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Le Brésil de toutes les couleurs

Publié le 11.11.2019

 

Flavia Coelho est en concert samedi 16 novembre à l’Epicentre de Collonge-Bellerive. La Brésilienne y défendra son nouvel album DNA. Installée en France, elle s’illustre dans une démarche de métissage, dans laquelle elle interroge les racines de la musique brésilienne, au contact avec différentes diaspora latino-américaines ou africaines (liste non-exhaustive!) de Paris. Pour elle, la musique brésilienne a toujours été un mélange, elle le sait depuis qu’elle a grandi à Rio dans une famille originaire du nordeste.

Son nouvel album marque un tournant pour elle. C’est en effet la première fois qu’elle s’affirme sur le terrain de la chanson politique. En interview, elle ne mentionne ni le nom de Jair Bolsonaro - «ce monsieur» - ni le mot de «président» - mais le résultat de l’élection présidentielle de l’année dernière a eu sur elle l’effet d’un électrochoc, l’amenant à exprimer que tout ne va pas très bien dans ce grand et beau pays. Tradition ou modernité: elle le dit et le chante sans se départir d’un immense sourire.

 

 

ll est difficile de parler aujourd’hui au Brésil sans évoquer la politique de son nouveau président. Cette situation a-t-elle influé sur l’écriture de votre album?

Ca l’a complètement bouleversé. Je n’avais pas du tout prévu d’aborder l’actualité, de traiter ces sujets de cette manière-là. Jusque là je m’exprimais sur des sujets intemporels, les sentiments. Mais après le 25 octobre de l’année dernière, je n’avais plus le choix. Mais j’ai réalisé que je ne savais pas écrire sur l’actu.

 

Donc...

C’est beaucoup de travail! Après le scrutin, j’étais restée meurtrie plusieurs jours. C’était d’autant plus difficile que toute une partie de ma famille a voté pour ce monsieur. Je savais que j’allais me mettre en conflit avec beaucoup de personnes. Comme je ne voulais pas tout mélanger, donc j’ai décidé de ne pas y aller, de rester ici. Mais j’ai vécu, j’ai mangé Brésil matin, midi et soir. J’ai même arrêté de lire des livres en français – ce que j’adore. Ce processus m’a aussi amené à me replonger dans mes mauvais souvenirs de Rio.

 

Que vous n’aviez jamais évoqué dans vos chansons?

Non, je n’étais pas venue en Europe pour dénigrer mon pays, bien au contraire! Mais j’ai dû en passer par là pour arriver à exprimer les choses d’aujourd’hui telles qu’elles sont.

 

Comment ce disque est-il reçu, là-bas?

Ma famille m’a dit avoir eu un peu peur. D’autres m’ont dit qu’il était bien de dire ainsi les choses, telles qu’elles sont. C’est le travail des artistes, de la culture. De toute façon, je ne pouvais pas en rester sur toute la peur et toute la haine que m’a inspiré ce qui est arrivé. Mais, il fallait rester très juste, très précis. J’ai du faire deux cents prises de la chanson Citade Perdida pour que chaque mot sonne juste. Même si le public français dans sa majorité ne comprend pas le portugais, je reste convaincue que la sincérité a un impact.

 

 

Comment procède-t-on quand on aborde ainsi la chanson politique. Est-ce qu’on ré-écoute les classiques du genre?

Oui, j’ai ré-écouté Chico Buarque, Caetano Veloso, les grands artistes qui ont écrit au cours des pires années du pays, celles de la dictature de 64 à 85. A l’époque déjà, il était important de trouver les mots justes pour arriver à mettre en lumière ce qui n’allait pas.

 

Au delà de la situation politique, quels sont les enjeux de la musique brésilienne aujourd’hui?

Aujourd’hui, le Brésil produit autant du rap que du forro, et des kicks de house-music se mélangent souvent aux rythmes traditionnels – ce que j’adore. Je pense qu’il est important de rappeler que la musique brésilienne a toujours été un grand mélange, dont les ingrédients viennent souvent d’ailleurs, d’Afrique, mais aussi d’Orient. Cela m’avait frappé quand je suis arrivée à Paris et que j’ai fait connaissance de musiciens maliens, congolais, ivoiriens, turcs, serbes, croates… Ce n’est que grâce à de telles rencontres, qu’avec ce voyage en Europe à la recherche de mes racines brésiliennes que j’ai pu faire «ma» musique.

 

Comment la décririez-vous?

Je ne peux pas faire du soukouss comme quelqu’un qui vient de Kinshasa, mais je connais un peu. Je ne peux pas faire de la musique de griot comme quelqu’un qui vient d’Afrique de l’Ouest, mais je connais un peu. Je connais un peu parce que ces musiques ont influencées la musique brésilienne. La chanson DNA est un bon exemple. La sonorité rappelle celle de la cumbia, mais ce n’en est pas tout à fait. C’est aussi un peu caraïbe, mais pas tout à fait, et à la fin c’est ma musique.

 

 

Cela a-t-il été facile de la faire accepter?

Maintenant, oui. Mais au début, on aurait préféré que je fasse davantage de samba ou de bossa nova. C’est très bien la bossa nova, mais ce n’est plus très représentatif du Brésil d’aujourd’hui.

 

La création est-elle un travail de groupe, ou le processus engage-t-il davantage votre producteur et vous-même?

J’aime m’entourer de mes amis guitaristes brésiliens – il y a une énorme diaspora de guitaristes brésiliens à Paris! Mais pour cet album, beaucoup vient de mon producteur Victor Vagh-Weinmann et moi enfermés dans un studio. Nous voulions aborder de nouveaux styles, tout en gardant cette approche, cette patte qui permet d’aller partout tout en étant fidèle à sa nature. Dans un morceau de reggae, je voulais à tout prix mettre des cordes. Nous avons essayé, ceci, cela, de partir un peu dans le dub. A un moment, cela devenait presque une démarche à la Krafwerk, où l’on irait chercher les petits éléments, les petits trucs qui font que le morceau va mieux fonctionner. Mais toujours en restant sincère. Ne pas cherche le succès, le tube. Dans ces moments-là, je me sens au service de la musique.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

Flavia Coelho en concert le samedi 16 novembre à 20h30 à l’Epicentre de Collonge-Bellerive

Information, réservation:
www.epicentre.ch/


Nouvel album: DNA (distr. Musikvertrieb)

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