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Festival de jeunes talents entre le Théâtre du Loup et La Gravière

Publié le 01.04.2019

 

La 8ème édition du festival C’est déjà demain se déroulera du 4 au 6 avril à Genève, entre les salles du Théâtre du Loup et de La Gravière. S’inscrivant comme le festival des relèves théâtrale et musicale, douze rendez-vous donneront l’occasion de découvrir le travail de jeunes compagnies, groupes de musique et collectifs de DJs.

Les six projets d’art vivant présentés durant le festival ont été sélectionnés par un jury professionnel et par un jury public au terme d’un concours en plusieurs étapes. Le dernier tour s’est déroulé en octobre dernier dans le cadre de la Fête du Théâtre, lors de l’événement intitulé Jouez les mécènes! Parmi eux, Le complexe de l’hôtesse de l’air d’Alexandra Camposampiero et Be Arielle F. de Simon Senn. Les créations en devenir de ces jeunes trentenaires questionnent chacune à sa manière un présent en vive mutation. Utilisant leur art comme média, ils remettent en cause la notion de l’art même à travers des œuvres très intimes.

 

Le complexe de l’hôtesse de l’air

«Mon ex m’a dit une fois que j’avais un petit côté hôtesse de l’air. Internationale. Souriante. Conciliante. A rigoler aux blagues. A ne pas prendre parti. A avoir toujours besoin de plaire. Un petit côté comédienne quoi», raconte l’actrice, auteure et metteure en scène genevoise Alexandra Camposampiero. «Le complexe de l’hôtesse de l’air est un projet que j’avais au fond d’un tiroir depuis un certain temps, dont l’écriture s’est organisée de manière très spontanée, comme une nécessité.» Diplômée de l’Ecole de théâtre Serge Martin, Alexandra Camposampiero est une fervente de la performance et du mélange des arts. Si ses précédentes créations partaient toujours de thématiques personnelles, elles mettaient en scène d’autres personnes qu’elle. «Aujourd’hui c’est un peu comme si je n’avais plus d’autre choix que de parler de mon parcours pour essayer d’en faire quelque chose d’universel. D’enlever ce dernier artifice pour évoquer ma pensée».

Dans son dispositif théâtral auto-fictif, Alexandra Camposampiero se met en scène pour questionner sa propre construction identitaire, de l’adolescence à l’âge adulte, et en particulier celle de sa féminité. «Notamment à travers cette idée de devoir correspondre à certains critères sociétaux, à devoir être cette hôtesse de l’air, 'parfaite', qui a le pouvoir d’être adéquate en toutes situations, un sentiment peut-être initié par ma culture tessinoise d’origine où la femme porte encore l’image que la société patriarcale italophone lui a donnée.» Un état d’être à double tranchant et dont elle ressent une certaine pression. «Comme je le dis dans le texte: en conclusion, être une hôtesse de l’air n’est pas mon idéal, mais quel est-il exactement? Comment être soi-même avec tant de pression? Il fallait que je crève l’abcès de ces questions-là, avec un certain recul et une pointe d’humour.»

Si ce spectacle porte un axe féministe, il n’est en aucun cas revendicateur. «Ni les hommes, ni les femmes ne sont condamnés, tous sont plutôt paumés, parce que chacun se trouve face à des cadres mis en place il y a bien longtemps. L’homme comme la femme se trouvent face aux sillons que leur culture leur a tracés et choisir un parti-pris identitaire n’est pas chose aisée.»

De ses expériences filmiques d’actrice, elle garde un jeu intimiste et naturel. «Dans mon dispositif, j’utilise dans ce sens des micros, pour pouvoir justement renforcer cette intimité à certains moments du spectacle, que l’on puisse voir les fragilités, comme les défaillances de l’être. Trois musiciennes m’accompagneront sur scène, qui porteront aussi des petits rôles, et pour moi, leur attitude non théâtrale fait partie de ma recherche de naturel.»

 

Be Arielle F.

