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Bee Classical fait Place aux Compositrices

Publié le 02.11.2024

Nouveau concert pour le Trio Ernest, le 6 novembre au Conservatoire de Genève, dans la série Bee Classical

En charge de leur série « Bee Classical !», ils ont décidé de déléguer la direction artistique de ce concert à Héloïse Luzzati. Violoncelliste française, elle est devenue, depuis quelques années, une référence dans le domaine de la recherche et la promotion de compositrices oubliées.

Depuis 2020, elle a notamment créé La Boîte à Pépites ou le festival « Elles Women Composers ». Son engagement lui a d’ailleurs valu d’être élevée au rang de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le Ministère de la Culture en France.

Nous nous sommes entretenus avec Héloïse Luzzati pour en savoir plus.



Vous êtes-vous heurtée à des obstacles, des incompréhensions ou des désintérêts vis-à-vis de votre démarche ?


Héloïse Luzzati: « Si on ne connaît pas, il y a une bonne raison ». C’est ce qui ressort assez régulièrement sur tout ce qui concerne le patrimoine. On a parfois la sensation que tout ce qui doit être connu l’est, et ce n’est évidemment pas le cas.

Quant aux compositrices dans l’histoire de la musique, « Est-ce que cela ne mérite pas de rester oublié ? » est une question qui revient encore et encore. Mon but est de faire bouger quelques pré-requis qui n’ont pas lieu d’exister.

Si des compositrices ont été oubliées, ce n’est sans doute pas par manque de talent.



Parmi les compositrices qui sont passées à la postérité, une importante proportion était liée à des hommes, comme Clara Schumann, Alma Mahler, Fanny Mendelssohn... Est-ce que la corrélation vous semble évidente ?

Effectivement, je pense que si elles n’avaient pas été « femme de » ou « sœur de », elles ne seraient pas aussi connues. Elles sont restées des noms connus dans l’histoire de la musique en bénéficiant de leur lien avec un homme.

Cela paraît honnête de penser qu’elles auraient été oubliées si elles n’avaient pas eu ce lien.

En musique contemporaine, la proportion de compositrices est pourtant légèrement plus équilibrée.

C’est vrai ! D’ailleurs, dans les 4% de représentation des compositrices, la musique contemporaine fait monter les statistiques. Mais pour autant, quand on regarde les chiffres des étudiants au CNSM de Paris en classe de composition - de mémoire - seulement 22% sont des étudiantes.

Même si quelques femmes deviennent figures de proue de la musique contemporaine, il faut toujours garder une vigilance.





En quoi consiste votre travail de recherche ?

Au départ, mon but était de faire un gros travail de recherche et de numérisation de partitions pour récupérer autant de manuscrits et de premières éditions que possible. La deuxième étape, après avoir identifié des fonds de partitions, c’est de les lire, les déchiffrer....

Sur la quantité de partitions numérisées, tout ne devient pas un projet crucial dans la vie, car c’est impossible ; il y a trop d’œuvres pour pouvoir tout diffuser.

Passé ce stade de lecture - que je ne fais pas seule, mais avec d’autres musiciens - il faut réfléchir à comment les mettre en circulation.

C’est pour cela que j’ai monté des projets qui visent à les diffuser de différentes manières, que ce soit par une chaîne de vidéos avec laquelle j’ai fait un peu plus de 130 capsules, un festival, un label discographique et de plus en plus de collaborations avec des salles de concerts pour les accompagner et réfléchir à des programmes avec eux et pour eux.

Ce n’était pas calculé d’avance, tout s’est fait petit à petit.

La Boîte à Pépites, chaîne de vidéos sur Youtube, a donc découlé du projet de recherches ?


Tout se fait un peu de concert. À partir du moment où il existe des outils de diffusion, la visibilité augmente et la recherche prend plus de sens.

