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Le Loup fait danser des éléphants

Publié le 10.11.2015

 


La vie peut basculer à tout instant. Il suffit parfois d’une table bancale pour tout remettre en question, même à septante ans. C’est ce qu’a imaginé l’Américain Russell Hoban dans un petit ouvrage à destination du jeune public paru en 1978. Adapté à la scène par le Théâtre du Loup, le texte mis en musique par trois jazzmen du FanfareduLoup Orchestra réjouit toutes les générations. Créé il y a vingt-cinq ans, et recréé l’an passé avec autant de succès, Recherche éléphants, souplesse exigée fait figure de «tube». L’équipe du Théâtre en signe pourtant une dernière reprise cette saison, à voir ou à revoir en famille pour celles et ceux qui l’auraient manquée. La comédienne Lola Riccaboni et la danseuse et chorégraphe Rossella Riccaboni, l’un des piliers du collectif du Loup, nous en parlent.

 

 

A la création de Recherche éléphants, souplesse exigée, il y a vingt-cinq ans, Lola Riccaboni n’avait que quatre ans et demi. Dans le rôle d’une petite souris faisant quelques apparitions furtives, elle devait traverser la scène à deux reprises. «Je me souviens qu’à l’époque, j’étais stressée à l’idée de ne pas entrer sur le plateau à temps. Il m’est d’ailleurs arrivé une fois de louper une marche.» Aujourd’hui, c’est elle qui donne l’un des tops aux jeunes comédiens pour leur indiquer leur entrée en scène. «J’ai réalisé que les musiques du spectacle se sont vraiment déposées en moi. Elles sont complètement associées à une partie très reculée de mon enfance. De les réentendre maintenant en endossant le rôle de la vieille dame, c’est le signe du temps qui a passé, mais c’est aussi le signe qu’il a passé d’une façon très belle car j’ai poursuivi mon rêve de petite fille. C’est avec ce spectacle que j’ai démarré sur les planches», dit la comédienne professionnelle passée par La Manufacture, que l’on voit aujourd’hui souvent sur les scènes romandes.

 

Une nouvelle peau

Recherches éléphants, souplesse exigée fait partie des «tubes» du Loup, «une très belle histoire qui s’adresse autant à des personnes d’un certain âge qu’à des parents et des enfants», résume Rossella Riccaboni, l’une des fondatrices du Théâtre ayant vu grandir sa fille Lola dans ses murs. «A partir d’une réalité guère excitante, la vie d’un couple âgé se transforme. Ils courent une sorte de rêve éveillé, se retrouvent en compagnie d’éléphants, puis de clients dans leur restaurant.» La pièce est une fable sur le recommencement, sur les occasions qui se présentent et qu’il faut saisir malgré les difficultés. «Une peau nouvelle, c’est une nouvelle vie. Si l’on reste avec nos veilles peaux, c’est un peu la mort», poursuit la danseuse et chorégraphe qui jouait l’éléphant danseuse à la création de la pièce. Aujourd’hui, Rossella Riccaboni se charge de la mise en scène aux côtés d’Adrien Barrazone et d’Eric Jeanmonod, le père de Lola. Ce dernier en signe également une épatante scénographie et des masques de joyeux éléphants d’après les illustrations de l’ouvrage de Russell Hoban par Sir Quentin Blake. La musique jouée live par les jazzmen du FanfareduLoup Orchestra Yves Cerf, Bill Holden et Sandro Rossetti, autre pilier du Loup - et le comédien Cédric Simon, ici musicien et conteur, ajoute une énergie bienfaisante au spectacle.

 

 

Vieillir et rester alerte

Si le spectacle a autant de succès, c’est aussi parce que Le Restaurant des vingt éléphants (1978), texte original de l’auteur américain adapté à la scène par le Théâtre du Loup, dit beaucoup de choses. Il raconte d’abord l’ennui et le vieillissement, poursuit Rossella Riccaboni. «On ne sait pas si ce vieux couple de septentenaires resté seul a des enfants ou non. Leur unique compagnie est un chat, que nous avons transformé en un chat adolescent. C’est Noël. Tout est terne et triste. Le déclic, c’est une table, un objet du quotidien, usé par le quotidien, qui déclenche une réflexion. A partir d’une table qui branle, ce qui se déroule devient surréaliste. ‘Je vais aller chercher du bois dans la forêt pour en fabriquer une plus stable, se dit Charly, le mari. Cette table est tellement solide qu’on pourrait y faire danser des éléphants. C’est ce qu’ils décident de faire. Mais comment procéder? En passant des petites annonces. Et l’aventure commence…»

Le décor se transforme à vue, un travail très visuel qui colle bien à l’identité du Loup. «On fabrique un restaurant, le plancher est bancal. On le démonte pour essayer de trouver un nouvel endroit plat et redémarrer une autre aventure. La vie se renouvelle à partir des difficultés; on ne se laisse pas miner. Il s’agit d’une forme de résilience. C’est une belle histoire, dont les enfants peuvent tirer une jolie leçon, voyant que des grands-parents âgés sont porteurs de nouveauté.» L’autre leçon: vieillir n’empêche pas de rester alerte.

 

 

Technique des masques

«Lorsque nous avons recréé la pièce en mai 2014, nous avons refusé du monde, la demande était très forte. Raison pour laquelle il fallait profiter de cette vague de reprise, raconte encore Rossella Riccaboni. L’idée du spectacle est aussi de transmettre la technique des masques ancrée dans la tradition du Théâtre du Loup. Technique qui fait partie de ses débuts, sans avoir été systématiquement utilisée à chaque spectacle par la suite. «Il y a toujours un passage par le masque dans le travail d’atelier que j’effectue avec les enfants. Car il permet de développer une très grande technique corporelle. C’est important pour moi qui suis danseuse, le masque pouvant révéler beaucoup de choses sur le corps au moment du jeu. C’est aussi une manière de transmettre à une génération plus jeune une technique colorée et festive qui plaît toujours. On peut rêver un peu avec des personnages masqués, tels que des éléphants ou des petites souris.»

Le Théâtre du Loup annonce sa dernière reprise du spectacle. «Nous n’avons pas encore décidé si nous allions nous débarrasser des décors et des masques, et en faire un grand feu de joie…»  Quand on pense que les architectes ont conçu les deux grandes portes du Théâtre, construit en 1994, pour pouvoir y faire rentrer le camion qui traverse la scène dans Recherche éléphants

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Recherche éléphants, souplesse exigée, jusqu’au 29 novembre au Théâtre du Loup à Genève.

Informations et réservations au +41.22.301.31.00 sur le site du théâtre www.treatreduloup.ch

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