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Guillaume Tell, la légende et le maestro

Publié le 07.09.2015

 

Le Grand Théâtre de Genève ouvre sa saison vendredi avec Guillaume Tell. Le chef-d’œuvre de Rossini, dernier de ses opéras, sera dirigé par Jesús López-Cobos. A la baguette de l’Orchestre de la Suisse romande, le maestro évoque «la musique de la nature suisse et de la misère des hommes» composée par Rossini. Ce mythe fondateur de la Confédération helvétique, qui révolutionna l’opéra italien au début du 19ème siècle, inspira des compositeurs comme Verdi. Première vendredi 11 septembre.

 

Le Grand Théâtre de Genève s’apprête à rouvrir ses portes. Par un chef-d’œuvre qui plus est. Guillaume Tell n’est pas seulement le récit d’un mythe fondateur de la Confédération helvétique. C’est aussi «la meilleure œuvre de Rossini», se réjouit Jesús López-Cobos. Le maestro rêvait de diriger cet opéra. Il sera à la baguette de l’Orchestre de la Suisse romande pour six représentations. Première vendredi 11 septembre.

Un gigantesque décor métallique trône sur le plateau du Grand Théâtre, dans une mise en scène signée David Poutney. Quelques mètres plus loin, une danseuse fait des exercices de relaxation après les répétitions. Le chef, lui, nous attend dans sa loge, que l’on rejoint après avoir parcouru plusieurs marches d’escalier. La fin d’après-midi marque l’heure d’une pause dans une journée de travail intense. La veille au soir, la répétition était en costumes.

Près de quarante ans après Don Carlos, de Verdi, et une dizaine d’autres opéras montés au Grand Théâtre, Jesús López-Cobos retrouve les musiciens de l’OSR, avec qui il a entretenu une relation plutôt étroite pendant une dizaine d’années. «La plupart sont à la retraite aujourd’hui, sauf peut-être la première flûte», sourit le chef. C’était au tout début d’une longue et brillante carrière internationale, où il se partage entre musique orchestrale et opéra, à Vienne, Londres, Cincinnati avec son Orchestre symphonique qu’il dirige pendant seize ans (de 1986 à 2001), et ailleurs. La formation de l’Ohio l’a nommé directeur musical émérite à vie.

 

Quid du répertoire italien?

Dans sa carrière bien remplie, le Castillan d’origine, né entre Valladolid et Zamora, a aussi dirigé pendant une dizaine d’années l’Orchestre de Chambre de Lausanne (1991-2000), où il vit. La dernière fois qu’on l’a vu à la baguette de l’Opéra de la Place Neuve, c’était il y a quatre ans. Dans du Bellini. Les opéras italiens ne manquent pas dans sa carrière, qui compte aussi à Genève des opéras-bouffes de Rossini. Jesús López-Cobos ne se dit pas pour autant spécialiste du bel canto italien. Il nuance: «J’ai dirigé beaucoup d’opéras italiens, surtout Rossini et Verdi, mais aussi des opéras français, et beaucoup Wagner». Dans un français teinté d’accent espagnol, il revient sur ses débuts: «Quand je suis arrivé en Allemagne, à Berlin, comme je venais d’Espagne, tout le monde pensait que je devais aborder le répertoire italien et je ne m’y suis pas opposé. Mais j’avais étudié à Vienne, et je connaissais donc essentiellement le répertoire allemand.»

 

La musique, un hobby?

Au début des années 1960, c’est à l’académie de musique viennoise qu’il se forme pour devenir chef. Il obtiendra les deux diplômes de direction orchestrale et de direction chorale en 1969, après avoir étudié auprès d’Hans Swarowsky, qui mettra sur les rails d’autres grands noms comme Claudio Abbado et Zubin Metha. Il s’attelle au piano et pratique beaucoup le chant et le chœur. «Mon instrument, c’était le chant. C’est pour cela que je me suis trouvé très à l’aise dans le monde de l’opéra», se souvient-il. Pourtant, en 1957, c’est vers une autre voie que Jesús López-Cobos semblait se prédestiner en Espagne. «J’ai étudié la philosophie, et la musique n’était qu’un hobby». Puis l’ordre des choses s’inversa. «La musique est devenue ma profession», glisse-t-il avec humilité, le regard vif et pétillant. «Il n’y avait presque pas de vie musicale à l’époque. C’était après la guerre, la nôtre, dans les années 1940-1950. On était très réalistes. On savait qu’on devait quitter le pays, où l’on devait compter quatre orchestres. Je ne savais pas que j’y reviendrais, plus tard, dans les années 1980. Je suis alors parti pour Vienne, à l’école de chefs la plus connue. Puis j’ai eu la chance de commencer à travailler en Italie. Et très vite à Berlin, à la Deutsche Oper, où j’ai vraiment appris mon métier. Un chef doit faire l’expérience. On la fait seulement avec un orchestre», raconte-t-il.

