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Festival Tiago Rodrigues au Forum Meyrin

Publié le 06.05.2017

 

Le Forum Meyrin invite le public à s’immerger dans l’univers d’un artiste d’exception du 12 au 20 mai. A tout juste 40 ans, Tiago Rodrigues figure parmi les auteurs les plus féconds et les plus inventifs du théâtre contemporain. Le secret de sa créativité? La création collaborative. Pour cet auteur, comédien et metteur en scène nommé à la direction du Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne en 2015, le théâtre est avant tout une aventure humaine qui se solde par un spectacle vivant. Entre fiction et réalité, entre l’art et la vie, ses créations originales se nourrissent avant tout de leurs acteurs, mais viennent aussi s’appuyer sur la littérature de répertoire, que ce soient les chroniques shakespeariennes ou de grands récits mythologiques, pour brosser avec poésie le tableau de l’histoire contemporaine. Remarqué au Festival d’Avignon en 2015, Tiago Rodrigues vous propose cinq rendez-vous pour apprendre à le connaître. Rencontre.

 

 

Comment définiriez-vous le style Tiago Rodrigues?

La question du style n’est pas la priorité dans ma démarche artistique, mais je dirais que j’essaie de produire un théâtre qui met les individus au premier plan en partant d’un projet informel. Car les comédiens apportent leurs propres esthétiques stylistiques desquelles je m’inspire. Ce que j’aime montrer sur scène, ce sont des personnes, de la poésie et de la littérature. Je réunis les conditions idéales pour que ces personnes soient les plus libres possibles sur scène, les uns avec les autres, en débat politique et esthétique, munis des outils du théâtre.

Chaque spectacle est alors beaucoup influencé par ses participants et donc toujours très différent. Dans Antoine et Cléopâtre par exemple, une des pièces présentées au Forum Meyrin, imaginée avec les danseurs et chorégraphes Sofia Diaz et Vitor Roriz, la musicalité et la rigueur du jeu des comédiens-danseurs est mise en évidence. Dans le solo Entre les lignes, créé avec mon ami de longue date Tónan Quito avec qui j’ai beaucoup travaillé, le centre est le chaos du comédien sur scène qui s’impose. Le choix et le flux des mots changent beaucoup suivant les principes de travail des comédiens. C’est la rencontre des personnes entre elles qui dicte mon processus artistique.

 

Racontez-nous votre rencontre avec ce théâtre contemporain écrit en plateau?

Je peux dire que c’est le moment où j’ai réellement choisi de faire du théâtre. Au début de mon parcours artistique, à vingt ans lorsque j’étais en première année du Conservatoire de théâtre à Lisbonne, j’ai rencontré une compagnie flamande d’Anvers, TG Stan. J’ai découvert un théâtre collectif qui faisait apparaître tant la liberté du comédien que sa responsabilité. En passant de l’interprète au créateur, j’avais trouvé le moyen d’expérimenter mes opinions, mes idées et mes erreurs sur scène. Puis ils m’ont invité à créer un spectacle avec eux en 1998 et là ça a été pour moi la découverte non seulement de leur langage mais aussi des nombreuses autres formes du théâtral collectif européen.

 

Aujourd’hui directeur artistique du Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne, quelle place ce genre de théâtre collaboratif a-t-il au Portugal?

Comme son nom l’indique, c’est la plus grande institution théâtrale du pays. J’ai d’ailleurs été très surpris qu’on m’invite à prendre sa direction, puisque je suis le plus jeune directeur que cette institution ait connu en 170 ans d’activité. Cette décision gouvernementale est un symbole fort indiquant un changement des mentalités. Elle marque l’ouverture à toute une nouvelle génération du théâtre portugais, pour qui, depuis la crise économique, les moyens de création se sont drastiquement réduits.

La première année je n’ai travaillé qu’avec des artistes qui n’avaient jamais exercé au théâtre national, pour montrer qu’il y avait dans le théâtre portugais tout un monde qui n’avait pas encore été légitimé par cette institution. Depuis, je mélange les artistes de toutes les générations pour offrir une programmation très variée en dynamisant la production, la création et la collaboration nationales et internationales, et en privilégiant le risque en donnant leur chance aux artistes émergents et aux nouvelles formes théâtrales.

