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Conte humaniste et optimiste

Publié le 28.10.2022

Librement adapté d’Andersen, Le Soldat et la ballerine opte pour un réalisme tour à tour grave, burlesque, marionnettique et merveilleux, à l’affiche du Théâtre Am Stram Gram (Genève) du 4 au 6 novembre. A destination des dès 7 ans et au-delà, la fable raconte les aventures d’un soldat d’étain semblant sorti de guerres napoléoniennes et d’une malicieuse ballerine faite de papier. Elle a l’humeur enchantée et l’habit d’une héroïne manga. Après leur abandon, ils se découvrent amoureux, puis emportés par un vent mauvais. L’innocence d’enfance triomphe face à l’illogisme d’un monde adulte et l’adversité. Car rien ne brûle dans cette Toy Story - hors l’haleine d’un dragon salvateur.

Roland Schimmelpfennig a imaginé ce détournement de conte dont se saisit le metteur en scène et directeur du Théâtre du Jura, Robert Sandoz - qui avait déjà monté avec bonheur Le dragon d’or de ce même dramaturge allemand à succès. Chez Schimmelpfennig, passer par l’estomac d’un poisson ou le nid d’une pie dessine un périple initiatique, et  les égouts sont des fenêtres ouvertes sur l’imaginaire.

Aux enfances éprouvées comme rarement par la période pandémique, la pièce offre consolation, et reconnaissance de leurs rôles en première ligne de défense de la vie. Rencontre avec le metteur en scène Robert Sandoz.

Comment est née cette création?

Robert Sandoz: Les éditions de l’Arche, qui publient des pièces de Roland Schimmelpfennig en français, avaient fort apprécié ma mise en scène de la pièce féroce pour adultes sur l’injustice, Le dragon d’or de l’écrivain allemand, en 2019. Elles m’ont alors proposé de mettre en scène cette œuvre inédite que j’ai ensuite traduite en français. Parallèlement, le Festival d’Avignon souhaitait depuis plusieurs années que je monte une pièce jeune public. Ce qui fut fait lors de la dernière édition où Le Soldat et la ballerine fut créé avec Adrien Gygax et Lucie Rausis dans les rôles titres. Ils interprètent aussi nombre de personnages.



Qu’est-ce qui rapproche Le dragon d’or et Le Soldat et la ballerine?

A mon sens, le lien se trouve dans l‘amour de l’écrivain pour la construction et la narration éminemment contemporaine. Et technique pour les interprètes, sachant qu’ils doivent jouer plusieurs protagonistes. Ainsi les personnages incarnent et racontent presque simultanément, parfois dans la même phrase.

Dépeignant ce qui se déroule, le dramaturge passe ainsi beaucoup du je au ils.

Qu’est-ce que cette situation raconte de l’enfance?

Lorsque l’on joue, enfant, il faut bien que l’un des deux protagonistes fasse le Méchant. Sinon le jeu ne peut guère exister. Par ailleurs, comme souvent chez l’auteur, se dégage une vision pessimiste de notre société. Mais cette pente dramatique et pessimiste chez l’auteur est compensée par le fait que l’on "joue" à cette société allant mal, de Charybde en Scylla. D’où un côté joyeux, ludique.

Parlez-nous du début de la pièce.

L’entame est caractéristique de l’approche novatrice du dramaturge face au conte originel d’Andersen. La figure initiale muette de la ballerine voit ici sa réalité augmentée, devenant un personnage à part entière.

Le début est possiblement complexe. De fait, il se doit de paraître évident pour le public. C’est l’aisance de l’interprète suggérant savoir parfaitement où il va qui fait figure de contrat tacite entre spectateur et acteur. Il existe une cohérence interne dans l’écriture faisant que tout peut paraître in fine évident.





Et la fin mise en abyme?

J’adore épuiser les concepts de narration et d’incarnation au fil d’un spectacle. A cet égard, les dix dernières minutes sont les plus difficiles à mettre en scène pour moi.

