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La lettre, voie vers l’imaginaire

Publié le 07.01.2020

 

A l’ère des SMS, des courriels et de WhatsApp, les lettres semblent comme étrangement dématérialisées, privées de leur magie, du simple et pur bonheur de l’écriture et de la découverte. Seul règne l’éphémère de l’instant présent. Sans mémoire. Et quand une lettre arrive dans votre boîte, ne se range-t-elle pas essentiellement aux rayons factures, vœux et publicités? Retour à l’expéditeur est une excursion ludique et sensible dans l’univers des lettres envoyées, parfois parvenues après des années à leur destinataire. Intrigué et touché, on y suit notamment le fabuleux destin d’une missive d’amour emplie de la folle espérance de lendemains qui bouleverseraient corps et âmes en forfait illimité.

Après le succès de 1985… 2045, la Compagnie Kajibi Express encourage, grâce à son humour savamment bricolé, des générations contrastées à faire confiance à leur imaginaire. Barbara Schlitter, co-réalisatrice avec Katy Hernan, effeuille cette création hors du commun pour dès 7 ans et tout public.

 

 

Votre envie de départ?

Parler du courrier. Il était des époques, où l’on s’écrivait assidûment sur support papier. D’où l’envie d’explorer ce support d’écriture, d’histoires, d’émotions. Sans nostalgie ni mélancolie en évitant le côté «c’était bien mieux avant». La fable suit l’histoire d’une lettre perdue, portée disparue, magique, secrète. Une missive dont on ne sait presque rien du contenu. Et qui se révélera une surprise à la fin.

D’où l’idée d’évoquer la lettre, ce transmetteur d’émotions, d’un point de vue poétique, matériel (sensations, parfum…), gestuel par la danse, le mouvement, le déguisement. Des événements à rebondissements se déroulent autour de la missive, investiguant son histoire et sa destinée. Mais explorent aussi la transformation de la communication, la patiente attente face à la lettre, source d’espoirs de partage et lien d’humain à humain, de désillusions parfois.

 

 

Quelles sont les dimensions essentielles de Retour à l’expéditeur?

C’est le temps investi à la fois pour écrire, lire, créer du lien, éveiller voire (re)découvrir la puissance créatrice de sa curiosité et de son imaginaire. La lettre est ici un véritable personnage. On l’attend, l’espère et en désespère peut-être fugitivement. Pourquoi dès lors ne pas partir à la recherche de ce temps différé que permettait la lettre dans sa réception, sa lecture et sa réponse? Avouons-le, ce n’est plus guère le cas avec le courriel, le SMS surtout, appelant une réponse immédiate ou dans un temps court.

 

De quoi la lettre peut-elle être le moteur chez un enfant?

Je dirais avec l’auteur de la création, Adrien Rupp, que la lettre favorise deux éléments essentiels chez l’enfant, la curiosité et la magie. La plus belle n’est-elle pas celle que l’on reçoit? Il y a un suspens. Que contient l’enveloppe scellée? Ouvre-t-elle vers un dessin, un simple mot, des histoires, nouvelles et souvenirs tour à tour merveilleux, drôles, rocambolesques ou inquiets? La magie vient du fait que son destinataire peut être le plus «improbable»: Le Père Noël, Dieu, un animal... Retour à l’expéditeur propose ainsi une série de rebondissements, d’interruptions entre deux figures burlesques - à la fois personnage et personne réelle - évoluant en dialogue avec les spectateurs sur la solitude, le pari de faire un spectacle en choisissant la bonne expression, le dialogue juste, précisément comme on peut écrire une lettre sur le vif, de manière improvisée.

 

Il y a un alliage de styles. On papillonne du stand-up au cabaret féerique et burlesque, de l’univers du conte à l’interactivité du comédien enjoignant les spectateurs à être leur «propre thermostat».