 

 

Amateur d’action inédite comme "l’occupation" du Théâtre de la Bastille à Paris en 2016 pendant trois mois, qu’avez-vous imaginé lorsque le Théâtre Forum Meyrin vous a donné carte blanche pour organiser une semaine de rendez-vous avec le public suisse?

C’est d’abord le fruit d’un dialogue avec Anne Brüschweiler, la directrice du Théâtre Forum Meyrin, sur la reconnaissance d’une urgence partagée. L’urgence de ne pas rester dans la consommation culturelle vertigineuse. Car l’urgence est bien différente de la vitesse. C’est génial d’être programmé dans toutes les villes d’Europe et d’avoir une tournée bien remplie. Mais je me suis rendu compte que je ne faisais que courir d’une ville à l’autre, sans me laisser le temps de vivre une histoire plus profonde avec un lieu et ses habitants, acteurs culturels, artistes comme public.

Pour mon premier passage à Meyrin, même si c’est le deuxième à Genève (Ndlr: L’homme d’hier, conçu avec le Libanais Rabih Mroué au Théâtre de l’Usine en 2009), je trouvais intéressant de montrer différentes créations qui ont jalonné ces quasi dix années "d’absence". Le spectacle Antoine et Cléopâtre, qui tourne beaucoup depuis sa création en 2014, est un bon exemple de mon mode d’écriture théâtrale comme je le disais précédemment, concernant la réécriture contemporaine des pièces du répertoire. Dans Bovary, qui est le premier spectacle que j’ai créé en collaboration avec des comédiens français, en 2016 au Théâtre de la Bastille, il est beaucoup question de mes préoccupations concernant le monde artistique, du rapport entre l’art et la loi, mais surtout du pouvoir transformateur de l’art et du danger de la littérature. Entre les lignes est un peu une sorte de petit bijou théâtral qui en dit beaucoup sur mon processus artistique tout en restant une fiction. Créée en 2015, By heart, que je joue en solo, est une pièce sur la transmission qui a comme point de départ une histoire vraie, autobiographique. A 93 ans, ma grand-mère a voulu apprendre un livre presque par cœur, parce qu’elle adorait lire et voulait, même aveugle, pouvoir encore le faire mentalement. Elle m’a demandé de choisir ce livre, parce qu’elle se sentait aussi responsable de mon amour des mots et de l’écriture. C’est l’histoire de ma recherche de cet ouvrage.

 

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur le spectacle Cabaret que vous allez créer in situ avec les étudiants de La Manufacture de Lausanne?

C’est un projet que j’avais en discussion avec cette école depuis un certain temps et le Forum Meyrin nous a permis de faire le lien entre notre envie et ma résidence à Meyrin. J’ai prévu de prendre le temps de rencontrer les étudiants durant la semaine, de penser avec eux, afin qu’au terme de la semaine nous présentions au public le résultat de ce contact par une petite présentation. Nous avons choisi de l’appeler Cabaret, puisqu’il s’agira d’un assemblage des propositions élaborées avec les étudiants. Le mot cabaret reflète aussi ce côté tant informel que festif, et cette proximité avec les spectateurs que nous souhaitons donner à cet essai.

 

Entre fiction et réalité, entre l’art et la vie, vos créations trouvent-elles leur point de départ dans la littérature de répertoire qui vous est chère ou chez les personnes qui vous entourent?

Je pars toujours des personnes avec qui j’ai envie de travailler ou qui font appel à moi. Parfois cela nous amène à des situations épineuses où les comédiens sont six pour un texte fait pour quatre ou inversement. Mais l’idée est de mener cette aventure ensemble, de partager un moment de vie et d’en faire un spectacle.

Pour Antoine et Cléopâtre, j’avais envie de travailler le théâtre avec les chorégraphes et danseurs Sofia Diaz et Vitor Roriz qui forment un couple à la vie également, comme Elizabeth Taylor et Richard Burton qui ont joué ensemble dans le film Cléopâtre de l’Américain Joseph Mankiewicz en 1963. C’est leur histoire, le romantisme réel de ce couple qui m’a amené à relire Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare et à le leur faire lire pour débuter notre voyage créatif. C’est aussi très naturellement que j’avais envie de les mettre en scène dans ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes, cette physicalité et cette musicalité qui les habitent, à travers des mots choisis et un rythme qui expriment tout cela.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Festival Tiago Rodrigues, Théâtre Forum Meyrin du 12 au 20 mai 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.989.34.34 ou sur le site www.forum-meyrin.ch

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