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Un langage sans barrières

Publié le 02.03.2017

 

Dans l’univers d’Alice Laloy, les histoires se créent par ricochet, offrant une poésie singulière où le spectateur est convoqué à l’endroit de ses sensations et où la matière, quelle qu’elle soit, est au centre. Avec «la compagnie s’appelle reviens» qu’elle fonde en 2002, Alice Laloy reçoit le Molière du meilleur spectacle jeune public pour sa création 86 CM en 2009. Prix 2013 de la Création/Expérimentation de l’Institut International de la Marionnette, son travail renouvelle les langages, les pratiques et les formes esthétiques des arts de la marionnette.

Jusqu'au 12 mars, elle présente au Théâtre Am Stram Gram à Genève sa dernière création: Ça dada. Sur scène, les comédiens Barbara Tobola, Stéphanie Schneider et Christian Scheidt retrouvent la fougue d’une époque dont Alice Laloy est la digne héritière. Interview.

 

 

Dans vos spectacles se croisent marionnettes, matériaux, machines, acteurs et compositions sonores. Au fond, est-ce que dada ne fait pas partie de vous depuis toujours?

Je crois pouvoir dire que, quand Fabrice Melquiot me proposa ce thème, c’est ce qu’il s’était dit en regard des spectacles que j’avais créés jusqu’alors. C’est vrai que lorsque j’ai commencé à travailler sur l’univers dada, j’y ai rencontré des partenaires extrêmement familiers, comme Jean Arp qui écrivait en 1916: «Vous aussi, bel homme, jolie femme, vous êtes dada, seulement vous ne le savez pas. Demain dada aura un visage différent d’aujourd’hui et pour cette raison sera dada. Dada, c’est la vie.»

 

Comment qualifier le spectacle Ça dada?

Dada est un hymne à la liberté et à l’humain créateur. Ça dada est un poème théâtral, librement inspiré du dadaïsme. Je me suis laissé toute liberté. Je ne voulais pas imiter, ni recopier: ni faux-vrai, ni vrai-faux. J’avais envie de partir ailleurs, vers les échos que dada a créés en moi en y répondant avec mon langage et mes outils: une écriture visuelle par le mouvement et par l’objet. L’espace ne cesse de se déployer dans le spectacle, les murs tombent pour en laisser apparaître d’autres qui tomberont à leur tour. Les frontières s’éloignent. Se créent alors des nouveaux territoires possibles à investir. La métamorphose de l’espace devient la première structure du spectacle.

 

Qui est dada aujourd’hui?

Dada est une sorte d’enfant-génie, féroce et joyeux, totalement habité par une pulsion créatrice, à laquelle il répond pour ne se laisser prendre par aucun système. C’est un révolté extrêmement critique qui ne veut entrer dans aucun cadre.

On peut aisément rattacher notre époque à celle dans laquelle est né dada. Car à la base de ce mouvement apparu en plein carnage de la première guerre mondiale, ce sont des immigrés, réfugiés en Suisse, qui ont choisi de répondre, à l’absurde de ce monde, par l’absurde et la poésie à travers la création.

Du côté de la psychanalyse, l’exemple donné par Freud pour parler au mieux du «Ça», est l’artiste sublimant ses pulsions via l’art, et je lis, dans la nécessité de créer, la force du «Ça» universel. «Ça» est de toutes les époques, organique, naturel, instinctif, spontané et propre à l’humanité.

 

 

Comment voit-on le monde à travers la lunette dada?

On a envie de rire de tout et de prendre du recul face aux imperfections du monde. Un monsieur nous disait en sortant du spectacle: «ça me donne envie d’être libre, d’être ensemble et de d’inventer». C’est exactement ce que je souhaitais insuffler au public à travers ce spectacle où on s’amuse à décaler le réel à l’infini. Les dadas transformaient leur quotidien pour en faire de la poésie, montrant qu’avec trois fois rien comme un vieux journal, on peut faire quelque chose de nouveau, de vivant.

 

 

Par quels moyens avez-vous choisi de parler de cette période de l’après-guerre à des enfants dès six ans?

Tout se transmet par le jeu et ce procédé guide l’écriture de tous mes spectacles. C’est une composante du dada, qui aime jouer avec tout et rire de tout, un mode qui parle aux enfants. Dada est né des décombres de la guerre. Sans guerre pas de révolte dada. Il nous faut donc détruire ce qui sera sur le plateau par un grand rituel du massacre, mais à la dada, de manière très joyeuse, comme on tire sur des boîtes de conserves avec une balle molle à la fête foraine. Rien n’est à prendre d’un point de vue réaliste ou naturaliste, tout est métaphore, poésie et théâtre. Et à entendre les enfants durant le spectacle, ils n’ont aucun problème à entrer dans le jeu de la libre expression dada.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Ça dada, un spectacle d'Alice Laloy à découvrir au Théâtre Am Stram Gram à Genève jusqu'au 12 mars 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.735.79.24 ou sur le site du théâtre www.amstramgram.ch

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