«Chère Arielle F., je suis un artiste basé à Genève et je travaille actuellement sur un projet scénique où je vais utiliser une représentation tridimensionnelle de vous-même. J’ai acheté votre réplique digitale sur le site ten24.info pour £10 et ma licence m’offre une quasi totale liberté avec celle-ci. Je vous contacte car je trouve que vous devriez avoir votre mot à dire sur ce qu’il advient de votre double virtuel. Et aussi car je souhaiterais que vous ayez une rétribution financière en contrepartie de cette utilisation. Meilleures salutations, Simon Senn.»

C’est en ces mots que Simon Senn – candidat sélectionné pour la finale du Prix d’encouragement Premioqui se tiendra le 8 mai au Théâtre de Vidy-Lausanne –, s’est adressé pour la première fois à Arielle F., citoyenne de Grande-Bretagne. «J’ai pu la retrouver assez facilement en faisant une recherche sur les réseaux sociaux. En utilisant l’Hashtag du nom du studio, j’ai pu la retrouver grâce à un selfie qu’elle avait fait au moment où elle se faisait scanner et qu’elle avait posté sur les réseaux sociaux», raconte Simon Senn. Formé à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève et à la Goldsmiths université de Londres où il a obtenu son Master en beaux-arts, son pêché mignon c’est la vidéo, alors pourquoi a-t-il choisi la scène pour cette création? «J’avais envie de parler de mon expérience des nouvelles technologies digitales, d’utiliser la scène comme un média, et surtout, pour la première fois d’aller à la rencontre des gens pour partager, en direct, ma fascination de l’image mais aussi mes questionnements.»

 

 

Son projet a pris un tournant décisif il y a trois mois lorsqu’il achète sur Internet la réplique numérique d’une personne qui existe. Un fichier en trois dimensions d’une représentation photoréaliste du corps nu d’une personne qu’il ne connaissait pas. «Avec ce fichier, j’ai mis en place un système immersif de captation de mouvement, afin de rentrer virtuellement dans le corps de cette personne à l’aide d’un casque de réalité augmentée. Je me suis alors glissé dans le corps de cette femme, une expérience totalement nouvelle et bouleversante. C’est pour cette raison que j’ai voulu retrouver cette personne par la suite, car j’avais en tête de monter une projet autour de cette expérience et je voulais connaître ses dispositions quant à l’utilisation de son image, le vide juridique entourant le droit de l’image étant très en retard par rapport à l’avancement rapide de la technologie. Pour exemple les 'deep fakes' aux Etats-Unis, ces vidéos truquées où l’on remplace des visages par d’autres, qui n’ont aucun statut juridique à l’heure actuelle.»

A leur rencontre, Simon a montré son double à Arielle, qu’elle n’avait jamais vu. Car Arielle est étudiante, elle fait du mannequinat pour arrondir ses fins de mois. Un jour son agence l’a envoyée dans ce studio, qui pour £70, lui demandait deux minutes de son temps, le temps du processus d’enregistrement par scannage 3D. «Elle ne s’est pas posée plus de question à cet instant», relate Simon Senn, soulignant que la jeune femme était satisfaite d’avoir un double digital qui lui survivrait.

«Cette technologie existe depuis un moment déjà dans l’industrie du cinéma et des jeux vidéo, mais ce qui est nouveau c’est qu’elle est aujourd’hui accessible au plus grand nombre, et le plus choquant pour moi, c’est que je n’ai payé que 15 CHF pour une licence qui m’autorise même à vendre l’image de cette personne, un fait réel qui m’a mis dans l’urgence de cette création.»

Sur scène, le spectateur pourra voir soit ce que la personne voit dans le casque, soit la retransmission en temps réel de la réplique animée filmée par une caméra extérieure. Pendant le spectacle, Simon Senn téléphonera par Skype à Arielle, qui pourra également intervenir à sa guise.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Festival CDD.8 du 4 au 6 avril à Genève, au Théâtre du Loup et à La Gravière.

Be Arielle F. de Simon Senn est à découvrir le jeudi 4 avril à 21h00 au Théâtre du Loup et Le complexe de l’hôtesse de l’air d’Alexandra Camposampiero le vendredi 5 avril à 22h00.

Programme complet du festival et réservations sur le site www.theatreduloup.ch

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