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"L’avantage d’avoir fait du violon, c’est que je pense musicalement"

Publié le 17.01.2023

Mezzo-soprano allemande installée en Suisse, Tanja Baumgartner a un parcours atypique. Ce n’est qu’après avoir obtenu deux Masters de violon (musicienne d’orchestre et pédagogie) qu’elle se tourne vers le chant lyrique. Depuis, elle a chanté à l’Opéra de Lucerne où elle a été sous contrat de 2002 à 2008, à l’Oper Frankfurt, au Hamburg State Opera, au Deutsche Oper Berlin, au Staatsoper Berlin, au Konzertverein de Vienne, ou encore à Chicago et Tokyo, entre autres.
Dès le 25 janvier, elle sera à l’affiche de Parsifal de Richard Wagner, dans le rôle de Kundry, au Grand Théâtre de Genève.


La production de Parsifal a débuté le 5 décembre, elle est particulièrement longue. Le calendrier des répétitions est-il impacté par cette durée?

Nous avons eu une coupure de près de deux semaines pour Noël, mais c’est effectivement une longue période. La fréquence des répétitions n’est pas impactée pour autant, on répète tous les jours ou presque. Pour ma part, comme j’interprète le rôle de Kundry, je suis présente dans tous les actes. Cela a évidemment une conséquence sur le nombre de répétitions; j’ai en moyenne deux services par jour. Cela dit, certaines répétitions sont consacrées aux airs avec chœur, et comme je chante assez peu avec le chœur, je suis libre à ces moments-là.



Vous enseignez à Berne et Bienne. Comment arrivez-vous à concilier l’opéra et l’enseignement?

J’ai de la chance que Genève ne soit pas loin. La plupart du temps, je peux rentrer le weekend et en profiter pour voir mes étudiants. Il faut toujours négocier les jours libres pour ses différentes activités. J’essaie au maximum de donner mes cours toutes les semaines. C’est seulement lors des dernières répétitions que je ne fais plus rien d’autre, pour me plonger entièrement dans l’opéra.

Apparaître dans un opéra vous laisse-t-il le temps de travailler d’autres programmes en parallèle?

Au début d’une production, je peux travailler différentes choses, apprendre d’autres partitions, mais à la fin, honnêtement, je ne peux plus. Je me consacre à l’opéra, je m’immerge et je rentre complètement dans le personnage.

D’autant plus qu’il faut ménager la voix.

C’est très important de rester prudent. Notre instrument est notre corps, on doit limiter ses sollicitations pour ne pas le fatiguer si on veut être au meilleur de notre forme pour les représentations.





Avez-vous des astuces pour optimiser votre forme vocale?

De l’eau et du sommeil. C’est très simple, très basique, mais très efficace. Si le corps est fatigué, rien ne va plus. L’eau c’est important pour la voix, que ce soit simplement de l’eau, ou du thé, une infusion, avec un peu de gingembre. Je dirais qu’il faut éviter l’alcool, par exemple, il faut rester simple. Après, j’ai une collègue chanteuse qui boit du café au lait; chacun fonctionne différemment, et chacun a ses petits rituels.

Quels sont les difficultés dans l’opéra de Wagner?

Wagner est complexe à différents niveaux. Déjà dans l’histoire en elle-même, du point de vue de la psychologie des personnages, mais c’est tellement intéressant! Les femmes présentent diverses dimensions; Kundry, par exemple, c’est la femme universelle, toutes les femmes réunies en une. Elle a été Hérodias, princesse juive, quelques siècles en arrière. Elle a vécu différentes vies, elle a tout vu. Dans l’histoire, ce sont toutes ses facettes qui ressortent.

La musique, évidemment, est aussi très exigeante. Il faut toujours compter; on joue, on chante, mais il ne faut pas oublier de compter. C’est une difficulté qui s’ajoute aux lignes vocales qui explorent les limites de ce que l’on peut faire, notamment avec les grands sauts d’intervalles. La musique de Wagner demande beaucoup de concentration.





Vous avez également chanté des opéras du XXe siècle, voire contemporains. La difficulté est encore différente, non?

J’ai effectivement eu l’occasion de chanter dans des opéras de Berg ou Zimmermann, notamment. D’un côté, je trouve un côté libérateur aux opéras plus récents car on n’a pas de référence en tête. Avec Verdi et Wagner, on connaît une chanteuse qui a fait comme ceci, une chanteuse qui a fait comme cela... C’est plus difficile de trouver sa propre interprétation.

En contemporain, on n’a pas d’exemple, ou presque pas. On est plus libres, dans un sens. Alors certes, c’est plus difficile car compter devient indispensable, les rythmes sont plus complexes. Je ne peux plus poser ma voix en fonction des instruments, me dire par exemple que le basson joue juste avant mon entrée...Cela ne fonctionne plus. Quant à la ligne musicale, on ne peut plus penser à la technique ou à la manière dont on chante: il faut simplement chanter en rythme.

Vous vous êtes tournée vers le chant après vos études de violon. La transition tardive n’a-t-elle pas été trop difficile?

Je ne pense pas en termes d’instruments, mais plutôt musique. L’avantage d’avoir fait du violon, c’est que je pense musicalement. Quand j’ai commencé le chant, je pouvais faire toutes les notes que je voulais. Ce qui a été plus difficile, c’était de trouver une sonorité qui m’était propre.

En tant qu’instrumentiste, on prend effectivement l’habitude de chanter, mais comment trouver cette voix «lyrique »?

C’est plutôt qu’on apprend à libérer le cou, trouver la bonne position de la langue, libérer les caves de résonance et utiliser ses muscles de la meilleure manière possible.  Le chemin a été long ; j’ai étudié à Karlsruhe, puis à Vienne, j’ai travaillé au théâtre de Lucerne, j’ai pris des cours avec Alexandrina Miltcheva en Bulgarie. J’ai trouvé un coach à New York qui vient de temps en temps en Europe. C’était un travail de longue haleine.

Ces derniers temps, on parle beaucoup des mises en scène contemporaines dans l’opéra. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Selon moi, une mise en scène doit servir l’histoire, être en lien direct avec elle, peu importe qu’elle soit classique ou moderne. Elle doit trouver sa place et laisser l’espace au spectateur de penser librement, avoir des idées. Ce que je n’aime pas, c’est quand le metteur en scène nous dit ce que l’on doit penser.

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Parsifal, de Richard Wagner

Du 25 janvier au 5 février au Grand Théâtre de Genève (GTG)

Jonathan Nott, direction musciale
Michael Thalheimer, mise en scène
Henrik Ahr, scénographie

Daniel Johansson, Parsifal
Christopher Maltman, Amfortas
Tareq Nazmi, Gurnemanz
Tanja Ariane Baumgartner, Kundry

Informations, réservations:
https://www.gtg.ch/saison-22-23/parsifal/

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