 

Elan révolutionnaire

Qu’est-ce que la philosophie lui a apporté? «Beaucoup», répond le maestro. Car elle exprime la pensée d’une période. «Tous les compositeurs sont des fils de leur époque. Au 19èmesiècle, nombreux sont ceux qui ont été influencés par les grands philosophes allemands.» Guillaume Tell, pièce politique par excellence, en est le parfait exemple. Le Wilhelm Tell de Schiller (1804), dont Rossini s’inspire ici, donne un élan révolutionnaire à la pièce. «Ce même élan, insufflé par la Révolution française, a influencé tous les compositeurs de la fin du 19ème siècle. C’était la même chose avec Beethoven.» Et qu’est-ce qui fait précisément de Guillaume Tell un chef-d’œuvre? Dans le répertoire italien, cet opéra marque un tournant. «Il constitue pour Rossini un résumé de toute la technique et de l’expérience qu’il possédait comme compositeur. Son style d’écriture a évolué», explique le maestro. Rossini, le novateur, qui inspire ses contemporains. «Le chœur dansé n’existait pas auparavant dans son œuvre, même si on le trouvait dans la musique baroque. On sait par exemple que Verdi a imité l’accompagnement de violoncelle de l’Aria de Guillaume, qui se retrouve dans plusieurs de ses pièces comme Un Bal masqué ou Rigoletto

 

 

Le dernier opéra de Rossini

L’envergure de l’œuvre tient aussi au fait que Rossini créé ce «grand opéra» (en 1829) pour l’Opéra de Paris d’alors, dit Théâtre des Italiens, où il était chef. Il avait signé un contrat pour en écrire huit. Il n’en composera que deux, Le Comte Ory, puis Guillaume Tell, poursuit le maestro. «Il a ensuite écrit le Stabat Mater ou la Petite messe solennelle et beaucoup d’œuvres pour la société parisienne.» Et pourquoi Jesús López-Cobos ne s’était-il jamais attelé à Guillaume Tell, personnage héroïque entre mythe et histoire, dont l’historien Jean-François Bergier disait qu’«on ne peut affirmer en toute conscience ni qu’il a véritablement existé, ni qu’il n’est qu’une figure de légende»? «C’est comme Don Quichotte ou Othello», note le maestro. Prêt à sacrifier son fils pour la liberté de son pays ­ la Suisse, qui affronte les Autrichiens ­, Guillaume Tell appartient à ces grandes figures de la littérature dont on ne sait plus très bien si elles sont réelles ou non.

 

 

La misère des hommes et l’oppression

Entre 1972 et 1990, à l’époque où Jesús López-Cobos dédiait une bonne partie de sa carrière à l’opéra, «on ne jouait jamais Guillaume Tell. Il y avait beaucoup de chanteurs pour le répertoire dramatique, mais très peu pour interpréter spécialement le répertoire rossinien. On avait seulement deux ou trois ténors.» C’est depuis une dizaine d’années qu’on commence à le monter. «Rossini a dit vouloir écrire la musique de la nature suisse, de la montagne, et celle de la misère des hommes, de l’oppression, de l’aspiration à la liberté. Celle de l’amour du père pour le fils également.» Il avait aussi pensé à Faust, note-t-il encore. «Rossini a trouvé un équilibre fantastique entre la musique populaire, avec la résonnance des cors, et le drame.» Comment le maestro aborde-t-il l’œuvre? Il nous dit placidement qu’il «essaie de faire au mieux pour trouver une variété d’ambiances et d’atmosphères». On le croit volontiers.

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Guillaume Tell, du 11 au 21 septembre 2015
Grand Théâtre de Genève, 5 Place de Neuve, 1204 Genève
Renseignements et réservations au +41 22 322 50 50

Découvrez toute la saison du Grand Théâtre sur leprogramme.ch ou sur le site du Théâtre www.geneveopera.ch

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