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Un Othello féministe à Saint-Gervais

Publié le 15.04.2015

 

Un Othello épique et féministe

 

Lorsqu’Eric Salama avait monté Hamlet en 2011, lui et les comédiennes avaient constaté la force de Shakespeare, dans le contexte d’un jeu théâtral axé sur la conscience et sur le moment présent de la représentation. « Raconter, avouer que l’on fait semblant, s’adresser au spectateur et laisser une place à son imagination, est un travail difficile qui suppose de l’abandon et une grande conscience, tant de soi, que des enjeux de la pièce », explique le metteur en scène. « Il faut « travailler par le vide », se débarrasser de ses a priori, pour se laisser surprendre et être à même de faire entendre l’écriture de Shakespeare, dans tout ce qu’elle a de surprenant, d’inattendu et de chaotique. » Voilà qui éclaire l’axe choisi par Eric Salama pour monter La tragique histoire d’Othello, le Maure de Venise. A voir au Théâtre Saint-Gervais à Genève dès le 15 avril.

 

Partant du personnage de Iago, véritable poison de peur, Eric Salama défend le fait que « au départ, le vrai jaloux de la pièce, c’est Iago, pas Othello : obsédé par l’idée que sa femme le trompe avec tout le monde, l’officier machiavélique va inoculer sa « maladie » à tous ceux qui le croisent ou qui l’entourent : Rodrigo, l’amoureux déçu, Barbantino, le père qui doit laisser sa fille s’en aller, et surtout Othello, le Maure devenu Général dans cette Venise dont il est l’étranger. Comment un homme peut-il se laisser posséder par les obsessions d’un autre ? » Avec la Compagnie 94, que le metteur en scène genevois dirige depuis 1994, il a souhaité revisité la pièce de Shakespeare à la lumière de la peur, thème profondément actuel. « La question de la place que l’on accorde à l’étranger est une question essentielle, qui concerne toute société. Et Shakespeare, plutôt que d’y répondre de façon triviale, l’expose dans toute son ambiguïté, dans toute sa complexité et sous plusieurs facettes. »

 

Eric Salama souhaitant donner une place au regard de la femme, a travaillé et écrit les passages de récit et de commentaire sur l’action avec les comédiennes Piera Bellato, Marie Probst et Elodie Weber. Sur scènes, ce sont elles qui prendront en charge ces parties. Selon le metteur en scène, William Shakespeare s’attaque, et ce dans ses écrits en général, au patriarcat, ainsi qu’à la figure de l’étranger. Du côté des hommes, Ahmed Belbachir et Vincent Bonillo viennent compléter cette distribution réduite.

 

 

Le parallèle avec nos sociétés modernes tourne résolument autour de la peur, pour Eric Salama. « Aujourd’hui, dans nos démocraties, le débat public se place toujours plus sur le plan de l’irrationnel. Et il est toujours plus difficile de convaincre par des arguments logiques, des faits vérifiables, en face de ceux qui misent sur l’émotion, sur les pulsions collectives, les peurs et les fantasmes. Miser sur les émotions, les peurs et les fantasmes, c’est exactement ce que fait Iago. Et Othello, pourtant dépeint, par les autres personnages de la pièce comme un homme posé, réfléchi et avisé, tout le contraire d’un jaloux, d’un impulsif, ou de quelqu’un qui se laisserait déborder par ses passions, va se laisser abuser par les faux-semblants et les arguments invraisemblables de Iago, jusqu’à assassiner Desdémone sans la moindre preuve sérieuse de son infidélité. Car, bien qu’il en use avec habileté à l’image des populismes de tous bords, les fils que tire Iago sont faits d’artifices grossiers, et il faut être aveugle pour s’y laisser prendre. S’interroger sur cette cécité semble plus que nécessaire aujourd’hui. »

 

Avec sa compagnie 94, Eric Salama a déjà monté une vingtaine de mises en scène à ce jour. En résidence à Saint-Gervais, c’est le cinquième spectacle qu’il y présente. S’il aime adapter des classiques, il se penche également régulièrement sur des auteurs contemporains.

 

Cécile Gavlak

 

La tragique histoire d'Othello, le Maure de Venise, du 15 au 30 avril au Théâtre Saint-Gervais à Genève. Renseignements au +41.22.908.20.00 ou sur le site www.saintgervais.ch

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