Rechercher pour rechercher, si ce n’est pas pour jouer, je ne vois pas l’intérêt. Le but est de pouvoir jouer la musique, et cet espace de diffusion, je ne l’avais pas, donc je l’ai créé. Une étude faite l’année dernière montre que 4% du temps de programmation est dévolu à des œuvres de compositrices.

Il faut créer l’espace de diffusion là où il n’existe pas.

Combien de partitions avez-vous rassemblé jusque-là ?

Je dirais un peu plus de 4000. C’est un mélange de fonds privés et de bibliothèques en France ou à l’étranger.

Je tente ma chance pour obtenir des numérisations. C’est souvent fructueux, mais quand c’est une recherche de fonds sur une compositrice pour laquelle une monographie est prévue, nous nous déplaçons.

Ce n’est pas toujours bien rangé et répertorié, et si nous n’allons pas sur place, nous risquons de louper quelque chose.

C’est un travail chronophage, mais c’est là tout l’intérêt d’avoir des fonds les plus complets possibles, car quand j’écris les biographies pour les livrets des disques, je n’écris qu’à partir de sources premières. Je ne répète jamais quelque chose que j’ai lu ailleurs, ce qui nécessite d’avoir un grand nombre de sources. 





Le Trio Ernest est sensible à votre démarche et vous a donc laissé carte blanche pour leur prochain concert à Genève.

Nous avons collaboré pour La Boîte à Pépites, ils connaissent mon travail. J’ai sous-entendu que s’ils me laissaient carte blanche, c’était pour programmer des œuvres de compositrices, et je n’ai même pas pensé à faire autre chose, car je sais qu’ils sont, eux aussi, curieux de répertoire.

C’était assez évident et cela n’a même pas été un sujet.

Vous avez invité la mezzo-soprano Fiona McGown, avec qui vous avez déjà collaboré par le passé.

Je me demande si ce n’était pas une suggestion du Trio, à vrai dire. Mais dans tous les cas, ils savaient que nous nous connaissions très bien. Elle a beaucoup enregistré pour La Boîte à Pépites et comme nous avons régulièrement travaillé ensemble, elle a déjà chanté la plupart des œuvres.

Pour quoi avez-vous opté dans ce programme ?

La constitution du programme n’a pas été simple, en raison des contraintes de la formation : deux violoncelles dans un programme, ce n’est pas forcément facile à construire. Je n’ai pas d’œuvres pour violon, deux violoncelles, piano et voix, j’ai donc dû réfléchir à la circulation entre un trio constitué et des œuvres de chambre avec voix.

Pour ce concert, je n’ai programmé que des compositrices françaises des XIXe et XXe siècles. C’est vraiment un programme à la jonction des deux siècles. J’ai une passion pour la découverte de répertoire pour voix, cordes et piano et d’ailleurs, cela se voit : ce sont des pièces très rares.

Je serais surprise d’apprendre que Mirages de Fred de Faye Jozin a été jouée depuis sa mort. La Nuit de Pauline Viardot est une partition que j’avais retrouvée dans une bibliothèque. C’est une pièce qui n’avait pas été enregistrée avant que nous le fassions pour La Boîte à Pépites.

D’ailleurs, la majorité des pièces de sont pas enregistrées. Le concert promet beaucoup de découverte !

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Le Trio Ernest,Fiona McGown et Héloïse Luzzati - Bee Classical

Le 6 novembre 2024 au Conservatoire de Genève, Salle Bartholoni

Héloïse Luzzati, direction musicale et violoncelle - Fiona McGown mezzo-soprano
Trio Ernest: Stanislas Gosset, violon - Clément Dami, violoncelle - Natasha Roque Alsina, piano.

Œuvres de Pauline Viardot, Fred de Faye Jozin, Isabelle Prat Delage, Hedwige Chrétien, Mel Bonis, CP Simon, Simone Blanchard, Marcelle de Manziarly


Informations, réservations:
https://www.ernestpianotrio.com/projets/

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