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A la Comédie, Cassandre dit "non"

Publié le 19.09.2015

 


Entre drame intime et refus du mensonge politique, le sort de Cassandre est tranché. Cette prophétesse condamnée à ne jamais être crue est seule en scène face à son impuissance. Malgré ses alertes, la guerre n’a pu être évitée, la terre de Troie n’est plus qu’un champ de ruines. L’orchestre accompagne ses paroles inspirées du récit de Christa Wolf, sur la composition musicale de Michael Jarrell. Hervé Loichemol en signe la mise en scène. Créée cet été au Festival d’Avignon, la pièce est à l’affiche de la Comédie de Genève du 21 au 27 septembre. 

 

«On ne peut rien faire contre cette sombre race; la plupart du temps on n’a eu qu’à se taire pour ne pas comme Cassandre, passer pour fou quand on prédisait ce qui était déjà imminent.» Ces mots de Goethe figurent en exergue à Cassandre. L’ouvrage contient les conférences de poétique données par Christa Wolf en 1982 à l’université de Francfort. On y trouve ensuite le récit prophétique de la fille de Priam, roi de Troie, aujourd’hui adapté sur le plateau de la Comédie. Ce livre fit grand bruit à sa parution en 1983, tant en RDA qu’en RFA. L’occasion d’une réflexion sur les mécanismes du pouvoir et de la guerre, et sur le rôle de la femme dans l’histoire.

«Il y a un drame intime à Cassandre puisqu’elle sait ce qui va advenir. Même quand elle le dit, personne ne la croit. Il y a aussi quelque chose de terriblement émouvant dans cette solitude, à se remémorer un savoir qui aurait pu éviter la destruction de Troie, raison pour laquelle elle est seule en scène, avec l’orchestre», note Hervé Loichemol. «C’est ce parcours-là qu’elle nous raconte avant de mourir, par bribes, par éclats, avec des moments de terreur et de rage impuissante», résume le metteur en scène. Dans quelques jours à la Comédie de Genève, Fanny Ardant donnera voix à Cassandre, dans l’adaptation musicale faite par Michael Jarrell. «Avec ce récit, je descends dans la mort», dira Cassandre, faite prisonnière d’Agamemnon à Mycènes, et condamnée à mourir.

 

Mensonge politique

Cassandre, une lanceuse d’alerte? Ayant reçu le don de prophétie d’Apollon, fils de Zeus et dieu de la divination, Cassandre sait que Grecs et Troyens livreront bataille. Or comme elle s’est refusée à lui, celui-ci la condamne à ne jamais être crue. «Ce qu’elle raconte, c’est son impuissance à changer quoi que ce soit bien qu’elle possède un savoir, qu’elle connaisse l’avenir. Chez Jarrell comme chez Wolf, ce savoir se heurte au mensonge politique», détaille Hervé Loichemol. Cassandre dit ‘non’, refusant le mensonge, car elle découvre que la belle Hélène n’existe pas. Elle n’est pas à Troie. Pâris est revenu sans elle. Il y a quelqu’un sous un voile, mais on ne la voit pas. En réalité, elle n’est pas là. On fera la guerre sans cause. Je trouve cela très fort par rapport à ce qui se passe dans tous les conflits, dont les causes invoquées sont souvent ridicules et obéissent à de vrais mensonges», souligne-t-il. «Sa réaction est fondamentalement une zone de refus, un engagement modeste. Tout d’un coup, Cassandre dit un petit ‘non’, que je n’érige pas comme un principe absolu de négativité abstraite. C’est plutôt un positionnement politique, estime Hervé Loichemol. Le ‘non’ doit être une possibilité d’ouverture supplémentaire à autrui. Il n’y a là aucun héroïsme.»

 

Les conflits des années 1990

Dans les années 1990, à l’époque où Michael Jarrell adapte le texte de Christa Wolf, l’Irak et la Bosnie sont ravagés par la guerre. Hervé Loichemol décide de créer un comité Sarajevo alors qu’il joue au Poche, à Genève. Il se rend dans la ville assiégée et y montera plusieurs pièces avec des comédiens bosniaques et suisses, dont Hamlet-Machine d’Heiner Müller. «Pour moi, la composition de Jarrell, c’est aussi cette période-là. Même si on ne le rend pas manifeste dans le spectacle. La pièce parle beaucoup de méconnaissance, de dénégation. C’est une dénonciation anti-guerre», nous confiait-il avant sa création cet été au Festival d’Avignon.

 

 

«Fanny Ardant fait partie de leur panthéon»

Avant Avignon, c’est à Paris que les répétitions se sont déroulées avec Fanny Ardant. La comédienne avait déjà donné des lectures de l’œuvre en version concert. «Quand on travaille avec une personnalité comme Fanny Ardant, on a une responsabilité par rapport à ce qu’elle représente. Certaines personnes nous disent leur admiration. Elle fait partie de leur panthéon. A Avignon, elle a reçu un triomphe, un torrent d’amour aux saluts», se réjouit Hervé Loichemol. «Nous nous sommes très bien entendus. Elle est très professionnelle et n’aime pas perdre de temps. Elle m’a fait beaucoup rire. C’est une femme très intelligente, très cultivée. Elle est aussi déterminée, franche et spontanée. Elle possède un tempérament de feu. En somme, elle est ardente! C’est une grande chance d’avoir pu travailler avec elle.»

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Cassandre, Comédie de Genève du 21 au 27 septembre 2015.
Avec Fanny Ardant
Mise en scène Hervé Loichemol
Musique Michael Jarrell
Avec Le Lemanic Modern Ensemble sous la direction de Jean Deroyer

Renseignements et réservations sur le site du Théâtre www.comedie.ch

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