Dans la pièce, l’incarnation glisse de la voix à des déguisements totaux d’animaux masqués. Après avoir épuisé tout ce théâtre, il ne restait que le surgissement du réel stylisé venu de la salle. Si la petite protagoniste est citée dans le texte de Roland Schimmelpfennig, elle trouve ici son incarnation. Aller au plus loin dans la construction dramaturgique revient donc à convoquer l’outil du réel.

Vous avez imaginé le personnage maléfique et légendaire du gobelin sous la forme d’un élément de farces et attrapes sortant d’un paquet cadeau.

Quant à lui, le diable factice à ressort imaginé est le premier opposant de l’intrigue. Pour une question de progression, je voulais un objet que les enfants maîtrisent ou reconnaissent. Il faut rappeler ici que la première partie de la pièce se déroule dans la chambre des enfants. Dès lors, j’ai souhaité que sa traduction scénique puisse être un monde que les enfants maîtrisent. Passant par la fenêtre du conte, Le Soldat et la Ballerine arrivent symboliquement dans le monde des adultes.

Une fois ce seuil passé, je confiais souvent aux interprètes de penser à une petite fille s’égarant dans New York. Elle y croiserait un policier monté sur cheval. Et ce dont la petite fille se souviendrait est d’un canasson qui lui parle. La situation est ainsi celle d’enfants projetés dans un univers étranger, qui n’est pas le leur. Cela rejoint la morale de l’auteur posant que vu par des yeux d’enfants, le monde adulte apparait illogique. 






Quels sont les thèmes qui vous ont intéressés dans ce conte?

Il serait possible de faire un spectacle tout entier sur le thème du harcèlement avec l’épisode des jumeaux, où le rire est lié aux éclairs de lumière donnant une dimension de géants à ces mêmes jumeaux. Je songe aussi à l’abandon de l’enfant par les parents, voire la réalité des migrants et des enfants réfugiés sans passeport et refoulés aux frontières à travers la séquence des rats - c’est la situation d’une personne qui souffre à laquelle on ne porte pas secours parce qu’elle n’a pas un bout de papier qui est révoltante, anormale, pas le fait de l’évoquer par un gilet de sauvetage.

Chez Roland Schimmelpfennig, il n’y a pas la volonté d’approfondir chacun de ces thèmes. Mais plutôt de souligner qu’ils sont illogiques au regard des valeurs d’humanité. C’est le sentiment d’injustice face à des situations inhumaines qu’il fallait ici transmettre. Ceci par un détournement d’objet, la table de camping devenant bateau.

A chaque épisode du récit, il s’agit d’une recherche d’équilibre entre conte, modernité, symbole et réalité politique. J’aime précisément ce texte pour son alliage entre poétique, lyrique et concret politico-social.

Vous envisagez la pièce tel un road movie.

Oui. La fable traverse une succession de lieux sur un mode puissamment cinématographique. Il n’y a pas de retour possible sur un lieu passé au fil de ce mouvement perpétuel effectivement proche du road movie. Le rideau blanc figure ici le monde protégé du royaume de l’enfance. Au plan familial, je me suis interrogé en réalisant ce spectacle sur la manière de préparer mes filles à leur vie d’adultes. Et je ne pense pas qu’un parent le puisse vraiment. Car cette vie est souvent tellement folle et absurde. Comment leur apprendre à se relever sans qu’ils aient à tomber, telle est l’une des questions essentielles.

Des résonances avec la pandémie et les périodes de (semi-) confinement.

Absolument. La crise Covid a mis nombre d’enfants en première ligne et les a durablement éprouvés psychiquement et physiquement. Cette pièce dessine un geste de consolation, de bienveillance et de confiance absolue envers les ressources de l’enfant. En partant de son imaginaire qui va bien au-delà de ce que l’on appelle communément la résilience. Ceci pour pallier au drame de la mise à distance notamment.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Le Soldat et la ballerine
Du 4 au 6 novembre au Théâtre Am Stram Gram, Genève

Roland Schimmelpfennig, texte, d'après Andersen
Robert Sandoz, adaptation et mise en scène
Avec Adrien Gygax et Lucie Rausis

Informations, réservations:
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/le-soldat-et-la-ballerine