Social Tw. Fb.
Article

"Je suis devenu sensible au livret du Messie de Haendel"

Publié le 29.11.2023

Depuis sa création en 2005 par le chanteur basse Stephan MacLeod, les Gli Angeli Genève sont devenus une formation incontournable dans les répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles. Ils comptent désormais une saison de plus de 15 concerts à Genève répartis sur leurs différentes séries telles que l’Intégrale des cantates de Bach, la Chambre des Anges ou le Festival Haydn-Mozart.

Aujourd’hui, ils se lancent dans un autre projet: celui d’un rendez-vous annuel autour du fameux oratorio Le Messie de Haendel. Stephan MacLeod nous en dit plus à quelques jours des concerts du 2 et 3 décembre au Victoria Hall



Votre avez l’ambition de donner le Messie chaque année en décembre. Toujours à Genève ou dans des endroits différents?

Pour amortir les coûts d’une telle production, c’est important de la proposer dans une petite tournée et la donner dans divers lieux. C’est à la fois si chronophage et onéreux que c’est nécessaire, mais le but serait de pouvoir proposer le Messie chaque année une ou deux fois à Genève pour en faire une tradition. C’est quelque chose qui se fait dans d’autres endroits du monde, de donner le Messie chaque année à Noël.



En répétant la production annuellement, n’avez-vous pas peur que le public ne suive pas?

À Genève, il y a une importante communauté anglo-saxonne, parfois malheureusement déconnectée de la vie culturelle locale, car il s’agit en partie d’expatriés venus à Genève pour un nombre d’années restreint. Je trouve cela dommage ; j’aimerais bien, sur le long terme, que Gli Angeli Genève puisse proposer cette œuvre comme un socle culturel pour notre public, mais aussi pour cette population. Le tiers des habitants genevois vit ici pour une période qui dure en moyenne entre cinq et sept ans. C’est un roulement assez important et nous réfléchissons tous - les institutions culturelles - à la manière de leur permettre de faire partie de la vie culturelle. C’est une tentative parmi plein d’autres.

C’est un renouvellement que vous constatez sur vos concerts de la saison?

Non, pas vraiment. Nous avons un public très fidèle qui nous suit au fil de la saison, mais il y a toute une communauté que l’on ne touche pas. Ou pas encore, mais nous essayons de les inclure et de leur faire découvrir notre travail.





Visez-vous le Victoria Hall chaque année, ou avez-vous l’envie de proposer d’autres salles?

Disons que c’est la plus grande salle pour la musique classique à Genève, et elle se prête très bien à l’œuvre. C’est très ambitieux, mais c’est un début. Nous lançons une bouteille à la mer. Nous n’avons pas la prétention de penser remplir le Victoria Hall tout de suite avec ce projet; c’est un but à long terme. Si nous en avons les moyens, si nos épaules sont assez solides financièrement, j’espère pouvoir persévérer pendant quatre ou cinq ans pour avoir du recul et voir si le projet rencontre son public.

Vous vous produisez régulièrement au Victoria Hall. Comment se passe généralement votre remplissage?

Nous avons tout connu, d’un Victoria Hall à moitié plein à un Victoria Hall complet. Cela dépend de différents paramètres, comme le programme, tout simplement. Nous avons battu des records de remplissage avec la Passion selon Saint-Matthieu. Pour d’autres œuvres, le remplissage peut être plus délicat. Cela dépend également de la série de concerts dans laquelle le programme s’inscrit: dans le cadre des Concerts du dimanche, c’est généralement très plein, puisque cette série a un public particulier et que les places sont également bon marché.





Outre le côté «tradition», le Messie revêt-il une importance particulière, pour vouloir le programmer annuellement?

C’est une œuvre magnifique mais dont je m’étais un peu lassé au bout d’une dizaine ou quinzaine d’années de carrière. Elle est tellement donnée que je la chantais entre quinze et vingt fois par an. Et si elle n’est pas extrêmement bien faite, le plaisir disparaît parce qu’une lassitude s’installe. Ces dix dernières années, entre autres en la dirigeant moi-même, j’ai pu redécouvrir l’œuvre de l’intérieur, mieux comprendre pourquoi c’est l’oratorio le plus célèbre et le plus joué, au-delà du fait que l’Alléluia soit très connu et utilisé entre autres pour des publicités.

J’y reviens avec beaucoup plus de plaisir depuis quelques années. C’est cela qui m’a motivé à le refaire. J’ai l’envie de transmettre tout ce que cette œuvre me fait comprendre et l’adapter à la manière dont on fait la musique d’oratorio avec Gli Angeli Genève: avec un petit ensemble de chanteurs situés devant les instrumentistes qui jouent debout et non pas avec un grand chœur placé derrière. Cela change beaucoup la scénographie et la dramaturgie du concert. C’est quelque chose qui nous caractérise et qui fonctionne très bien avec le Messie.

Votre enthousiasme pour l’œuvre est revenu grâce à la direction. N’y a-t-il pas un risque que les chanteurs s’en lassent également?

C’était important pour moi de sentir que j’avais l’adhésion de tout le monde, pour me lancer dans le projet. Je ne me sentirais pas la force de le mener à bien sans leur enthousiasme. Ils comprennent et savent parfois bien mieux que moi que cette œuvre mérite d’être défendue autrement que comme une succession de tubes.

Cette redécouverte grâce à la direction est-elle passée uniquement par le livret ou également par la compréhension des harmonies et de la superposition des voix?

C’est vraiment le livret; j’ai tellement chanté le Messie que j’en connaissais déjà la musique quasiment par cœur. Le contenu musical n’était pas tellement un mystère, je savais que Haendel était un mélodiste hors pair, une sorte de Paul McCartney du XVIIIe siècle, un puits sans fond d’inventivité pour créer des mélodies incroyables. En revanche, j’ai mis longtemps à comprendre à quel point le livret était génial et pourquoi il l’était. Maintenant, j’ai les moyens intellectuels et musicaux pour appréhender l’ampleur et la portée de la pièce et pour comprendre l’engouement qu’elle a suscité du temps de Haendel.

Quand j’avais 20 ans, je me rendais bien compte que c’était beau, qu’il y avait des airs et des chœurs fabuleux, mais je ne rentrais pas dans le texte, dans la succession des extraits bibliques et dans le génie narratif fou avec lequel ces extraits sont assemblés pour former un nouveau tout. Je ne comprenais pas exactement le pourquoi du comment. J’y suis devenu sensible, et c’est ce qu’il faut absolument mettre en avant pour que le public puisse être enthousiasmé par l’œuvre et son génie dramaturgique.

Propos recueillis par Sébastien Cayet

G.F. Haendel, Messiah
Gli Angeli Genève - Stephan MacLeod, direction

Samedi 2 décembre, 20h, et dimanche 3 décembre, 17h au Victoria Hall, Genève 


Informations, réservations:
https://www.gliangeligeneve.com/concerts/messiah