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Titus: l’envers du décor

Publié le 09.02.2021

 

La Clémence de Titus, est à découvrir en ligne le 19 février 2021 à 20h en direct du Grand Théâtre de Genève. Puis du 21 au 28 février sur GTG Digital.. Cette production est marquée par la première mise en scène d’opéra de Milo Rau. L’artiste suisse à la tête du NTGent de Gand s’y attaquera aux élites du XVIIIe siècle et poursuivra sa réflexion sur les relations entre l’art et le pouvoir. Ceci dans une scénographie d’Anton Lukas où le palais côtoiera la galerie d’art et le bidonville. Le jeune maestro Maxim Emelyanychev, chef principal du Scottish Chamber Orchestra, dirigera pour la première fois l’Orchestre de la Suisse Romande.
Commandée à Mozart pour le couronnement de Léopold II de Bohème, cette opéra séria a la particularité d’avoir été composée parallèlement à la Flûte enchantée. L’empereur de Rome, Titus, aime Bérénice, mais est visé par un complot. Amitiés, amours, trahisons serviront en définitive un monarque bienveillant. L’arguement laisse Milo Rau songeur, mais pas inactif!
 

 

C’est votre premier opéra. Pourquoi Mozart, pourquoi cet opéra de Mozart?

Milo Rau: Depuis un certain temps, le directeur du Grand Théâtre Aviel Cahn et moi discutions de la possibilité de me confier un opéra. Il m’a présenté quelques œuvres. Je trouvais La Clémence de Titus intéressant par ce qu’il montre la mise en scène, par l’art, d’un pouvoir éclairé. Et ceci à un moment historique intéressant: en 1791. Donc, quelques années après le début de la Révolution française, on composait un opéra à la gloire du féodalisme!

 

 

La représentation du pouvoir est un thème qui revient régulièrement dans vos spectacles.

Oui. Ici, le pouvoir est représenté comme un pouvoir tolérant, juste - anti-shakespearien dans un certain sens. Et je voulais comprendre pourquoi. Qu’est-ce que c’est que cette idéologie de la tolérance, et pourquoi le pouvoir a besoin de ça pour continuer à régner au moment de la plus grande révolution européenne? Pourquoi un prince autrichien commande cet opéra à Mozart, connu aussi pour être franc-maçon et – nous dirions aujourd’hui - un libéral?

 

 

Qu’est-ce qui vous a frappé dans l’histoire racontée par La Clémence de Titus?

Le contraste entre le contexte et l’action. Il y a une éruption du Vésuve qui fait des milliers de morts, un putsch, le Capitole est en flammes… Mais rien n’en transparaît dans la dramaturgie: aucun intérêt, aucun impact. L’intrigue se concentre surtout sur des histoires d’amour – la priorité va à une situation totalement parallèle à la réalité. Il y là une forme d’exclusion de la réalité de la part de la classe dirigeante qui m’apparaît comme très contemporaine!
Mais dans cette œuvre, on renonce aussi à construire un temple, tant les besoins du peuple sont importants. Cette scène permet de découvrir les mécanismes de la charité.
Et c’est aussi un opéra qui montre des dissidents politiques qui apparaissent uniquement comme pervers et mal informés: quelqu’un qui attaque le pouvoir est considéré comme un terroriste, un fou… En définitive, il n’y aurait pas de raison de se révolter: le pouvoir est toujours bon! D’ailleurs, les révolutionnaires font des auto-déclarations en ce sens, comme dans un show stalinien.

 

Comment abordez-vous les thématiques ainsi déterminées?

La Clémence de Titus focalise beaucoup sur les émotions des élites. J’ai voulu inviter des nouveaux personnages – par exemple un dissident turc, une victime arménienne de la violence et de la guerre… Une invitée congolaise m’a dit que Titus lui rappelait les dirigeants de son pays, car ils ne s’intéresseraient qu’à eux, et au peuple seulement pour être élus. Tous témoignent d’une autre réalité.

 

 

Avez-vous opéré d’importantes modifications?

Je n’ai pas rajouté tellement d’éléments. Mon but est de raconter ce que cet opéra révèle. Par exemple, dans une scène, deux personnes sont exécutées par pendaison. Juste après nous montrons un vernissage avec des images de pendus. Tout se convertit très rapidement en art. On essaie de raconter cette histoire: l’appropriation d’un art révolutionnaire par le pouvoir pour éviter la vraie révolution dans le monde.

 

Quand vous évoquez la rapidité de la conversion dans l’art, vous pensez par exemple à l’apparition des bouées et des vestes de sauvetage dans les galeries d’art moderne, peu après le début des drames des réfugiés en Méditerranée?

Oui, ces drames sont vécus avec compassion. Mais c’est aussi une appropriation de la mort des autres. Comme dans mes spectacles je travaille beaucoup sur les crises politiques et les massacres, il y aura une part d’autocritique: j’ai inclus, dans Titus, des moments de mes propres pièces, qui seront cités comme relevant de l’exploitation de la douleur des autres.
Tout cela m’amène à me demander si un art poétique et critique focalisant sur les violences n’est pas seulement un art au service des élites. Est-ce qu’une révolution est condamnée à être appropriée par le grand appareil de représentation capitalise? Un art politique est-il possible? Ou est-ce que le pouvoir va toujours dévorer, régurgiter et vomir les images de la révolution?

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

La Clémence de Titus, de Mozart

Le 19 février à 20h en direct sur GTG Digital et Mezzo Live HD

Représentations publiques les 1, 2 et 3 mars, si la situation sanitaire le permet.

Milo Rau, mise en scène.
Orchestre de la Suisse Romande (OSR)
Maxim Emelyanychev, direction
Anton Lukas, scènographie
Avec Bernard Richter, Serena Farnocchia, Anna Goryachova, Marie Lys, Cecilia Molinari et Justin Hopkins

Informations:
gtg.ch

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