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Figaro, héros de tous les temps

Publié le 23.02.2018

 

«Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur», lance Figaro, qui est l'éponyme du quotidien français dont cette citation est la devise. Du 20 février au 11 mars, La Comédie de Genève présente Le mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Pièce en cinq actes et en prose annonciatrice de la Révolution française et de la liberté d’opinion. Représentée pour la première fois en 1784, La folle journée ou Le Mariage de Figaro est la suite du Barbier de Séville (1773). L’action se déroule en Espagne dans la demeure du comte Almaviva. Dans le premier volet de leur aventure, ce dernier avait épousé, avec l’aide de son valet Figaro, Rosine pourtant promise au vieux médecin Bartholo. C’est cette fois au tour de Figaro de convoler en justes noces avec Suzanne, femme de chambre de la comtesse. Voulant à tout prix s’opposer à cette union, le comte Almaviva multiplie les ruses à l’encontre de son valet.

La mise en scène est signée Joan Mompart. Avec sa Cie Llum Teatre fondée en 2010, le Genevois d’origine catalane a créé La Reine des neiges d’après Andersen (2010), Ventrosoleil de Douna Loup (2014) et Münchhausen? de Fabrice Melquiot (2015, spectacle sélectionné pour la troisième Rencontre du Théâtre Suisse) au Théâtre Am Stram Gram. À la Comédie, il a créé On ne paie pas, on ne paie pas! de Dario Fo (2013) et L’Opéra de quat’sous de Brecht (2016). Il a également mis en scène des concerts avec récitant, comme en novembre dernier au Grand Théâtre de Genève où il a incarné un Figaro à destination du jeune public, dans Figaro-ci, Figaro-là!, un rôle-titre qu’il retrouve avec bonheur à la Comédie dans sa dernière création.

 

Joan Mompart, comment définiriez-vous votre style?

L’intuition n’a jamais été aussi vive qu’une rencontre "réelle" pourrait avoir lieu entre chacun des acteurs de la distribution et son rôle. Même si cela paraît une évidence, nous pratiquons un théâtre fondé sur l’acteur, point de départ de tout. Chacun fait sien le spectacle et le style devient alors une sorte de méthodologie impressionniste faisant apparaître les éléments qu’il nous tient à cœur de mettre en rapport avec aujourd’hui.

Dans Le mariage de Figaro, Beaumarchais nous invite à des transports et des abîmes dans l’interprétation car sa langue entretient, malgré le temps, une relation d’intimité avec nous. J’ai l’impression que chaque personnage est une partie de nous, un "moi" éclaté, comme Figaro le dit lui-même: «[…] quel est ce "moi" dont je m’occupe: un assemblage informe de parties inconnues.»

Je me suis rapidement aperçu que cette pièce annonciatrice de la Révolution sonnait creux si elle n’était pas construite sur des pulsions de vie, simples et lisibles, portées depuis l’intimité.

 

Le Mariage de Figaro est un des plus grands chefs-d’œuvre classiques du théâtre français.

Beaumarchais a écrit une folle comédie, comme on n’en a jamais écrite alors, et comme, je crois, on n’en écrira plus ensuite, avec un nombre d’intrigues, de personnages, de scènes, de décors, d’incidents, d’inventions, de coups de théâtre simplement incroyable. Et en même temps, il cherche, à la suite de Diderot, à donner une «vérité» à ses personnages. Il se détache des «caractères» moliéresques, et met sur scène des êtres qui nous ressemblent. C’est une pièce de belles humanités. Et c’est cela, selon moi, qui est son immense qualité: sa capacité à représenter l’humain dans son rapport avec les autres – et avec les circonstances de son temps.

 

 

Dans quelle mesure cette pièce entre-t-elle en écho avec aujourd’hui?

Je crois que cette résonance avec notre époque tient moins d’un refus du modèle de société que de l’incompréhension du chemin entrepris collectivement. Car avant une conscience et un passage à l’acte, il y a une incompréhension. Par exemple, comment la société actuelle en est-elle venue à être dominée par l’économie?

La pièce débute également par un sujet qui rejoint l’actualité: le droit de cuissage. Quel est le moteur d’un homme qui s’octroie des droits sur le corps de quelqu’un d’autre? Beaumarchais se fait le porte-parole de la cause féminine à travers les personnages féminins de la pièce: «Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes!» […] «la conduite des hommes avec nous fait horreur ou pitié», dit Marceline. Beaumarchais entre dans l’intimité de ses femmes qui se questionnent et se battent pour être considérées. C’est une pièce à la gloire des femmes, à leur clémence et à leur amour. Sans Suzanne et la Comtesse, Figaro et Almaviva ne seraient rien. La Comtesse pardonne au Comte, elle lui pardonne même à plusieurs reprises: «Pour la troisième fois aujourd’hui, j’accorde [le pardon] sans condition», faisant foi d’un esprit sensible et d’une compréhension du monde plus en rapport avec ce qu’est réellement la vie.

 

On connait votre goût pour le théâtre musical, comment avez-vous décidé de traiter la musique, très présente lors de cette folle journée?

N’étant pas friand des bandes-son, je m’en suis remis à une présence vivante en la personne d’Aurélien Ferrette, violoncelliste. Sa musique vient s’ajouter comme une citation de l’époque, concourant au voyage dans le temps auquel nous invitons le spectateur. Aurélien a été magnifique de compréhension pour ce travail qui est à présent le sien. Il a réussi à nous porter, à dialoguer intimement avec la pièce, et en même temps à créer des espaces où il habite la pièce seul avec son instrument.

 

 

La scénographie respecte donc l’époque dans laquelle prend place cette pièce.

Oui et non, j’en reviens au travail impressionniste, chaque détail n’a pas besoin d’être reporté à l’identique, que ce soit dans le décor ou les costumes. Nous avons cherché à amorcer l’imaginaire du spectateur. Par exemple, Nathalie Matriciani s’est inspirée pour les costumes des peintures de Goya sur la noblesse espagnole, tout en les épurant.

 

Vous interpréterez le personnage de Figaro. Jusqu’à quel point ce rôle est-il marqué par la vie de son auteur?

On pourrait même dire que la vie de l’auteur a été bien plus romanesque que celle de Figaro (rires), car Beaumarchais a été espion ou encore marchand d’art, sans compter ses trois mariages pour lesquels il connaîtra une longue suite de procès et de scandales.

Le plus remarquable de Beaumarchais dans Figaro, c’est ce questionnement sur le rapport de classe. C’est cette mise en doute du bien-fondé de l’aristocratie. Lorsque le comte apostrophe Figaro en lui disant: «vous êtes bien lent pour vous changer», ce dernier lui répond: «on n’a pas de valet ici pour nous aider», une manière subtile d’amener le comte à se questionner lui-même.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Le mariage de Figaro, de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais dans une mise en scène de Joan Mompart, est à voir à la Comédie de Genève du 20 février au 11 mars 2018.

Renseignements et réservations au +41.22.320.50.01 ou sur le site www.comedie.ch

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