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Latifa Djerbi et Yves-Noël Genod à Saint-Gervais: aller dans l’inattendu

Publié le 03.01.2019

 

Expérimenter le processus de la rencontre, sans la contrôler, et marcher ensemble sur un sentier inexploré pour se reconnaître. Latifa Djerbi et Yves-Noël Genod, deux présences ardentes du théâtre, ont choisi de s’interroger sur la force de vie qu’engendre une rencontre, du 18 au 20 janvier au Théâtre Saint-Gervais à Genève. Une rencontre artistique, humaine et mystique. L’idée: prendre de la distance et se mettre en danger avec une forme légère, performative, loin de leurs projets habituels.

Interview de la Genevoise Latifa Djerbi dont la pièce, La danse des affranchies, créée à Saint-Gervais l’an dernier et primée dans le cadre de Textes-En-Scènes par Pro Helvetia, se verra bientôt éditée.

A noter que le metteur en scène français Yves-Noël Genod qui signe déjà plus de cent spectacles, dont le diptyque Automne-Hiver (d’après Charles Baudelaire et Jean Racine) présenté cet automne à l’Arsenic de Lausanne, donnera La Recherche, d’après Marcel Proust, en février au Théâtre Saint-Gervais.

 

Latifa Djerbi, comment décririez-vous Yves-Noël Genod en trois mots.

Ultrasensible, entier, subtil. Et habité par tout plein de livres! C’est un poète qui a le pouvoir de rendre vivaces des textes du répertoire théâtral comme personne, à l’image de son spectacle en dyptique: Automne-Hiver, que j’ai pu voir cet automne à Lausanne.

 

Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois?

J’étais dans la phase finale d’écriture de La danse des affranchies en avril 2017 et je souffrais de solitude. J’avais besoin d’être entourée de personnes inspirantes. Au même moment, Jacques Livchine, qui m’a accompagnée dans plusieurs de mes projets, co-organisait avec Hervée de Lafond Les ruches, un atelier animé par plusieurs intervenants mélangeant pros et amateurs, comme j’aime. Je me suis isolée au château pour écrire, mais deux heures par jour je rejoignais un groupe pour participer à une unique alvéole.

Une amie, qui avait travaillé avec Yves-Noël – qui animait l’alvéole intitulée Rien n’est beau –, m’avait dit qu’entre lui et moi c’était le jour et la nuit, le feu et la glace. Alors je me suis dit: magnifique! C’est cette alvéole que je vais faire.

J’ai adoré la manière d’Yves-Noël de nous amener en douceur dans un monde où je ne serais pas allée seule. Nous nous sommes tout de suite reconnus dans nos singularités et une curiosité mutuelle pour nos univers a débuté.

Cette intense rencontre m’a inspirée la scène la plus poétique de ma pièce La danse de affranchies, peut-être même la plus transcendante, celle du rêve de Dounia.

Nous nous sommes revus à Avignon lors de La Nuit unique (2017) de Jacques Livchine et Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité: huit heures de spectacle non-stop jusqu’au petit matin, douze comédiens, du théâtre de Koltès à Molière, des poèmes, lectures, chants, musiques et même de la danse. Un souvenir merveilleux de poésie que nous avons partagé avec la même intensité.

 

Quel est votre projet pour ces trois soirs de représentation?

Nous avons envie de faire quelque chose de léger, sans artifices et avec très peu de moyens, loin d’un projet classique de théâtre, de nos occupations habituelles de "compagnie", en dehors de la charge de production inhérente aux créations, tant pour nous que pour le théâtre. Et nous avons de la chance que des théâtres comme Saint-Gervais offrent encore de telles opportunités. Avec ce projet performatif, nous nous donnons la chance de nous rencontrer vraiment, profondément. Une aventure en terre inconnue commencée il y a quelques jours, un voyage au pays de l’être, mené par des artisans. Nous avons envie d’aller dans des zones qui ne nous sont pas familières. Nous voulons aller ensemble vers d’autres nous-mêmes que nous ne connaissons pas encore.

 

Par exemple?

Plusieurs pistes se dessinent, que nous allons explorer pendant les fêtes par Skype, avant d’entamer un resserrement de nos idées durant trois semaines début janvier sur la scène du Théâtre Saint-Gervais. Pour l’instant nous partageons nos textes favoris, comme le roman et fable métaphysique d’Antonio Moresco, La petite Lumière (La lucina), paru aux éditions Verdier en 2014. Nous nous nourrissons tant de nos lectures que de nos préoccupations politiques ou humaines à travers des moments de vie partagés au théâtre et en dehors, pour goûter chaque moment d’échange de cette rencontre.

 

Avez-vous besoin d’avoir des affinités fortes avec les acteurs de vos projets?

Ce qui me manquait, c’était d’ouvrir un dialogue avec un autre créateur, de co-créer, de me frotter à une sorte d’intelligence "collective-tandem". J’ai peu d’expérience en ce domaine… et le partage c’est tellement bon! Parce qu’il dévoile de nouvelles terres en soi, en l’autre, entre les deux… et réveille des élans parfois avortés par une crainte infondée.

 

Un besoin d’exister ensemble au monde?

Combien sommes-nous à avoir l’impression d’être des inadaptés dans cette société? Beaucoup je crois. Pour moi chaque personne est une note de musique ou une couleur et celle d’Yves-Noël est très particulière et a une saveur très rare.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Djerbi / Genod, un projet de Latifa Djerbi et Yves-Noël Genod à découvrir au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 18 au 20 janvier 2019.

Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site www.saintgervais.ch

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