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La Trilogie de Belgrade ou l’exil soft

Publié le 22.01.2015

 

« Nous sommes tous toujours en exil, dans un entre-deux »

 

Chorégraphe et metteure en scène, native du Maroc établie à Paris dès son plus jeune âge, Véronique Ros de la Grange présente au Théâtre du Grütli à Genève La Trilogie de Belgrade, pièce de l’auteure serbe Biljana Srbljanovic, née à Belgrade en 1970. Avec La Trilogie de Belgrade, elle attire sur elle l'attention de tous ceux qui, en Europe, sont soucieux du renouveau de l'écriture dramatique. Oscillant entre comédie et drame, son œuvre a été primée à de nombreuses reprises. Elle est aujourd'hui jouée partout en Europe et aux Etats-Unis. « Je suis malade de nostalgie pour quelque chose qui n’existe absolument pas », dit l’auteure. « Il me manque quelque chose que je n’ai jamais eu : des gens normaux, un pays normal où tout homme ne doit pas avoir honte tous les jours de tout ce qui se passe, des démarches des autorités et de l’opposition, des journaux et des collègues et des autres gens qui vivent mieux ou pire que nous ».
 La Trilogie de Belgrade met en scène des personnages, tous exilés, dans trois pays différents, le soir du réveillon du Nouvel an. Une des protagonistes, une Serbe, en contact avec tous les autres, est restée au pays. Les réflexions sur les bouleversements de l’identité, liés à l’exil, sont au cœur de la pièce. Interview avec la metteure en scène, Véronique Ros de la Grange.

 

Comment avez-vous connu La Trilogie de Belgrade ?

 

En 2006, avec Jacques Michel, fidèle partenaire et collaborateur artistique, nous étions à Novi Sad, en Serbie. Jacques Michel est lecteur pour la Maison d'Europe et d'Orient qui édite principalement des livres d’auteurs des Balkans. C’est pendant ce séjour en Serbie que j’ai découvert des textes comme Vladimir, du Slovène Matjaz Zupancic (ndlr : passé à L’Alchimic en 2013) ou La Trilogie de Belgrade. J’ai complètement flashé sur cette pièce au milieu de cette grande danse de textes. Biljana Srbljanovic est une des auteurs serbes les plus joués actuellement.

 

Tous les personnages de cette pièce sont des exilés. Auquel d’entre eux vous identifiez-vous ?

 

Comme à chaque fois, je me reconnais dans tous les personnages. Je ne parle pas d’autre chose que de moi-même dans mes pièces, moi au milieu du monde et de l’universalité. Dans La Trilogie de Belgrade il est question de l’espace entre le rêve et la réalité, les personnages sont dans ce que j’appelle un exil soft. Ils sont tous déclassés, en perte de repères. On n’est pas dans la violence de l’exil… Ce qui m’intéresse c’est cette idée de l’Eldorado, le rêve américain, le désenchantement. D’où on est ? On est de nulle part même si on est de quelque part. Tous, nous sommes toujours dans un entre-deux. On est entre ce qu’on a aimé et ce qu’on aime maintenant, entre l’enfance et la mort. C’est la violence de la vie, cette notion qui tourne toujours.

 

 

Enfance, perte d’un emploi, amour perdue : vous dites qu’à travers ces exemples, « l’exil est partie prenante de notre société moderne ». En quoi êtes-vous vous-même une exilée ?

 

Je connais le sentiment d’exil. Je suis née au Maroc mais très tôt on m’a emmenée en France où je vis. Par mon père et ma mère, j’ai longtemps entendu parler des traces de ce fameux là-bas… Je souhaitais d’ailleurs en faire le titre du spectacle : Là-bas. Mais ça n’a pas été possible, pour des questions de droits d’auteur. Quand on est quelque part, on veut aller « là-bas », et une fois qu’on y est, on parle d’un autre « là-bas ». La pièce parle de ces notions… Pour ma part, je connais également l’exil amoureux, par exemple, et aussi le sentiment d’exil professionnel, cette peur de ne plus être reconnue.

 

Vous êtes à la base chorégraphe, comment le mouvement intervient-il dans cette mise en scène ?

 

Oui, la danse c’est ma langue maternelle. Mais si ça apparaît dans la mise en scène de La Trilogie de Belgrade, ce n’est pas volontaire. Dans la façon de guider un spectacle, je m’attache toujours aux corps, au rythme, il y a, en ce sens, un rapport à la danse. Mais beaucoup d’autres metteurs en scène travaillent aussi comme ça. Avec les acteurs, je ne suis pas du tout dans un théâtre psychologique. Je m’attache aux questions : qu’est-ce qu’on dit ? Où on est ? Qu’est-ce qu’on fait ? Mes mises en scène ne sont pas texto-centrées. Le texte est un prétexte, j’en fais ce que je veux, ou ce que je peux.

 

Comment s’est décidée la distribution pour cette pièce ?

 

J’avais déjà travaillé avec Doris Ittig, et quand j’ai lu La Trilogie de Belgrade, c’est sa voix qui m’est apparue. Claude Vuillemin m’est ensuite apparu aussi. Puis, Françoise Chaumayrac, Adrian Filip, Jacques Michel, Ninon.

 

Propos recueillis par Cécile Gavlak

 

La Trilogie de Belgrade, à Genève au Théâtre du Grütli du 20 janvier au 8 février 2015. Renseignements au +41 22 888 44 88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

 

Autour du spectacle (entrée libre)
Vendredi 23 janvier à 18h30 : vernissage de l’exposition de photographies We Prato de Francesco Arese-Visconti.
Jeudi 29 janvier à l'issue de la représentation : Le sentiment d'exil, une approche par les émotions, rencontre avec Mathieu Chatelain, psychologue au CISA.
Vendredi 30 janvier à 18h00 : La Trilogie de Belgrade, du théâtre politique ?, rencontre avec Brigitte Prost, critique dramatique et Maître de conférence à Rennes 2.

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