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Derborence, au Galpon

Publié le 29.05.2015

 

« Derborence, c’est l’histoire d’une communauté qui fait corps face à l’étrange »

 

Après Berthollet, au tour de Derborence. Le metteur en scène Mathieu Bertholet présente ce texte de Ramuz au Galpon à Genève, du 03 au 07 juin. Spectacle à mi-chemin entre la danse et le théâtre, cette création de la compagnie de Mathieu Bertholet MuFuThe s’appuie sur le texte romanesque dans lequel l’écrivain suisse invente une histoire à partir d’un fait réel : l’éboulement de Derborence en 1714. Cette catastrophe gigantesque, sur un alpage, ensevelit tous les hommes et toutes les bêtes d’un village. Tout juste trois cents ans après, la création de Derborence s’est déroulée en Valais l’an passé, et les premières représentations ont eu lieu en plein air, à Derborence même. Grâce au travail de dix comédiens, dont les voix s’entremêlent, se croisent et se chevauchent, le public est embarqué dans une forme que le metteur en scène qualifie de prouesse. Interview de Mathieu Bertholet à l’occasion des ultimes dates pour voir la pièce, au Galpon.

 

 

Le spectacle Derborence a été créé à l’été 2014, pour la commémoration de l’éboulement, tout juste 300 ans après… Etait-ce une commande ?

Non, ça a été concomitant… Je savais depuis longtemps que je voulais travailler sur Ramuz. Quand j’ai décidé de créer Berthollet, Derborence et Farinet – ce dernier a été annulé par ma nomination à la tête du Poche –, je me suis rendu compte que ça correspondait au tricentenaire de la catastrophe (qui a eu lieu en 1714). C’est donc une coïncidence.

 

Et la tournée de Derborence s’achève désormais. Quelle est la différence de réception en Valais, en plein air, ou à Lausanne ou Genève maintenant ?

Il y a eu vingt représentations en plein air, à Derborence, six à Monthey et dix à Vidy-Lausanne. Au Galpon, ce sont les dernières des 40 représentations de la tournée. La pièce a été créée en plein air pour que les comédiens se remplissent de la réalité du lieu. Avec la compagnie, nous faisons un théâtre abstrait, pas illustratif du tout, c’est une forme dansée, hypnotique, où j’essaie de créer de nouvelles images. A Derborence, le public pouvait s’échapper dans le paysage qu’il avait sous les yeux. En salle, ça n’a rien à voir, le spectateur doit s’échapper dans son imagination. Selon moi, c’est presque mieux, car le spectateur est actif et chacun a sa propre représentation de la montagne en tête. En Valais, beaucoup de personnes étaient des fans absolus de Derborence. Ils étaient émus aux larmes dès le début. Ça leur parle beaucoup. Tous les Valaisans connaissent l’histoire. Et plus largement en Suisse, les gens connaissent tous Derborence, ont une histoire personnelle avec ce lieu.

 

C’est un spectacle à plusieurs voix, où on entend les veuves, la montagne, etc. Comment avez vous construit cette partition pour dix comédiens ?

En fait, il s’agit d’une seule voix, celle de Ramuz. Son écriture n’a pas été touchée du tout. Le texte est prononcé par dix acteurs qui racontent cette histoire. Nous avons vraiment respecté la forme de Ramuz, qui est du « racontage » pourrait-on dire. Il ne s’agit pas d’un chœur permanent…

 

 

En effet, le jeu des comédiens est basé sur l’aléatoire. Chacun peut prendre la parole quand il le souhaite. Sur la durée, comment se passent les représentations avec ce procédé ?

Le principe est que tous les comédiens connaissent tout le texte par cœur. En représentation, chacun prend la parole au moment où il le sent, parfois plusieurs personnes prennent la parole en même temps. Les rencontres sont à chaque fois différentes. Plutôt que d’improvisation, je parlerais de spontanéisme, car beaucoup de choses sont fixées et il y a des règles du jeu qui ne sont pas celles de l’improvisation. Tout est guidé par la volonté, l’individualisme et la liberté de chacun. C’est comme ça que se font les choses. A l’aune de la meilleure représentation, je suis souvent déçu et même fâché si ça se passe moins bien à mes yeux. La difficulté, avec ce concept, c’est que les dix personnes ne ressentent jamais les choses de la même manière. Et il est impossible que tout le monde soit satisfait en même temps. C’est très difficile, c’est parfois une torture…

 

Mais alors pourquoi s’infliger ça ?

Ce n’est pas la première fois que j’utilise ce procédé. Si j’y reviens a posteriori, c’est parce que sur le moment c’est difficile mais qu’on retient les bonnes choses. Les spectateurs, eux, passent un moment extraordinaire, et sentent que c’est une représentation unique. Le public ressent la prouesse physique et mentale de ce procédé puisque tous les acteurs connaissent tout le texte ! Mais souvent, le public ne s’en rend pas compte que le texte circule librement. Il pense que le texte est distribué à l’avance car les acteurs ne se coupent pas la parole. Le public est alors séduit par la beauté et par la perfection de certains moments.

 

Qu’est ce que la catastrophe naturelle décrite dans Derborence raconte sur notre monde d’aujourd’hui ?

C’est moins la catastrophe naturelle qui m’intéresse que l’idée de la communauté d’un village qui est atteinte. Pour les habitants de cette communauté, c’est un vrai changement. Et c’est ce que transmet l’écriture de Ramuz. On ne sait pas si on se situe avant, ou après la catastrophe… C’est une écriture communautaire. On ne sait souvent pas qui parle ! La catastrophe est comme une divinité grecque dans tout ce qu’elle a d’insondable, d’impénétrable. Ramuz parle du diable, de forces animistes… Ce qui parle beaucoup aux Valaisans. C’est l’histoire d’une communauté face à l’étrange, comment elle est séparée, morcelée, puis comment elle fait corps, finalement.

 

        Est-ce l’histoire de Derborence résonne par rapport aux événements du début de l’année à Paris ?

Non, car il ne s’agit pas, chez Ramuz, d’une communauté contre une autre. Dans ce village et même plus loin, tout le monde se rassemble face à la douleur. Alors que, lors des attentats de Paris, on a rapidement vu que la communauté était fragmentée, qu’il y avait des lignes de faille…

 

Propos recueillis par Cécile Gavlak

 

Derborence, du 03 au 07 juin au Théâtre du Galpon à Genève. Renseignements au +41.22.321.21.76 ou sur le site www.galpon.ch

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