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Amour et psychose au TFM

Publié le 24.11.2015

 


C’est avec Histoire d’amour, salué par la critique comme un roman psychotique et glacial mené à la Hitchcock, que Régis Jauffret se faisait connaître il y a une vingtaine d’années. Depuis, la sordide affaire Fritzl, le meurtre du banquier Stern ou les frasques de DSK ont alimenté ses fictions souvent couronnées de prix. La Cie chilienne Teatrocinema s’est emparée de ce polar racontant l’obsession d’un banal prof d’anglais désabusé épris d’une jeune inconnue. Joué par deux comédiens, cette histoire de non-amour se tisse sur les planches dans un décor de BD et de cinéma. Les Chiliens connus pour leurs explorations scéniques sont de passage au Théâtre Forum Meyrin un soir seulement.

 

C’est une Histoire d’amour et ce n’en est pas une. Dans la tête du narrateur, il s’agit pourtant de sentiments. Ou plutôt d’un fantasme qui germe dans l’esprit de ce banal prof d’anglais lorsqu’il se trouve assis en face d’une jeune inconnue dans le métro. Le déclic se produit. A cet instant, il comprend qu’elle deviendra sa femme. Dès lors, son obsession prend la forme d’un harcèlement et de viols à répétition qui se heurtent au mutisme de sa victime. L’adaptation du roman de Régis Jauffet, Histoire d’amour (Verticales, 1997), est aujourd’hui un spectacle, à voir au Théâtre Forum Meyrin. Avec la Cie chilienne Teatrocinema, on embarque dans un dédale de dessins comme dans une BD dans laquelle deux comédiens donnent vie à ce récit haletant qui tient plus du polar que de la fresque sentimentale.

C’est par le plus grand des hasards que Zagal, l’un des fondateurs de la Cie Teatrocinema, découvre le roman de Régis Jauffret lors d’une tournée en France en 2004. L’histoire kafkaïenne de ce psychopathe confessant agir par amour l’intrigue. De retour à Santiago du Chili, il décide d’en faire une pièce de théâtre en mêlant différents médiums, en l’occurrence bande dessinée, cinéma et littérature. Autant de langages qui, avec le théâtre, la musique, l’animation et la photographie, sont la patte de la compagnie qui voit le jour en 2006 après l’aventure de la Troppa. La Troppa? Créée en 1987 par trois comédiens de l’Ecole de théâtre de l’Université Catholique du Chili, «La Troupe» fait référence à ceux qui ont marché d’un pas solide à l’heure de la dictature de Pinochet. Leurs spectacles ont marqué par la magie des univers et leur poésie (El Santo Patrono, Rap del Quijote, Viaje al Centro de la Tierra, Pinocchio, Jesús Betz). En 1999, c’est Le Grand Cahier d’Agota Kristof qu’ils adaptent à la scène dans Gemelos. Du récit de deux frères réfugiés chez leur effroyable grand-mère en temps de guerre, les artistes chiliens ont fait une métaphore émouvante de l’histoire de leur pays.

 

 

Roman psychotique et glacial mené à la Hitchcock

A 60 ans, Régis Jauffret, lui, est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages. Né dans une famille de la bourgeoisie marseillaise, il commence à écrire très jeune, vers l’âge de 16 ans, avant de décrocher une maîtrise de philosophie à la faculté d’Aix-en-Provence et de s’installer à Paris. Refusé par plusieurs éditeurs, son premier roman, Seule au milieu d’elle, est finalement remarqué par Philippe Sollers qui décide de le publier. C’est avec Histoire d’amour que Régis Jauffret se fait ensuite connaître auprès de la critique française: «un roman psychotique et glacial mené à la Hitchcock» en dit L’Express.

Lecteur de Proust, Zola, Kafka, Thomas Bernhardt ou Virginia Woolf, Régis Jauffret n’a de cesse d’explorer les zones d’ombre de la psyché humaine sur fond d’un quotidien désenchanté cher à Michel Houellebecq, dont il est l’exact contemporain (tous deux sont nés en 1955). Pour le Nouvel Observateur, il est le créateur d’un nouveau type littéraire «entre déprimisme et prose toxique».

Après Clémence Picot (1999), où une jeune infirmière bascule dans la folie, Asile de fous lui a valu le prix Femina en 2005. Entre farce et tragédie, Microfictions brosse le destin d’une foule de personnages dans cinq cents histoires courtes. Avec cet ouvrage, il décroche le prix France Culture Télérama et le Grand prix de l’humour noir. Dans Lacrimosa (2008), c’est le suicide d’une de ses proches qui l’inspire et le plonge dans un profond désespoir. Il publie deux ans plus tard Sére autour du meurtre du banquier Edouard Stern, porté au cinéma par Hélène Filières (avec Laetitia Casta, Benoît Poelvoorde et Richard Borhinger). Puis ce sont les frasques de DSK qu’il épingle, sans jamais le nommer, dans La Ballade de Rikers Island.

 

 

Des romans féministes

Mais c’est sans doute avec Claustria, basé sur un triste fait divers, que Régis Jauffret ausculte de manière plus profonde encore la perversité de l’âme humaine. Inspiré de l’affaire Fritzl et d’incestes sordides, le roman raconte la vie de l’Autrichienne Elisabeth Fritzl sequestrée vingt-quatre ans (entre 1984 et 2008), par son père qui lui fait sept enfants. Condamné en 2009 par la justice autrichienne à la prison à vie et à l'internement psychiatrique pour séquestration, viols et meurtre, Josef Fritzl avait tenu sa fille captive dans la cave sans fenêtre de sa demeure, à l’abri du monde avec la télévision pour seule distraction. «Ce qui a déplu aux Autrichiens, c’est que je rappelais que, dans ce pays, un père qui viole son enfant écope au maximum de trois ans de prison et, si c’est un oncle qui viole son neveu ou sa nièce, d’une année. Cette loi, en contradiction avec tous les textes européens en matière de protection de l’enfance, est indéfendable. Peut-être qu’une femme serait plus efficace que moi pour faire bouger les choses. C’est un combat féministe, en tout cas. Partout où le corps de l’enfant n’est pas respecté, la femme ne l’est pas non plus. En réalité, mes romans sont féministes...», racontait-il dans un entretien avec Jérôme Garcin. Quid de la version scénique chilienne d’une Histoire d’amour? Réponse le 8 décembre prochain.

 

Cécile Dalla Torre

 

Histoire d’amour, mardi 8 décembre à 20h30 au Théâtre Forum Meyrin.

Informations et réservations au +41 22 989 34 34 ou sur le site du théâtre www.forum-meyrin.ch

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