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Temps, finitude et échappée belle

Publié le 21.04.2022

¿Hay alguien ahí? (littéralement Il y a quelqu’un?), spectacle présenté dans sa version française au Théâtre du Grütli, du 26 au 30 avril, est l’œuvre d’artistes basques d’Espagne. En poupée rose à paillettes et tongues, Esperanza López se révèle proche d’un surréalisme teinté de pop latino. Son compagnon de scène, Txubio Fernández de Jauregui, en costume d’ours en peluche n’a pas oublié les migrants de la place madrilène la Puerta del Sol. Pour amuser touristes et enfants, ces démunis revêtent les habits des héros Disney et Marvel.

Est-ce que nos émotions sont pures? Nous reste-t-il assez de temps? Ces interrogations philosophico-métaphysiques tournent d’abord en boucle dans le spectacle sur une musique électro atmosphérique. Du théâtre de rue et d’un jeu parfois enfantin, le spectacle préserve le sens de l’adresse directe au public. Et cette manière doucement drôle et vertigineuse de jouer avec ses attentes. Des scènes contemporaines, l’opus a su préserver ce côté décalé, où les êtres en scène sont à la fois personnages et personnes bien réelles dans un va-et-vient troublant et malicieux.

Collaboratrice entre autres de la Compagnie L’Alakran d’Oscar Gómez Mata, Esperanza López souhaite développer une relation intime au public tout en défrichant les terres de l’émotion, pourquoi pas en chansons. Rencontre.


Sur le titre du spectacle.

Esperanza López: Il est venu conformément à ce désir de voir ce qui compose nos existences, ce qui est à l’intérieur de nous, sur un mode universel. Ne sommes-nous pas traversés, habités en permanence de personnalités multiples, de présences autres et étrangères? C’est d’ailleurs parfois extrêmement mystérieux. Au foyer, qui est derrière toi, le matin? Qui t’habite, l’après-midi?

Cela peut aussi amener au rire, à l’instar des psychophonies – la psychophonie est la communication des esprits par le biais d'un médium parlant, ndr. Il s’agit donc aussi de la recherche des esprits par l’intermédiaire du Ouija – planche utilisée lors de séances de spiritisme et supposée favoriser le dialogue avec les morts, ndr. Le spectacle ne touche néanmoins pas au paranormal. Nous essayons de déceler quelles sont nos voix intérieures, l’esprit intime qui se loge en nous.



Ou comment être plusieurs en une seule personne?

Oui. Cela nous ramène à cette dimension de personnalité multiple. Si chaque être est par essence plusieurs, c’est qu’il se développe dans chaque aspect et période de sa vie d’une manière différente. En témoigne le personnage que j’incarne. Cette femme dialogue avec sa voix intérieure. Ses périodes éphémères d’enthousiasme retombent dans le doute à la manière du héros d’Hermann Melville, Bartleby. Et son fameux: «Je préférerais ne pas (le faire)». Est-ce un acte de résistance ou un abandon fataliste? On ne sait trop. Elle tente aussi de converser avec elle-même, mais sans y parvenir vraiment.





Qu’en est-il du comédien dans la peau d’un ours de dessin animé ou cartoon?

Txubio Fernández de Jauregui se demande, lui, ce qu’il fait dans son habit d’ours en peluche qu’il porte en scène. Il confie être un travailleur indépendant âgé de 59 ans sans droit à la retraite par manque de jours de cotisations. Mais sans insister aussi. Il relève le contraste entre son déguisement infantile et son âge marqué par des cheveux blancs et des rides. S’il sait être la personne à l’intérieur du costume, il ne sait exactement qui il est réellement.

Si ce plantigrade forain se pose ainsi des questions sur sa vie, c’est aussi une interrogation comique sur notre condition de comédien et comédienne. A travers ce que nous devons réaliser au plateau, il y a la recherche permanente sur notre manière d’exister, de continuer.

Il y a souvent ce jeu entre le dehors et le dedans…

Absolument. Sous des dehors spontanés, c’est une partition très écrite. Voici une mise en jeu brouillant les frontières entre la personne réelle qui performe, joue, d’une part et son personnage, de l’autre. Nous sommes aussi fondamentalement des êtres humains et notre jeu est mis en perspective avec ce qui nous entoure, nous fait agir ou nous questionne. C’est aussi pertinent de mettre cet aspect en avant, d’une manière qui est tantôt ridicule tantôt ironique.

Cela permet en effet de dévoiler notre part de souffrance et comment nous sommes aujourd’hui après plus de deux années de pandémie. Même si la pièce a été créée deux mois avant le début de la Covid-19. Toute diffusion du spectacle fut dès lors impossible durant longtemps nous plongeant dans l’incertitude comme nombre d’artistes.





Un comédien sous les traits d’un ours qui se déhanche sur l’un des plus grands tubes disco de l’histoire, ce n’est pas banal.

Nous sommes partis des travailleurs précaires qui se déguisent ainsi à la Puerta del Sol de Madrid. Ils se baladent dans cette cité touristique par excellence, habillés en Mickey Mouse, Minnie, Bob l’éponge, Winnie l’ourson et qui sais-je encore. Ils gagnent ainsi leur vie (jusqu’à 50 euros par jour, ndr) en posant pour des photos et selfies avec les enfants. Eprouvantes, leurs vies se révèlent fort tristes. Et ils ne manquent pas de se bagarrer entre eux afin de trouver la meilleure place possible.

Comme le souligne journal El Pais (30.08.2019): «Sous les masques se cachent des Vénézuéliens, des Colombiens, des Péruviens, des Équatoriens, parfois sans papiers ou en attente de régularisation administrative.» A partir de là, nous nous sommes interrogés sur la réalité de ces personnes tout en développant, sur un mode métaphorique, notre personnage masculin travesti en ours telle une peluche grandeur nature. Il aligne des réflexions sur la vie. Ainsi au détour d’une chanson pop électro affirmant que nous sommes des figures errantes dans un paysage, perdues entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Cet épisode est accompagné d’un petit théâtre d’objets filmés live et projetés sur écran.

Quelles sont les thèmes que vous agitez?

Sur le ton comique, nous fouillons en nous tels des archéologues. Prenez la blessure ou cicatrice intérieure présente chez mon personnage. Elle symbolise l’impossibilité de faire des choses. La perte de lumière des mots, qui ne sont plus guère originaux, est un autre thème exploré. Après que le comédien costumé en ours se fut exprimé sur son activité en dialogue avec sa partenaire de scène vêtue de rose paillettes et flashy, on assiste à une sorte d’atelier sur scène.

Nous emballons ainsi certains mots de papier transparent tout en plaçant des objets sur la table. Et échangeons sur l’opportunité d’interrompre tant l’action que le récit. Enfin, grâce à des figurines miniatures, nous laissons entrevoir quelques impressions sur le mystère de l’existence terrestre. L’idée d’ensemble est de repartir à zéro, de reconstruire sur les ruines. Et de questionner cette nécessité de finir les choses, alors que nous savons l’exercice impossible.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


¿Hay alguien ahí?
De et avec Esperanza López & Txubio Fernández de Jauregui
Oscar Gómez Mata, conseiller artistique

Du 26 au 30 avril au Grütli

Informations, réservations:
https://grutli.ch/spectacle/hay-alguien-ahi/