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Sur les nouveaux territoires de l'imaginaire

Publié le 12.04.2017

 

«Maman, tu me lis une histoire?» Qu'il était bon le temps où il suffisait de fermer les yeux et ouvrir les oreilles pour vivre de folles aventures dans des contrées magiques et lointaines… Pour la vingtième fois, le festival La Cour des Contes nous invite à retrouver cette nostalgie ou à faire découvrir à nos enfants de nouveaux territoires de l'imaginaire.

Organisé par la commune de Plan-les-Ouates, le festival nous propose du 28 avril au 7 mai de découvrir une quarantaine d'histoires et les nouvelles manières de les raconter, de voir comment ce mode de transmission ancestral a évolué avec le temps. Pascal Mabut, programmateur du festival, nous raconte cette édition un peu particulière.

 

 

Le festival fête sa vingtième édition, pouvez-vous nous rappeler les circonstances de sa création?

Quand le festival est né, en 1995, c'était une nuit du conte. Elle avait lieu aux flambeaux dans la campagne et se finissait le matin avec un petit-déjeuner dans une ferme de Plan-les-Ouates. Puis, l’événement s'est développé sur plusieurs jours avec un chapiteau dans le hameau d'Arare, c'était donc un festival entre l'intérieur et l'extérieur. Ce concept a évolué il y a une dizaine d'années, pour des raisons techniques notamment: même si l'atmosphère bucolique était agréable, avoir un festival en extérieur pouvait être compliqué à gérer avec les imprévus météorologiques. La commune a décidé d'implanter le festival dans le village et de l'ouvrir à de nouveaux lieux, que ce soit des salles de spectacles ou des endroits plus atypiques comme la Distillerie ou, cette année, le Temple de Plan-les-Ouates.

 

En tant que programmateur, quelles sont pour vous les étapes importantes de la préparation d'un tel festival?

On propose une quarantaine de spectacles, la première étape importante est donc le choix de la programmation qui se fait sur une année environ. Pour cela, je visite d'autres festivals, je suis le travail et les projets de certains conteurs… Nous avons aussi des spectacles créés pour La Cour des Contes, c'est donc tout un travail qui se fait en amont avec les artistes. Cette année, nous avons deux créations. La première est un projet de Catherine Gaillard autour de la Genevoise Isabelle Eberhardt, qui a vécu entre la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle et a été l'une des premières reporters de guerre en couvrant un conflit en Algérie. Elle est morte à 27 ans, comme certaines chanteuses de rock qui appartiennent au tristement célèbre Club des 27, et fait partie de ces écrivains-voyageurs qui ont observé et écrit le monde. On pourra voir ce spectacle les 28 et 29 avril à la Julienne.

La seconde création est une collaboration avec l'Orchestre de Lancy, Le Tsar Saltan, son fils Gvidon et la Princesse Cygne (29 avril à l'Espace Vélodrome). Je trouve toujours intéressant d'intégrer de la musique classique dans un festival. Nous avons travaillé des partitions de Rachmaninov, Rimsky-Korsakov, Chostakovitch, Glazunov et Tchaïkovski sur lesquelles le conte vient se greffer. C'est un vrai travail de chronométrage, bien éloigné d'une simple lecture avec un orchestre. La conteuse Casilda Regueiro entre réellement en complicité avec la quinzaine de musiciens.

 

Quels seront les moments forts de cette vingtième édition?

Premièrement, je voulais faire un focus sur ces femmes héroïnes suisses peu connues qui ont pourtant joué un grand rôle dans la littérature ou l'humanitaire. J’ai déjà parlé d'Isabelle Eberhardt mais il y aura aussi De Sang et de lait, un spectacle de Bernadète Bidaude consacré à la figure d'Élisabeth Eidenbenz. Au début des années 40, cette femme a créé dans le sud de la France la Maternité Suisse d'Elne pour que les émigrées espagnoles puissent accoucher dans des lieux sains. Elle a ainsi pu sauver environ 600 femmes et au moins autant d'enfants. Je voudrais aussi mentionner le travail du plasticien Patrick Corillon. Nous apprécions beaucoup sa manière de raconter et avons deux projets avec lui, La rivière bien nommée le 6 mai à la Ferme de la Chapelle et Les Images flottantes au Musée d'Art et d'Histoire le 7 mai. Ce sont des histoires qui tournent autour d’œuvres d'art contemporain qui vous feront aimer toutes les œuvres d'art!

 

 

La programmation favorise les spectacles multidisciplinaires, preuve que l'image traditionnelle du conteur a évolué. Comment percevez-vous ces changements?

