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La musique pour soigner la mélancolie

Publié le 26.01.2020

 

Marier la musique baroque avec une théâtralité inventive, tel est le pari enjoué de Songs, à savourer les 30 et 31 janvier au Théâtre Forum Meyrin. L’Ensemble Correspondances, sous la direction musicale de Sébastien Daucé, et le metteur en scène Samuel Achache conjuguent leurs talents au fil d’une pépite lyrique, tragique, doucement loufoque et virtuose. L’écrin mélancolique de chansons anglaises du 17e siècle rejoint ici le côté poignant d’une existence semblant fuir le bonheur immédiat et contraignant de noces contemporaines.

A l’origine du spectacle, le CD multiprimé Perpetual Night (Harmonia Mundi), un florilège de Songs ou Masques - spectacles de cour mixant poésie, danse et musique vocale et instrumentale -, ancêtres de l’opéra, enregistré par l’Ensemble Correspondances. Cet hommage magnétique à la nuit, ses fantômes murmurants, ses identités perdues et ravissements est chanté par Lucile Richardot, altiste appréciée et saluée par la critique et les publics.

 

 

La fable de Songs? Réfugiée dans les toilettes, refusant obstinément d’en sortir, une mariée inquiète plonge et s’enfuit en elle. Pour en ressortir une mélancolie qui est à la fois blessure et volupté apaisée par la musique. La mélancolie accompagne toujours le réflexe d’écrire au plateau comme l’on respire, chez le metteur en scène Samuel Achache.

 

Loin du concert classique

Il s’est déjà signalé par des créations scéniques réunissant la musique baroque et le théâtre. Ainsi Le Crocodile trompeur: Didon et Enée ou Orfeo, je suis mort en Arcadie. Elles lui ont permis de rencontrer Sébastien Daucé, musicologue et chef d’orchestre, fondateur de l’Ensemble Correspondances regroupant d’ex-élèves du Conservatoire national de musique et de danse de Lyon.

 

 

Issus de l’album Perpetual Night: 17th Century Airs and Songs, les Concert Songs sont pour le 17e anglais proches des lieds allemands romantiques au 19e siècle. Au départ, Sébastien Daucé ne souhaitait pas un concert classique avec un ensemble musical qu’accompagne une chanteuse en fluide robe de gala, la main sur la hanche, alignant les titres. D’où le désir pour Achache de travailler moins à partir du récital que de la forme concert.

Par ailleurs, le metteur en scène était attiré depuis longtemps par le répertoire baroque anglais. En témoigne sa version de Didon et Enée de Henry Purcell. Une œuvre qui atteint des sommets de lyrisme et d’intensité, flottant sur le non-dit et l’implicite. Un peu à l’image du personnage de Sylvia que l’artiste a imaginé pour faire le lien entre les treize morceaux du spectacle Songs.

 

Cap sur la mélancolie

L’atmosphère musicale charrie des thèmes essentiels. Ainsi la mélancolie, que le 17e siècle traite non comme une maladie mais un mouvement actif. Une humeur qui n’est pas forcément à déplorer mais avec laquelle il faut vivre. L’homme de théâtre a été sensible à cette l’époque de la théorie des humeurs, de la bile noire. La mélancolie y est pensée comme des peines d’amour ayant des répercussions physiques sur l’individu et pouvant être traitées.

 

 

Musique «thérapeutique»

Pour Songs, la musique doit jouer un rôle très concret, comme les musiciens qui sont aussi intégrés aux différents tableaux de la pièce à la manière d’un chœur antique qu’animent d’abord les chanteurs. La musique peut être consolatrice, curatrice et salvatrice.

L’équipe artistique a imaginé que toute l’histoire se déroule dans l’esprit d’une femme, Sylvia. Cette mariée déboussolée va de déceptions en désillusions. Pour elle, la musique fonctionne tel un filtre permettant de faire passer les peines. Sans sa sœur - régisseuse burlesque de son esprit - et le secours de sa mère, elle aurait trop de chagrin, pour que sa vie reste viable.

 

Initiation en musique

On découvre l’héroïne dans une forme d’espace mental incarné par une scénographie abstraite d’une grande blancheur. Enfermée aux toilettes, elle ne veut donc plus entendre parler de son mariage. Au second acte, se déroulant toujours dans sa tête, la cire du décor coule et se noircit. Les membres de la famille de Sylvia sont comme un défilé surgi d’un mauvais rêve. On est entre le drame, le comique et le cocasse. Pour le metteur en scène, c’est un chemin musical initiatique. Il débouche sur une autre manière d’appréhender le monde chez l’héroïne. Voire une forme de libération.

 

La cire comme écriture

Le décor de Songs s’inspire notamment du philosophe grec Platon. Chez lui, la tablette de cire, qui serait contenue dans l’âme, sert de mémoire, d’archive aux sensations et pensées humaines. Pour que l’on ne les oublie pas.

Sur la scène, on a ainsi un atelier de souvenirs et aussi une casse d’instruments brisés, coupés en deux, détournés. L’excès d’émotions y coule, se métamorphose par la cire cascadant sur les parois. La cire traduit aussi l’idée de transformation cyclique, de passage d’un état à l’autre.

 

Mélange des tons

Aux yeux de Samuel Achache, traiter la question du drame, ce n’est pas prendre frontalement la voie du tragique pour révéler la part grave de l’histoire. D’où le désir de se frotter à plusieurs genres ou styles. Songs passe ainsi du comique, grotesque et burlesque au dramatique. C’est l’équivalent du contrepoint tel qu’il peut exister en musique.

Ainsi il y a une ligne musicale dominante. Et une autre ligne, plus souterraine. Cette dernière permet de révéler pleinement l’ensemble de l’intrigue musicale. Aborder une atmosphère mélancolique, voire tragique pose, chez le metteur en scène, la question du rire, du burlesque. Pour donner sens et mouvement au spectacle.

 

Bertrand Tappolet, d’après des propos recueillis de Samuel Achache

Songs, les 30 31 janvier au Théâtre Forum Meyrin
Informations, réservations:
www.forum-meyrin.ch

Sébastien Daucé, directeion musicale
Samuel Achache, mise en scène
Lucile Richardot – Ensemble Correspondances
 

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