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Jennifer Larmore est Medea au Grand Théâtre

Publié le 31.03.2015

 

Mon côté sauvage va faire surface

 

Avec Medea, Luigi Cherubini compose en 1796 une œuvre sans précédent dans l’histoire du théâtre musical français. Tirant profit des innovations de Gluck, le compositeur italien conçoit une tragédie en musique qui déploie toute la frénésie passionnelle et la fureur sanglante que le mythe antique renferme. Inspirée des tragédies d’Euripide, de Sénèque et de Corneille, sa Médée a été arrangée dans une version italienne qui fut popularisée par l’interprétation de Maria Callas dans les années 1950. C’est cette version mise en scène par Christof Loy qui sera présentée au Grand Théâtre de Genève du 9 au 24 avril. Le rôle-titre a été confié à Jennifer Larmore qui retrouve ainsi le metteur en scène allemand avec qui elle a déjà été à Genève Valencienne dans Die lustige Witwe de Lehár et Lady Macbetch dans Macbeth de Verdi. Rencontre avec la mezzo-soprano américaine.

 

 

Nous n’avons pas eu le plaisir de vous voir ou de vous entendre au Grand Théâtre depuis votre interprétation de Lady Macbeth en juin 2012, que s’est-il passé dans l’intervalle ?

Ma vie ne cesse de tourbillonner entre voyages, préparatifs et représentations ! Depuis mon dernier passage à Genève, j’ai ajouté deux nouveaux rôles à mon répertoire : Eboli, du Don Carlos de Verdi, que j’ai chantée au Caramoor Festival de New York et le rôle-titre de La Belle Hélène d’Offenbach pour l’Opéra d’état de Hambourg. Depuis que Christof Loy m’a persuadée d’élargir mes horizons, j’essaie de ne pas restreindre mes intérêts et suis toujours à la recherche d’opportunités dans ce sens. Mon rôle dans Macbeth m’a vraiment ouvert les yeux et je me suis donc lancée dans Eboli et je ne le regrette pas du tout ! La Belle Hélène est une opérette avec dialogues parlés, ce qui n’était pas évident pour moi mais j’ai pris du plaisir à l’effort et il semble que j’y étais plutôt bonne ! Il y a toujours eu une place heureuse pour les concerts symphoniques dans ma vie. Récemment, j’ai chanté le Shéhérazade de Ravel et les Sieben frühe Lieder de Berg avec l’Orchestre symphonique du Brésil à Rio, tout en mettant les dernières touches à un livre que je suis en train d’écrire sur les aspects psychologiques de notre métier et comment il nous affecte.

 

Il est évident que Christof Loy et vous formez une sacrée équipe : depuis sa Die lustige Witwe en 2010, chacune de vos prestations sur la scène de Neuve a été dans l’une de ses mises en scène. Qu’est-ce qui nourrit votre relation artistique, à travers ces diverses formes de théâtre musical ?

Parfois, on fait la connaissance d’une personne pour laquelle on sent immédiatement des atomes crochus. Pour nous, ce moment a eu lieu lorsque nous allions commencer les répétitions de Lulu à Covent Garden. Il est venu chez moi, à Paris, pour une "première rencontre" de deux heures de conversation à tout rompre. Nos visions, nos sentiments, notre énergie, tout coïncidait. Cela n’arrive pas très souvent. Notre travail commun est une relation de pure collaboration, ancrée dans le respect. Nous sommes également devenus de bons amis par la suite.

 

Vous allez aborder le rôle plus grand que nature de Médée pour la première fois de votre carrière. Quels sont vos impressions au moment d’endosser un personnage qu’on associe à de icônes de la scène telles que Maria Callas, Montserrat Caballé, Leonie Rysanek, Shirley Verrett ?

Chacun des rôles que j’interprète a été tenu auparavant par une chanteuse exceptionnelle ! Je me sens privilégiée de pouvoir m’y essayer aussi. On ne sait jamais, quelqu’un un jour ajoutera peut-être mon nom à cette liste ! Lorsque je joue/chante un rôle, c’est toujours avec ma voix du moment et l’esprit de la personne que je suis à ce moment. Il me semble que les artistes commencent à avoir des problèmes lorsqu’ils essaient d’être ce qu’ils ne sont pas. Ça ne marche tout simplement pas. Avec Christof Loy, ce rôle monstre de Médée pourra émerger de manière organique à partir de notre travail commun et nous finirons avec un personnage qui nous appartiendra exclusivement, à lui et à moi. La musique est phénoménale ! J’adore la manière dont elle embellit le texte, et vice versa. Elle est pleine d’une force toute particulière qui a besoin d’une femme de mon âge et de mon expérience pour l’animer. Je me réjouis beaucoup de cette nouvelle expérience !

 

 

Entre critiques, artistes et musicologues, on discute fréquemment des mérites des différentes versions de l’œuvre de Cherubini, plus précisément de l’opéra comique français original par opposition à la version italienne élaborée au début du siècle dernier à partir d’une version allemande avec des récitatifs d’un autre compositeur. L’artiste que vous êtes a-t-elle un mot à dire dans ce débat, ou pas du tout ?

Si je pensais mon avis pertinent à ce débat, je n’hésiterais pas à le faire connaître mais dans ce cas, et avec les contraintes de temps auxquelles nous sommes soumis à Genève et mes circonstances actuelles, je suis tout à fait à l’aise avec la version italienne. Je trouve les récitatifs tout aussi intéressants et informatifs qu’ils auraient dû l’être si Cherubini lui-même les avait composés. Quant aux mérites respectifs, cette version a su passer l’épreuve des années, a été sélectionnée, interprétée et couronnée de succès si souvent de par le passé, qu’elle m’inspire une pleine confiance.

 

Dans la mise en scène de Christof Loy, Médée semble faire figure de non-conformiste dans un monde bourgeois ultra-conformiste. Cela fera-t-il ressortir le côté sauvage de Jennifer Larmore ou devons-nous nous préparer à tout autre chose ?

Mon côté sauvage va très certainement faire surface ! J’ai toujours été une rockeuse dans l’âme, j’adore Led Zeppelin et Jimi Hendrix, presque tout ce qui a de la guitare électrique en fait, et ce côté sauvage rôde toujours sous la surface. Comment jouer Médée sans battre mon pavillon de cinglée ? Plus sérieusement, il s’agit d’une femme qui souffre d’une douleur indicible. Il faut être poussée à la folie pour finir par faire ce qu’elle fait. Le thème est d’actualité et met l’accent sur un état primordial de l’humanité : notre désir d’aimer et d’être aimés en retour. Nous ne voulons pas être rejetés pour qui nous sommes. Pour certains, il est simplement trop difficile d’avoir été aimés et délaissés ; cela peut tout faire basculer. Christof et moi irons à la découverte de ce personnage et je l’incarnerai à Genève, une maison qui m’a soutenue tout au long de ma carrière. Je me sens comme un cheval de course sur la ligne de départ : enthousiaste, impatiente, prête. Je veux faire quelque chose de spécial avec cette Médée !

 

Propos recueillis par Christopher Park

 

Medea, du 9 au 24 avril 2015 au Grand Théâtre de Genève. Renseignements et réservations au +41 22 322 50 50 ou sur le site du Grand Théâtre.

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