Je dis toujours que le festival La Cour des Contes est une photographie de ce qu'il se passe dans les arts du récit. C'est un instantané. Évidemment, nous accueillons aussi des conteurs qui sont très traditionnels dans leur manière de raconter les histoires, comme Isabelle Genlis qui nous rapporte un poème vietnamien (Kim Van Kieu ou le Jeu des Dieux, le 29 avril à la Distillerie). Elle le fait très bien, ce n'est pas tant la manière de raconter qui importe, mais le récit qui en découle. On propose aussi des spectacles plus techniques dans la mise en scène, à l'image de Danbé (4 mai à l'Arande) où le public aura des casques audio, ou encore le spectacle Ali 74 (4 mai à l'Espace Vélodrome) qui retrace un combat du boxeur Mohammed Ali, avec des extraits de film et accompagné par des musiciens. Même si les structures narratives restent les mêmes, les rythmes et les manières de raconter changent. En fait, l’esprit du festival se veut ouvert à toutes les formes du récit oral.

 

Le festival propose des spectacles pour petits, et d'autres réservés aux ados et aux adultes. Cette distinction a-t-elle toujours existé?

Oui, tout à fait. La politique culturelle de la commune est de toucher tous les publics, donc tous les âges. Le programme est classé par tranches d'âge: bambino, tout public et ado/adulte. Finalement, les arts du récit touchent tout le monde. On entend parfois des gens, et notamment des ados, prétendre que les contes ne les intéressent pas, mais quand on va dans les classes avec un conteur, ils sont souvent surpris.

 

Ce qui évolue aussi, c’est la notion de morale qui est très présente dans les contes dits traditionnels ou fondateurs… Comment la morale se construit-elle aujourd'hui?

En fait, le conte est plus qu'immoral. Il faut savoir que les contes tels qu'on les connaît, notamment par les versions de Perrault, ont été transformés à une certaine époque. Par exemple, dans les premières versions du Petit Chaperon rouge, c'est la mère du Petit Chaperon rouge et sa fille qui cuisinent et mangent le loup, après que celui-ci a mangé la Grand-mère. Ce n'est qu'après que la figure masculine du chasseur est arrivée, comme un sauveur. Je pense que la plupart des contes populaires sont transgressifs, et que la morale est venue par la suite, pour transmettre un message plus correct à une certaine époque. Les conteurs actuels cherchent plus à transmettre le sens réel d'un texte, ou à réactualiser des récits qui ont des milliers d'années. Marien Tillet, avec son Ulysse nuit gravement à la santé qui sera proposé le 5 mai à la Julienne, revoit le mythe d'Ulysse en privilégiant le point de vue de Pénélope.

 

Quel est donc le rôle du conte aujourd'hui?

Le monde s'est créé avec des mythes. Guillaume Tell qui n’a jamais existé, la prise de la Bastille alors que cette dernière était presque vide… Mais l'identité d'un peuple se crée avec des histoires. Les arts du récit sont là pour créer un vivre ensemble. C'est pour cette raison que la relation avec le public est fondamentale. Le conteur n'apprend pas son texte mot pour mot comme un acteur, ceci pour avoir une connexion avec le public. Dans le festival, on ne fait pas de grande scène parce que le conteur a besoin de cette relation intime et privilégiée avec le spectateur.

 

Cette année, la grande nouveauté est la proposition de trois spectacles en anglais, pourquoi ce choix?

C'est un essai. On s'est rendu compte qu'il y avait beaucoup d'anglophones à Genève et nous avons donc décidé de proposer des contes pour les petits et pour la famille. Nous avons invité Stéphanie Bénéteau, une artiste américano-québequoise qui conte aussi bien en français qu'en anglais. Mais ces spectacles s'adressent aussi aux non-anglophones, pour entraîner son anglais! Ce sont des histoires racontées de manière très simple et on peut les comprendre avec quelques notions de langue. La force du conte est qu'il joue avec l'imaginaire, nous créons nos propres images.

 

Parlez-vous encore des activités en marge du festival. À quoi le public peut-il s'attendre?

Comme chaque année, nous essayons de mettre en place des activités pour que les spectateurs profitent au maximum du festival. Beaucoup d'entre elles sont d'ailleurs gratuites, il suffit juste de s'inscrire. Ce sont des ateliers qui accompagnent les contes, autant de la marionnette que de la cuisine, et tout le monde est invité à participer. Un festival est une grande famille et nous avons envie d'amener le public à faire des expériences différentes, de ne pas se contenter d'assister à un spectacle mais de réaliser des projets ensemble.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

Festival La Cour des Contes 2017, Plan-les-Ouates du 28 avril au 7 mai 2017.

Programme en détail du festival et réservations au +41.22.884.64.60 ou sur le site www.plan-les-ouates.ch

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