Le spectacle est un mélange entre plusieurs écritures. La conception d’un scénario et de textes par un auteur qui écrit pour le théâtre, le Lausannois Adrien Rupp travaillant avec Katy Hernan (notamment pour Cabane! ainsi que Recyclage, et autres petites philosophies suspectes accueilli notamment à Saint-Gervais en 2016), d’une part. Une écriture de plateau collaborative, qui part de la scène et des répétitions, sous toutes leurs formes, textuelle, visuelle, plastique, sonore, de l’autre.

La narration autour de la lettre d’une mystérieuse Barbara Fontaine due à Adrien Rupp est ainsi enrichie d’improvisations. Et ce sentiment que le spectacle prend vie dans l’instant, l’échange et le dialogue en direct avec les publics. Côté costumes, imaginés par les artistes Yvonne Harder et Sarah André, l’univers cabaret de la prestidigitation est convié. D’où un burlesque à paillettes et étrange animal à fourrure, entre le doudou et le lapinou de cartoon refigurés évoluant sur fond de compositions savoureusement pop, décalées et rétro-futuristes créées par le musicien Pierre-Alexandre Lampert. Les éclairages de Théo Serez ponctuent le tout avec beaucoup de finesse.

 

 

S’interroger sur la lettre qui est une trace, le témoignage d’une absence, vous est personnel tout en ayant un caractère universel.

Récemment, j’ai été chargée de vider la maison de ma tante disparue à un âge avancé. S’y trouvaient des centaines de lettres écrites aussi par deux grandes-tantes et un grand-père. En traversant ces archives épistolaires, il m’apparût que l’on prenait un grand soin, au siècle dernier, de coucher ses idées et pensées sur le papier. Il existait un rapport de proximité, d’intimité avec le destinataire. On faisait aussi attention à la personne à qui on adressait les mots. Qui devaient résonner au plus juste.

 

Il existe aussi d’autres traces dans le spectacle…

Les vestiges des répétitions où se trouvaient des pendrillons, se retrouvent dans les rideaux de scène flash et pop permettant toutes formes d’apparition et de disparition. À l’image des feuillets d’une lettre, Retour à l’expéditeur est aussi une manière humoristique, légère de s’aventurer sur ce que le théâtre contient d’écriture dans une situation, un dialogue, un personnage, un décor, pour son destinataire, le public.

 

Une création de la Compagnie, 1985… 2045, élue pour la sélection suisse en Avignon (2017) avec plus de 60 dates en tournée, explorait aussi la dimension intergénérationnelle.

Que dire sur la transmission entre générations contrastées? Des évolutions fulgurantes ou plus lentes, secrètes ont eu lieu depuis l’avènement d’internet. Grâce à un travail préparatoire de médiation mené avec de nombreux enfants (cinq classes genevoises), nous cherchions avec eux à saisir et faire face aux évolutions survenues entre époques.

Cela sans didactisme ni volonté de donner des leçons. Sans parler pour mais avec. En réfléchissant aux valeurs à défendre au présent comme à l’avenir. C’est aussi le sens de ce Retour à l’expéditeur. Loin de délivrer un message ou décrire une manière de faire, il s’agit plutôt de créer envie et rencontre avec le public, autour d’une communication qui prend le temps, par la lettre notamment, de faire poésie, magie, émotion, drôlerie et émerveillement.

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Retour à l’expéditeur, un spectacle de Barbara Schlittler et Katy Hernan à découvrir en famille dès 7 ans au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 15 au 22 janvier 2020.
Conception et mise en scène: Katy Hernan et Barbara Schlittler
Ecriture: Adrien Rupp en collaboration avec les interprètes
Jeu: Mathias Glayre, Katy Hernan, Diane Müller et Barbara Schlittler

Informations et réservations: Théâtre Saint-Gervais

Autres dates en tournée romande:
12 janvier 2020. L’Echandole à Yverdon. L'Echandole
Du 29 janvier au 2 février 2020. CPO à Lausanne. CPO Ouchy
Les 6 et 7 juin 2020. CCN-Théâtre Le Pommier à Neuchâtel. CCN-Théâtre Le Pommier

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