.

Je ne sais pas, mais ça l’est devenu, c’est certain. En 2004, c’était les 50 ans du rock, nous inaugurions la nouvelle Maison de la culture de Grenoble et pour moi c’était une façon de jouer avec ça. Après j’ai chorégraphié l’album L’homme à tête de chou de Gainsbourg avec la voix d’Alain Bashung au Rond-Point à Paris. Le directeur m’avait dit qu’il aimait particulièrement ce genre de spectacle. Quand je lui ai parlé de ce My rock qui n’était jamais vraiment né en spectacle, ça lui a tout de suite plu. Nous l’avons donc joué en décembre 2015 dans ce théâtre. Les attentats qui venaient de toucher la capitale ont alors donné une dimension supplémentaire au spectacle, plus politique, puisque le rock est un symbole de liberté.

 

Vous intervenez au micro entre les chansons pour mêler votre propre histoire à ce spectacle. Quel rôle a eu le rock dans votre adolescence?

Rock n’roll en argot veut dire «faire l’amour» et pour moi c’est le témoin de l’évolution de la société dans la relation à l’autre. A 18 ans on est à une époque charnière de la vie, on a des idéaux, et le mouvement rock nous a permis de nous identifier à une culture au-delà des frontières et des générations. Avec mon ami Yves P., à qui j’ai dédié une pièce éponyme en 1983, on se cherchait. Il était musicien et je le suivais à ses concerts et à ses répétitions. Il m’orientait sur les disques à acheter, le rock était notre terrain de jeu et en même temps il nous donnait l’impression d’exister, de faire partie d’une grande famille. Le rock a accompagné mes rêveries d’adolescent, et, rencontrer d’autres âmes perdues, m’a peut-être permis d’échapper à ma crise d’angoisse existentielle.

 

Vous imaginez actuellement un deuxième volet plus féminin?

J’ai effectivement encore beaucoup de matière sous le coude, mais je souhaiterais faire un Ladys rock pour ce second volet, car sans m’en rendre compte, elles sont peu présentes dans My rock. J’ai envie de leur rendre également hommage, car, à parcours égal, elles sont bien moins reconnues que les hommes dans l’histoire du rock.

 

Et une nouvelle collaboration avec Olivia Ruiz?

En octobre 2013, je l’ai dirigée dans El amor brujo (L’Amour sorcier) de Manuel de Falla, pièce présentée avec l’Histoire du soldat de Stravinsky, avec le chef Marc Minkowski à la baguette. Elle a aimé mon travail et nous planchons actuellement sur la forme qui nous permettra de réunir nos deux arts sur scène à l’automne prochain.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

My Rock, Salle du Lignon à Vernier les 26 et 27 février 2016.

Renseignements et réservations au +41.22.306.07.80 ou sur le site www.vernier.ch

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